Au fil de la Volga, depuis Astrakhan jusque Nijni Novgorod (3/3)

Iochakar-Ola : la toute récente cathédrale orthodoxe de l’Annonciation de Iochakar-Ola rappelle la cathédrale St-Sauveur de St-Pétersbourg

Suite et fin de notre croisière passionnante en remontant le coude de la Volga. Aujourd’hui, escales à Kazan, à Tcheboskary et fin du voyage à Nijni Novgorod.

Kazan, capitale du Tatarstan

Dans les environs de Samara, les Soviétiques ont construit un immense barrage, le plus grand du monde lors de son inauguration en 1955. Long de sept kilomètres, il relève les eaux du fleuve de plus de trente mètres. Les navires naviguent vers Kazan sur ce lac de retenue dont la largeur atteint parfois quarante kilomètres tant et si bien qu’on se croit naviguer en pleine mer tout en longeant la côte.

Depuis notre bateau on découvre cette rencontre insolite entre une église orthodoxe chapeautée de coupoles et le nouveau stade de football avec en arrière-plan le skyline de la ville moderne de Kazan.

Les croisières par définition laissent souvent un goût de trop peu quand les escales sont trop belles pour se laisser découvrir en quelques heures, l’occasion de s’offrir à l’avenir l’un ou l’autre city-trip. Ce sera pour nous le cas à Kazan d’autant que l’arrivée en fin d’après-midi nous plonge rapidement dans la pénombre.

De gauche à droite dans la nuit illuminée du Kremlin de Kazan, la tour Suyumbique, le palais du Gouverneur et l’église orthodoxe blanche de l’Annonciation.

Bien sûr nous découvrirons la ville sous les lumières mais celles-ci insuffisantes laisseront encore de grandes nappes d’ombre. Nous aurons cependant le temps de visiter le Kremlin qui est l’épicentre de la vieille ville et inscrit depuis l’an 2000 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

Kazan est à l’origine une ville bulgare fortifiée, entourée de douves, de remparts et de palissades. Une forteresse en pierre blanche est bâtie au 12ème siècle et la ville se développe dans le cadre de la Horde d’Or, héritière de l’Empire mongol et devient même capitale du khanat de Kazan. Mais Ivan le Terrible, premier tsar de Russie va la soumettre en 1552 au terme d’un interminable siège pour en faire la nouvelle capitale chrétienne des pays de la Volga.

La Grande Mosquée Kul Sharif de 2005 porte le nom de l’imam qui a défendu Kazan de l’attaque russe en 1552.

Il veillera à renforcer le Kremlin et détruira les mosquées tout en construisant des bâtiments historiques toujours d’actualité à côté des vestiges de structures mongoles qui en font la dernière forteresse tatare subsistant en Russie. Aujourd’hui Kazan est la capitale du Tatarstan, une République autonome au sein de la fédération de Russie.

Visiter le Kremlin, c’est toucher de près l’aspect multiculturel de la ville car l’église orthodoxe de l’Annonciation et la Grande Mosquée Kol Sharif construite en 2005 sur les fondations d’une mosquée du même nom détruite par Ivan le Terrible après la prise de la ville sont élevées côte à côte. La ville qui se découvre depuis la hauteur des remparts affiche cette mixité tranquille puisque minarets et bulbes orthodoxes se partagent le paysage.

Les bâtiments alignés sur le quai qui borde la Kokchaga veulent évoquer Bruges dont il porte le nom et en avant-plan une rencontre élégante entre Pouchkine et son héros littéraire Eugène Onéguine.

Ivan le Terrible a également fait ériger la tour Suyumbike du nom d’une princesse du Khanat de Kazan qui avait refusé sa demande en mariage. Le cruel tsar aurait alors menacé de rayer Kazan de la carte, forçant ainsi la jeune femme à accepter sa requête. En échange, elle aurait réclamé un étrange cadeau de noces : une tour de 7 étages construite en 7 jours.

Dans une arche du Kremlin de Kazan se détache la silhouette d’un tank russe figuré pourtant à partir de centaines de photos d’identité en noir et blanc de morts au combat.

Vœu rapidement exaucé, puisqu’avec un étage érigé par jour, l’édifice aurait alors été achevé en une semaine et les festivités nuptiales ont pu débuter. Mais durant l’événement, Suyumbike se serait hissée au sommet de la tour de 58 mètres et se serait jetée dans le vide. Curieusement la tour penche aujourd’hui de 2 mètres, soit presque autant que la célèbre tour de Pise.

