Testé pour vous : The Good Night Train (2/2), l’avis des pros

Le chemin est plus important que la destination. Le slogan du slow tourism, romantisme et lenteur, ne vaut pas encore pour la formule de train de nuit. Que les participants au famtrip European Sleeper vers Prague aimeraient bien promouvoir mais ne savent pas très bien comment.

Si chaque expérience est bonne à vivre, les participants au famtrip organisé lors de l’inauguration de la ligne ferroviaire Bruxelles-Prague, opérée par European Sleeper, retiennent davantage Prague que le moyen pour y arriver. S’ils se sont amusés, bienveillants, à jouer la colonie de vacances sur rails, ils sont plus dubitatifs à l’heure de réfléchir à la possibilité de proposer la formule à leurs clients.

On loupe une tranche de la population

« Prague, évidemment, tout de suite. La destination ne fait aucun doute. C’est un city trip qui roule – en train comme en avion. Nous laissons le choix à nos clients et nous n’avons pas encore de véritable comparatif mais l’avion reste moins cher » explique Stéphanie Borret (TUI) « Ce ne sera pas facile à vendre. Je n’imagine pas une famille avec de jeunes enfants, c’est trop long et trop exigu. Des students, des écoles, sans doute. »

« Oui, faut vouloir rouler plus de 16h apporter le pique-nique et le petit-déjeuner pour toute la famille, dire aux enfants qu’ils ne peuvent pas courir dans les couloirs ni faire un peu de gym. » rit Myriam Aerts (Joker) en pensant à sa propre famille.

« J’en connais qui testeraient bien mais ils veulent être assurés du confort en plus de la démarche écologique. Ce que je ne peux pas leur promettre. Sur ce point, on loupe vraiment une tranche de la population » déplore Kristel Van Obberghem (Triton Travel).

Le roulis qui berce, le cocon et le pyjama

Tout le monde a envie d’aimer la formule. Les bruits et le roulis qui bercent, la sensation de cocon, l’humour qu’il faut pour s’entasser dans un si petit espace, pyjama ou pas pyjama.

Les atouts annoncés sont nombreux, mais aussi décortiqués.

– Economie de la première nuit d’hôtel. « Le calcul n’est pas tout à fait juste. Ou on est jeune et on peut tenir longtemps sans dormir. Ou, si la nuit n’est pas bonne, la première journée, on visite la ville comme un zombie, on ne profite pas et on rejoint l’hôtel au plus tôt pour s’effondrer. Les 16h de trajet, la fatigue et le prix ne tiennent alors pas face à 1h25’ en avion et une nuit dans un hôtel abordable. »

– L’absence d’attentes avant et après les vols consacrés à l’enregistrement, la douane, la récupération des bagages – « Là, c’est incontestable. Le train, c’est vingt minutes avant et tout de suite à la sortie. D’autant qu’on débarque en plein centre-ville. »

– Un sentiment de sécurité – « Oui, pour ceux qui ont peur de l’avion. Pour les anxieux, ils doivent s’assurer que quelqu’un garde leurs bagages lorsqu’ils se rendent aux toilettes à l’autre bout du couloir car on ne peut pas fermer le compartiment de l’extérieur et un sac à dos ne rentre pas dans la salle d’eau. »

– Pas de limitation de bagages – « Oui, et pas de limitation de liquides ! Mais pas si on est six dans le compartiment. L’emplacement se trouve sous le siège et il n’y pas de rack à l’entrée de la rame pour déposer les grosses valises. »

– La possibilité de prendre son chien ou son vélo – « C’est bien. A savoir qu’il faut payer et les garder avec soi, donc il faut réserver tout le compartiment. »

– Le combiné avec le pass Interail – « Logique, très bien. »

– La gratuité pour les petits jusqu’à 4 ans – « Mais ils doivent rester sur la même couchette que leur parent – personne ne dormira mais ça rigolera sans doute ! »

Sac à viande et lavabo contre douche et wifi

Comme ce voyage est aussi une façon d’entretenir les bonnes relations entre la SNCB et ses partenaires, plusieurs agents de voyages spécialisés dans le tourisme MICE et Business avouent tout simplement ne pas avoir la possibilité de vendre ce concept. « Notre imaginaire en a pris un coup. On est loin de la poésie de l’Orient Express ! Avec des nouveaux trains et deux-trois arrêts au lieu de 17, un restaurant et davantage de confort, oui, peut-être. Mais nous ne pouvons pas le proposer à nos clients business dont nous gérons les déplacements. Ceux-ci veulent toujours aller vite, ne pas rester loin de leur famille trop longtemps et l’efficacité prime encore devant l’écologie » résument Laurence Sluysmans (FCM Travel Solutions) et Karin De Vreese (American Express Global Business)

