Un voyage touristique en terre d’horlogerie 1/2

Les horloges comtoises de parquet étaient jadis un repère dans de nombreux foyers du Jura, elles ne quittaient jamais la maison et on ne les arrêtait que la seule journée du décès d’un membre de la famille avant de repartir le lendemain.

De Besançon à la vallée de Joux, en passant par le Pays Horloger, Le Locle et La Chaux-de-Fonds, autant d’étapes le long de l’arc jurassien franco-suisse qui se révèle parsemé de pôles d’intelligence horlogère. Une découverte fascinante aux allures de pèlerinage dans le berceau de l’horlogerie mondiale.

Le 16 décembre 2020, l’UNESCO a inscrit les savoir-faire en mécanique horlogère et mécanique d’art sur la Liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’Humanité, mettant ainsi en valeur une longue tradition vivante emblématique de l’Arc jurassien franco-suisse.

A Besançon, le bel alignement de maisons à arcades du quai Vauban se reflète dans les eaux du Doubs.

Un beau prétexte pour prendre la route en partageant son temps entre les deux pays, à peine 2.000 km parcourus sur une petite semaine d’escapade.

Dans cet espace franco-suisse, on plonge dans un écosystème complet autour des savoir-faire micromécaniques: entreprises, formations, recherches, associations, ateliers, musées qui concourent à la transmission des savoir et à l’innovation permanente depuis des générations. Première partie en France.

Besançon, capitale de l’horlogerie française.

Le porche de la cathédrale St-Jean se laisse découvrir au-delà de l’arc de la Porte Noire.

Dès le XVIème siècle, la montre devient célèbre auprès des rois de France et de la Cour qui n’hésitent pas à acquérir à prix d’or leurs garde-temps.

C’est aussi à cette époque que le calvinisme émerge en Suisse, notamment à Genève où son initiateur Jean Calvin décide en 1556 d’interdire d’afficher tout signe apparent de richesse comme les bijoux, incitant les orfèvres et les joailliers genevois à se reconvertir dans l’horlogerie.

Par ailleurs le protestantisme se développe également en France au point de déclencher de nombreuses persécutions de la part des catholiques. On assiste à une vague d’émigrations qui s’intensifieront lors de la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV en 1685.

Le départ des protestants français, souvent horlogers et bijoutiers, va porter atteinte à l’industrie horlogère française au profit de l’horlogerie suisse. Il faudra attendre la fin du XVIIIème siècle quand des horlogers suisses, tous disgraciés dans leur pays pour avoir soutenu la Révolution française, choisissent à leur tour de migrer vers la capitale bisontine.

Depuis le Musée du Temps, une vue panoramique vers le clocher de la cathédrale St-Jean et au-delà la ligne de la Citadelle de Vauban.

Laurent Mégevand d’origine genevoise y fonde la Manufacture d’Horlogerie Française et lance de nombreux ateliers de sous-traitance. Un siècle plus tard, Besançon compte près de 400 ateliers d’horlogerie et en 1880, l’horlogerie bisontine fournissait à peu près 90% des montres françaises.

Un déclin s’affiche cependant dans les années 1970 face aux concurrents japonais et suisse qui ont mis sur le marché la montre à quartz qui sonne le glas, pour un temps, des montres mécaniques. D’autres domaines de recherche naissent alors et la ville se spécialise dans les micromécaniques, les nanotechnologies, l’optique et l’électronique, autant de directions très pointues qui ont pris pied dans l’industrie horlogère.

Dans la cour de l’hôtel de ville on découvre une méridienne déclinante du matin installée depuis 1785 sur un mur du bâtiment municipal. La ligne verticale est la ligne de midi et l’heure est donnée par le point lumineux au centre du disque percé supporté par 3 branches.

Ce passé horloger est encore très présent à Besançon, avec d’abord la présence de nombreux cadrans solaires dont le style, à savoir une tige métallique rectiligne fixée sur le cadran, permet de lire l’heure au fil des mouvements de son ombre projetée sur le mur appelé plateau. On trouve encore des méridiennes comme celle gravée sur le sol qui se trouve devant la première chapelle à gauche dans l’église Sainte-Madeleine.