Iochakar-Ola, une ode à l’Europe

Accueil sur le quai de Tcheboskary par de charmantes femmes en costumes traditionnels tchouvaches.

L’escale à Tcheboskary ne nous permettra pas de découvrir la capitale de la Tchouvachie où de charmantes femmes vêtues de leur costumes traditionnels nous accueillent en chansons sur le quai.

En effet nous avons choisi de partir à quelque 80 km à la découverte de Iochakar-Ola, capitale de la République des Maris au cœur de la culture des peuples finno-ougriens.

Cette bourgade avait jadis son kremlin sous le règne du fils du tsar Fédor Ioanovitch, fils d’Ivan le Terrible mais elle a vécu durant des siècles dans l’isolement, perdue parmi les forêts et les marais.

L’avènement au siècle dernier d’une route quelque peu surélevée pour faciliter la traversée de la taïga a permis le développement de la ville sous l’ère soviétique autour de l’implantation d’industries vestimentaires, mécaniques et alimentaires.

Après 1991 les autorités locales ont choisi de reconstruire la vieille ville autour de la restauration du dernier bâtiment subsistant des siècles passés, la cathédrale de la Résurrection construite en 1756 mais transmise à une brasserie en 1937. Aux alentours la ville regorge de monuments dont le style architectural vaut à lui-même le déplacement.

GSM en main, une foule de badauds se presse pour admirer la procession de Jésus et de ses apôtres du haut du Grand Château qui a des allures de palais florentin.

On découvre ainsi avec surprise une « vieille » nouvelle ville. Le Kremlin entouré de remparts et de bastions édifié en 2009 se targue d’être le plus jeune de toute la Russie. Il abrite une toute récente cathédrale de l’Annonciation qui se veut une explosion de couleurs avec ses briques rouges percées de multiples hautes fenêtres étroites et chapeautées de coupoles vertes et dorées.

On y retrouve la silhouette de la cathédrale Saint-Sauveur de St-Pétersbourg, en plus excentrique toutefois. Les quais qui bordent la Kokchaga évoquent Bruges voire même d’autres villes hollandaises avec l’alignement de maisons étroites aux toits en pignons si ce n’est qu’elles affichent des couleurs rouges et vertes à la russe. Un clocher d’un château qui rappelle un palais florentin organise la sortie des 12 apôtres suivant Jésus juché sur son âne.

La foule de badauds et d’enfants, gsm en mains, qui se pressent pour admirer le spectacle est aussi impressionnante que l’animation elle-même. Mais au terme des quelque 3 heures passées sur place, on quitte les lieux avec l’impression d’avoir traversé un décor inachevé qui semble ne vivre qu’au rythme des nombreux visiteurs, russes et asiatiques pour la plupart, visiblement impressionnés par ce Madurodam en construction à taille réelle.

Nijni Novgorod, une cité marchande

Au 19ème siècle il se disait que « Saint-Pétersbourg est la tête de la Russie, Moscou son cœur et Nijni Novgorod son porte-monnaie ». C’est que dès le 18ème siècle la ville y accueille sous la houlette de Stroganov, le plus riche des marchands russes de l’époque, une foire internationale qui, s’il faut en croire Alexandre Dumas, accueille « les marchands de la Perse, de l’Inde, de la Chine ; où l’on trouve les armes du Caucase, les argenteries de Toula, les cottes de mailles de Tiflis ; où l’on vend en bloc les malachites et les lapis-lazuli ; où l’on mesure les turquoises au boisseau ; où l’on achète au ballot les étoffes de Smyrne et d’Ispahan ; où vient, enfin, ce fameux thé de la Caravane, que la Russie paye au poids de l’argent, l’Angleterre et nous au poids de l’or ».

Le Kremlin de Nijni Novgorod se mérite. Edifiés à flanc de colline, ses murs de briques rouges dominent la Volga en contrebas.

Le site dédié à la foire qui se perpétue encore de nos jours se trouve sur la berge de l’Oka, à l’opposé de la ville établie au confluent de la Volga et de son affluent. En 1929, au nom du marxisme-léninisme, elle a vu condamner sa célèbre foire. Nijni Novgorod, ville natale du fameux écrivain proche du courant bolchévique de Lénine, porta le nom de Gorki à partir de 1932.