Un produit pour le leisure

« Même si l’on sent une tendance et une sensibilité pour un moyen de transport plus propre, il leur faut au minimum un wagon-lit ou une 1ère classe. Plus de confort et des aménagements complets – nourriture, sanitaires, wifi, … Il n’y a pas tant de voyageurs qui aiment dormir tout habillés dans un sac de couchage et chercher un minuscule lavabo au bout du couloir plutôt que d’avoir une douche. Pourtant, Prague est aussi une destination business mais ce train de nuit est clairement un produit pour le leisure » ajoutent Inès Van Doorlaer (Omnia Travel) et Veerle Minte, (BCDTravel). « On le proposera par souci écologique, mais on nous dira non. Le business, c’est encore le temps et le confort, pas le slow travel. »

L’occasion ou la crainte de faire des rencontres

Mattthias Moerman (Atlas Reizen) a bien profité de l’expérience : « On a bien ri et donc c’est passé vite, il y avait de l’ambiance. Mais je n’aimerais pas refaire le trajet seul avec des inconnus dans le même compartiment. Je regarderais tous les aspects négatifs de la formule, le bruit, les arrêts. Mais je peux imaginer des groupes, des unifs, des ONG, des chercheurs qui se rendent à des réunions et qui ont cette conscience écologique qui supplante les détails moins parfaits. Car le trajet avec Berlin, Dresde et Prague, est très vendable – sur le papier….».

A l’opposé de cette crainte de mélanger les voyageurs, Kim Schynkels (BTS) aime justement l’idée de partager le trajet avec des inconnus. « Moi, je le proposerais même aux solos qui aiment la rencontre, aux copines et aux jeunes. Surtout qu’il est possible de choisir un compartiment mixte ou uniquement réservé aux femmes. C’est aussi cela le voyage, faire des connaissances. »

Un très grand choix de réservation

Le choix est effectivement un atout du système de réservation. A condition de s’y prendre au plus tôt, les agents de voyage peuvent conseiller au mieux les candidats et jouer avec leurs budgets. Choisir sa place en haut ou en bas, seul ou à plusieurs, dans une cabine perso, la possibilité de privatiser tout le compartiment sans remplir toutes les couchettes, embarquer son chien ou son vélo, dormir avec rien que des femmes. Les formules Easy, Flex et Good offrent beaucoup de possibilités. Et puis, il est encore possible de rouler de jour : 12h de trajet et 2 changements.

« Pour autant, on ne s’attend pas à un glissement de formule, plutôt à une augmentation générale gagnée sur le secteur aérien et les voitures. » assure Sammy Bonnewijn (Account Manager B2B SNCB International) « La plate-forme SNCB permet de réserver comme sur le site d’ES, aux mêmes tarifs – évolutifs en fonction des taux de remplissage – et c’est un grand avantage. »

Le sympathique organisateur du famtrip est évidemment conquis. « Les deux opérateurs du train de nuit (European Sleeper et l’Autrichien ÖBB Nightjet) se sont bousculés pour travailler avec nous et se sont partagés la semaine sans encombre. » La SNCB est presqu’au balcon, pourrait-on dire, puisque tout est géré par les sociétés privées. Celles-ci doivent évidemment s’adapter au paysage ferroviaire des pays traversés. « Non, il n’y aura pas de TGV car ceux-ci ne peuvent pas rouler la nuit. Oui, c’est encore plus cher mais c’est durable. Est-ce encore raisonnable de voler pour 124€ ? C’est une réflexion plus globale qui concerne toute l’industrie du transport. »

Car, bien sûr, tout le monde a pris la calculette pour trouver les différences de prix entre les trois moyens de transport, selon la distance (900kms), le profil des voyageurs et leur nombre. Et ce n’est pas gagné.

L’avion, c’est fini ?