Cet ensemble de lignes marque le temps grâce au rayon de soleil qui s’y déplace depuis un orifice pratiqué dans un vitrail servant d’œilleton pour le passage de la lumière solaire vers le sol. Encore faut-il dans un cas comme dans l’autre que le soleil soit présent et suffisamment lumineux !

Une des venelles paisibles autour de la rue Battant entre une petite terrasse de restaurant pour les habitués et un habitat qui porte encore les signes du passé historique du quartier.

Les passionnés pourront suivre un itinéraire à la découverte du patrimoine horloger dans les rues de la cité comtoise, si d’aventure les noms de Fernier et Ferny, la société Girard , les frères Eugène-Savoye ou encore René Gruet et la société Lip leur évoquent un quelconque souvenir. Autant de noms qui s’égrènent sur les plaques commémoratives.

Une horloge d’applique, posée sur une console, en bois laqué rouge et décorée avec du bronze ciselé doré, créé en 1728 par l’horloger Joffroy actif à Besançon sous Louis XV.

Plus passionnant, le Musée du temps installé dans un prestigieux hôtel particulier, le Palais Granvelle construit en 1532 et classé Monument Historique.

Il fait la part belle aux productions bisontines, des horloges comtoises aux minuscules montres modernes en passant par les sabliers. Outre de belles collections d’horlogerie dont le fleuron est la fameuse Leroy 01 avec ses 24 complications, on y découvre l’histoire de la mesure du temps et son prolongement, la synchronisation des fréquences.

Illustrée entre autres par l’alignement de 7 tapisseries du XVIIème siècle qui relatent l’histoire de Charles-Quint, ou encore par une intéressante vitrine des calendriers du monde ou même par le célèbre pendule de Foucault perché dans la tour, d’une hauteur de 13 mètres qui oscille sans interruption et qui démontre la rotation de la terre grâce à un système ingénieux de mikados géants positionnés en cercle en contrebas et qui bougent au fil du passage du temps.

Enfin, preuve s’il en est que l’horlogerie à Besançon est bien un patrimoine vivant, il suffit de traverser la Grand rue pour pénétrer dans la boutique mais aussi l’atelier de Philippe Lebru, cet « explorateur du temps » comme il se désigne lui-même qui crée sous la griffe UTINAM Besançon le design de montres et d’horloges comtoises qu’il revisite dans un style très contemporain.

La statue de l’ingénieur Jouffroy d’Abbans en taille réelle peut donner l’impression de loin qu’il s’agit d’un saltimbanque grimé, figé devant le parapet du pont Battant.

Le Pays Horloger, terre de savoir-faire.

Quelque 50 kilomètres séparent la capitale bisontine de ce petit territoire rural aux portes de la Suisse dont la frontière est ici dessinée par le cours du Doubs. Le pays horloger doit son nom à l’activité horlogère que ses habitants développèrent en marge de leurs activités agricoles pour fournir au voisin suisse composants et main d’œuvre. Les familles étaient nombreuses avec souvent une dizaine d’enfants.

Reconstitution d’un atelier familial des années 1900 au musée de l’Horlogerie de Morteau, ou comment découvrir le cadre de vie des horlogers avant l’industrialisation.

Si l’aîné partageait le travail de la ferme, le second partait à l’armée, le troisième entrait dans les ordres et le dernier devenait instituteur, il y avait toujours de la place pour un ou deux artisans horlogers dans la maison qui avait son petit établi installé devant les façades les plus exposées à la lumière pour offrir des conditions de travail propices aux ouvrages minutieux.

Durant la longue saison de l’hiver, il n’était pas rare que les paysans donnent un coup de main pour produire les minuscules pièces d’horlogerie destinées à la Suisse voisine.

Une horloge ou une montre associent de très nombreux composants, jusqu’à 80 pour les plus compliquées et chaque famille était responsable d’un ou deux composants qui étaient alors récoltés par un colporteur vers un assembleur qui n’est rien d’autre qu’un horloger. Pour la petite histoire en Suisse un assembleur est un établisseur, à chacun son vocabulaire …

La salle des horloges du Musée de l’Horlogerie de Morteau abrite quelques modèles uniques.