C’est là aussi que Andreï Sakharov, le physicien dissident et Prix Nobel, fut soustrait à l’attention de l’Occident en 1979. En 1946, Staline en interdit l’accès aux étrangers et la plonge, de force, dans un sommeil économique d’un demi-siècle.

Le quai de la Volga surélevé face au fleuve aligne de belles anciennes maisons de marchands.

Depuis la chute de l’union soviétique la ville a récupéré son nom historique indissociablement lié à son Kremlin, une énorme forteresse en briques rouges construite en 1511 pour résister aux sièges tatars.

L’enceinte en briques, longue de deux kilomètres et renforcée de treize tours, abrite la petite cathédrale de l’Archange Saint-Michel du 17ème siècle qui se prolonge par l’incontournable monument aux héros de la Grande Guerre Patriotique illuminée par une flamme éternelle.

La très baroque église de la Nativité-de-la-Sainte-Vierge commandée par le riche marchand Stroganov.

Depuis les remparts, la vue embrasse le domaine du Kremlin mais surtout le cours de la Volga et la pointe du marché où se dressent aujourd’hui dans une étrange proximité l’imposante cathédrale Saint-Alexandre-Nevski et l’arène bleue et blanche du stade de football où la Belgique s’est inclinée en demi-finale devant la France.

Cette fin de croisière nous donne le temps de flâner dans la ville, à la découverte d’autres curiosités comme la très baroque église de la Nativité-de-la-Sainte-Vierge commandée par le marchand Stroganov dont la façade somptueuse riche de coquillages et de fleurs s’exhibant entres des colonnes à chapiteaux donnent l’impression d’avoir été modelée à la main.

Une promenade le long du quai de la Volga permet d’admirer quelques anciennes maisons de marchands dont l’une d’elles est ouverte à la visite. La rue principale Bolchaïa Pokkovskaïa entièrement piétonne est animée par des musiciens de rue qui attirent les chalands et des artistes qui vous tirent le portrait en quelques coups de crayon noir. Longée de boutiques de souvenirs colorés, de bars et de restaurants, elle fera notre bonheur dans cette dernière immersion au creux de la vie quotidienne des Russes de la Volga.

Texte : Christiane Goor Photos : Charles Mahaux

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Au fil de la Volga, depuis Astrakhan jusqu’à Nijni Novgorod (1/3)

Au fil de la Volga, depuis Astrakhan jusque Nijni Novgorod (2/3)

La compagnie russe Vodohod Cruise and Travel a été créée en 2004 pour offrir aux touristes la possibilité de découvrir la Russie en voyageant le long de la Volga depuis Moscou jusque St-Pétersbourg mais aussi depuis Moscou jusque Astrakhan au bord de la mer Caspienne. Ambitieuse, la compagnie proposera dès 2020 une nouvelle croisière sur le fleuve Ienisseï qui prend sa source en Mongolie et se jette dans la mer de Kara dans l’océan Arctique.

Notre bateau, le Nijni Novgorod****, a été construit en 1977 et entièrement remodelé en 2018, au point d’offrir tout le confort que l’on attend d’un bateau de croisière que ce soit en termes de services proposés comme de qualité de ceux-ci. Eau, café et thé sont offerts en dehors des heures de repas.

Une salle de repassage est également ouverte pour ceux qui le souhaitent. Le commandant veille à ce que son bateau soit une porte ouverte sur la culture russe avec une boutique de souvenirs bien achalandée (matriochkas, laques, Fabergé, châles, ambre Baltique, etc…) mais encore des présentations des arts populaires de la Russie pour nous permettre de mieux comprendre l’intérêt de ces objets.

Des ateliers de peinture et des cours de russe (les rudiments) sont d’ailleurs proposés. Pour ceux qui le souhaitent, des soirées festives sont organisées avec la présence dynamique de musiciens et de chanteurs russes. L’anglais est la langue commune au niveau des services mais dès qu’un groupe s’inscrit pour une croisière il aura à sa disposition les services d’un accompagnateur russe qui maîtrise sa langue et l’accompagne dans les excursions www.bestrussiancruises.com.

Dégustation de la vodka russe

Ce voyage a été possible grâce à l’initiative de Wan Voyage, une asbl liégeoise connue aussi sous le nom de W’allons-nous ? active dans l’organisation impeccable de voyages culturels préparés par Arts et Cultures en voyage, une agence créée à cette fin et composée d’historiens et d’historiens de l’art www.wanvoyage.com .

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