Les récents incidents à Barcelone, Palma, Venise, Dubrovnik, en Thaïlande ou ailleurs, le prouvent : des autochtones sont prêts à en découdre avec le tourisme de masse qui bouleverse leur équilibre fragile. Daesh a réorienté les amoureux du pourtour sud de la Méditerranée vers les bastions nord, qui résistent…. mais débordent. Et le font savoir !
Des locaux aux abois
Depuis peu, les réactions de certains habitants de ces villes touristiques sont parfois virulentes face à leurs trop nombreux visiteurs. Elles s’expriment de façon brusque, violente, voire militante contre le tourisme de masse. Nous ne sommes heureusement pas dans une atteinte physique ou mortelle à la manière Daesh. Cependant, les atteintes hostiles à l’encontre des visiteurs se multiplient.
Des groupuscules nommés « Arran » ou « Endavan », mouvements séparatistes catalans (autrefois armés), estiment que les touristes mettent à mal leur identité et leurs repères. Ils «se moussent» sur les réseaux sociaux.
Des réactions épidermiques qui dénoncent, le plus souvent, la hausse exponentielle des logements durant certaines périodes.
Avec 37 millions de touristes depuis le 1 janvier 2017, l’industrie touristique représente une économie primordiale pour la ville côtière de Catalogne. AirBnb, et l’industrialisation qu’en ont fait certains groupes, est pointé du doigt. A l’instar de très nombreuses villes à travers le monde, une sorte de « gentrification » est constatée. La population de souche diminue au profit de nouveaux venus. Très consciente du problème, la commune de Barcelone «parie actuellement sur la décroissance touristique dans les quartiers centraux de la ville», nous fait savoir RFI.
L’exemple des Cévennes
La particularité française est symptomatique d’une situation mondialement connue. L’Ardèche et le Gard sont situés à moins de 1.000 kilomètres de grandes capitales européennes.
Les salaires sont presque identiques entre un ingénieur allemand ou son homologue cévenol. Les deux départements français comptent néanmoins le plus grand taux de chômage de France.
Une situation qui grève durablement la possibilité de devenir propriétaire.Dans certains villages, de petites maisons se négocient à moins de 30.000 €. Éloignées des pôles industriels, elles n’intéressent que les allocataires sociaux ou … les touristes en mal de soleil. A titre d’exemple, une petite maison de village s’y louerait 350 € par mois à l’année. En saison touristique, elle se proposera 500 € la semaine de juin à septembre.
Les touristes payent d’avance. Le loyer est rarement déclaré. Les avantages d’une telle location sont indéniables pour le propriétaire. Alors que la population locale bénéficie de ce tourisme-là, elle semblerait en pâtir tout autant.
Quand peut-on dire qu’un lieu touristique est à saturation ?
Dans un entretien publié par le journal La Croix, Philippe Violier, directeur de l’UFR tourisme et culture à l’université d’Angers, confirme que concilier tourisme et vie locale est devenu un véritable casse-tête pour les autorités locales. A partir de quand, de quoi, peut-on déclarer une ville saturée ? Cette notion de saturation d’un lieu touristique a pourtant été théorisée en 1980 par William Butler, 30 ans après les premiers constats.
A cette époque, certains prédisaient la déchéance de la côte d’Azur. Certes, le public a changé et les célébrités préfèrent l’arrière-pays. Les milliardaires quittent la place pour des anneaux moins chers. N’empêche qu’entre le Muy et Saint-Tropez, plusieurs heures de voiture sont toujours nécessaires pour rejoindre ces deux villes distantes de 50 kilomètres.
Pour Philippe Violier, il est certain qu’une commune sudiste passant de deux mille habitants à plusieurs milliers durant l’été doit faire face aux conséquences.
L’eau et la problématique des déchets sont de cet ordre. La taxe de séjour serait une bonne solution pour pallier au surcoût communal direct.
L’aspect humain est au moins aussi important que la notion environnementale ou opérationnelle. « Dans les stations qui ont été crées par le tourisme ou qui vivent par lui, la plupart des habitants travaillent dans ce secteur », explique l’universitaire. Jusqu’alors résolue et intéressée, la population connaîtrait actuellement le revers de la médaille avec désormais quelques problèmes « d’usage ».
Des conflits naîtraient entre les touristes, ceux qui en vivent et ceux qui sont peu concernés. Des heurts liés notamment aux logements. Avec l’inflation immobilière, les locaux aux revenus moyens ne peuvent plus résider dans leurs lieux de naissance. Il prend pour exemple l’île de Noirmoutier où les épiceries anodines périclitent au profit des boutiques touristiques. Malgré cette saturation et les constats fait par W. Butler, aucune étude n’aurait pu, à ce jour, théoriser ce sentiment.
Concilier tourisme et vie locale
La problématique est identique à de nombreuses villes mitigées entre intérêts locaux, retombées financières et démographie. Dans un passé extrêmement récent, le tourisme a permis de redynamiser des stations oubliées. Lorsqu’il disparaît (les exemples sont foison) les économies en demeurent exsangues.
La régularisation est privilégiée. Certains souhaitent interdire la construction d’hôtels dans le centre. D’autres entendent établir des quotas de visiteurs ou d’éloigner les parkings des lieux de visite. Si certaines mesures se sont montrées bénéfiques, le Mont-Saint-Michel semble être le contre exemple parfait. Le site a perdu un million de visiteurs annuels.
Véritable revendication et mouvement excentrique, les contestataires du tourisme de masse se font entendre. Les attentes sociétales ne sont pas à oublier. Après les printemps arabes, il se pourrait bien que des milliers de « talibans verts », occidentaux aux revendications méprisées, s’expriment face à un libéralisme inadéquat.
Ces « attentes attentistes » ouvrent la porte ouverte à la Croatie, gourmande. Jusqu’il y a peu, la Roumanie offrait quelques kilomètres de côtes sur une mer Noire oubliée des touristes. Une solution à venir ?