Deux musées retracent ces 250 ans d’inventions et de minutie. Le Musée de l’Horlogerie de Morteau, abrité dans une demeure bourgeoise édifiée en 1576 invite à parcourir sous la houlette du responsable du site, lui-même fils d’horloger et horloger, toute l’histoire de la mesure du temps au travers d’une rare collection d’objets, d’ horloges, de pendules, ds montres et de nombreux outillages et machines qui permettent de comprendre l’envers du décor.

La première montre bracelet (en cuir) créée par Cartier pour le pilote Santos-Dumont qui se plaignait de la difficulté de piloter tout en manipulant une montre-gousset.

Une des 7 salles d’exposition reconstitue un atelier familial des années 1900 qui permet de découvrir le cadre de vie des horlogers avant l’industrialisation.

Le second musée se trouve à Villers-le-Lac, le Musée de la Montre, ce bibelot précieux et objet scientifique qui s’expose par époque dans autant de vitrines qui se succèdent, de quoi permettre à chacun de suivre son évolution, depuis les montres de poche jusqu’aux montres électroniques en passant par les montres bracelets et les montres mécaniques.

D’autres salles permettent de découvrir les mille outils de l’horloger, les anciennes machines, la chronométrie de marine et la fabrication de l’échappement dont le Pays Horloger fut le centre mondial au XIXème siècle.

Morteau que l’on associe toujours à la saucisse fumée ne comptait pas moins de 22 horlogers à la fin du 20ème siècle et abrite en plus un lycée qui depuis 1947 offre une formation professionnelle liée à l’activité horlogère qui reçoit aujourd’hui quelque 1.200 élèves. Leur formation est si pointue que de nombreux diplômés sont ensuite accueillis à bras ouverts dans les horlogeries suisses… Et c’est encore à Morteau que fut fondée et perdure la Manufacture Horlogère française de luxe Pequignet.

Les paisibles bassins du Doubs à la sortie de Villers-le-Lac avec vue sur une plage et la campagne sur la rive suisse.

Le Doubs franco-suisse est évidemment un lieu historique de contrebande depuis des lustres. Les colporteurs chargés de fagots de tabac et de ballots de montres connaissaient mieux que personne les moindres recoins de la vallée car ces clandestins du clair de lune devaient échapper coûte que coûte aux douaniers pour acheminer à bon port leur précieuse marchandise.

Le tracé sinueux du Doubs dessine en fond de vallée la frontière entre la Suisse et la France au cœur d’un paysage forestier inspirant pour se lancer dans la contrebande.

Des itinéraires balisés de randonnées sur les pas des contrebandiers permettent aussi de découvrir au fil de la balade les must de la région entre petites plages le long des bassins du Doubs et hautes falaises et belvédères au cœur d’une forêt sauvage qui offrait l’anonymat nécessaire à une intense activité de contrebande. (Suite demain)

Texte : Christiane Goor Photos : Charles Mahaux

Infos : www.montagnes-du-jura , www.besancon-tourisme.com , www.pays-horloger.com


Y aller : L’ensemble du parcours couvre depuis et vers la Belgique un petit 2000 km sans péage d’autoroute sur le tronçon français ni de vignette suisse si vous évitez de prendre l’autoroute.

Se loger : Le Sauvage hôtel et restaurant situé dans un ancien monastère dans le quartier historique de Besançon, au pied des contreforts de la Citadelle, offre une vue imprenable sur la ville cernée de collines boisées https://hotel-lesauvage.com

La maison et table d’hôtes Le Pré Oudot, une ancienne ferme comtoise.

Dans le Pays Horloger nous avons adoré notre trop court séjour dans une maison d’hôtes perchée à 1000 mètres d’altitude dans le massif du Jura. Un endroit authentique de tout confort dans une ancienne ferme comtoises de 1689 aménagée avec goût par Laurence Pequignet, épouse du célèbre bijoutier Emile Pequignet aujourd’hui retraité https://le-pre-oudot.fr

Se nourrir : Outre l’excellente table d’hôtes du Pré Oudot où le dîner convivial se partage autour de produits locaux cuisinés par Laurence Pequignet, on a apprécié le 1802 pour se souvenir de Victor Hugo né à Besançon en 1802), une brasserie chic avec une vaste terrasse ombragée sur la place Granvelle www.restaurant-1802.fr

 

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