Pour Colleen Dewulf (Railtrip Travel), la formule va de soi. « L’avion, c’est fini ! Pour ce Bruxelles-Prague, avec, en plus, la possibilité d’excursions à Padovice ou ailleurs, toujours en train, c’est un citytrip idéal. C’est l’ère du slow tourism, les personnes âgées apprécient et les écolos sont en demande. Reste à mieux s’organiser pour les PMR. »

Elodie Kenese (CroisiEurope) aime proposer le train à ses clients pour rejoindre les ports d’embarquement de CroisiEurope. « Comme nous ne travaillons pas avec les compagnies low-cost, les tarifs des trains sont abordables pour nos clients. Par exemple, pour notre croisière Prague-Vienne, c’est séduisant : Bruxelles-Prague à l’aller et Vienne-Bruxelles au retour. Cela dit, il ne faut pas vendre du rêve. Ce train de nuit est une expérience pour les aventuriers qui se foutent du confort. Pas pour les autres. Même si arriver au cœur des villes est vraiment un avantage. »

« Oui, des aventuriers, ou des jeunes. » confirme Carlien Augustynen (Connections) : « Je m’occupe des groupes scolaires et je vois que le bus est devenu beaucoup trop cher, notamment pour les voyages de rhétos. Je vois bien Bruxelles-Berlin-Prague avec le train de nuit, même au niveau tarifs. En revanche, les individuels, non. »

Christophe Leemans (Omnia Travel) résume bien l’état d’esprit des participants après cette expérience : « Il s’agit d’une belle alternative écologique et durable aux vols courts et moyens courriers qui doit encore s’adapter aux exigences du voyageur de 2024. C’est donc un produit compliqué mais de nouveaux voyageurs débarquent qui pourraient être intéressés. »

Le marché belge dans le viseur de la Tchéquie

Petra Koorn Paleckova, Director Czech Tourism Benelux, se réjouit évidemment de cette nouvelle route. Tout ce qui mène à la Tchéquie est une opportunité supplémentaire pour faire connaître son pays. « Nous sommes en pleine augmentation de nos visiteurs. Pas encore revenus à la situation d’avant la crise du covid mais cela ne saurait tarder. Et l’intérêt de la Belgique est aussi en augmentation. Les visiteurs belges, s’ils sont 69% à privilégier Prague, sont intéressés par la Moravie du sud, la Bohème du sud et la région thermale de Karlovy Vary. »

Encore une fois, le marché belge est loué par les acteurs du tourisme à l’étranger. « Ils restent un peu plus longtemps que la moyenne de nos visiteurs, soit 3,58 jours. Nous avons pour objectif de les attirer encore davantage et dans d’autres régions. Ils aiment tout ce que nous proposons : architecture, histoire, beaux sites, mais aussi les voyages en famille, la nature, la marche, le vélo. De toutes manières, Prague est une des plus belles villes du monde, moderne et vibrante, pour les jeunes comme pour les âgés. Je n’ai jamais entendu quelqu’un exprimer sa déception après sa visite ! ».

L’arrivée en gare du Bruxelles-Prague s’ajoute donc aux liaisons aériennes. « Et aux voyages en voiture que les Belges apprécient encore toujours. Mais le train de nuit devrait les séduire. Ou en attirer davantage ! »

Un pari qui ne peut pas dérailler

La difficulté réside dans le peu de matériel roulant disponible. Les robustes machines à la location affichent tout de même plus de cinquante ans et elles sont desservies par un confort inadapté aujourd’hui. Dans un futur proche, la coopérative devrait acquérir de nouvelles rames. La concurrence sur ses lignes de la société autrichienne ÖBB Nightjet (que nous n’avons pas testée) et le marketing d’enfer de la française Midnight Trains qui annonce, pour 2025, un véritable hôtel sur rails, avec personnalisation totale des espaces de nuit et des sanitaires, et une offre gastronomie, devrait les y pousser au plus vite. Car c’est très clairement le confort qui provoque la réticence actuelle.

A l’écoute des premiers retours, la compagnie European Sleeper vient tout juste d’annoncer le lancement d’un wagon restaurant sur la ligne Bruxelles-Prague. L’expérience pilote durera du 1er septembre au 1er novembre 2024. Le succès de la formule et l’état des nouveaux investissements espérés déterminera sa pérennité.

La question des prix doit aussi être analysée en permanence puisqu’à part les véritables écologistes qui ne doivent pas trop compter leurs sous, les voyageurs continuent toujours de calculer la différence avec les autres moyens de transport. Le pari ne sera donc remporté qu’à la condition de s’adapter aux temps modernes et à la concurrence.

Que font les pouvoirs publics ?

On souhaite très sincèrement que les initiateurs de la remise sur rails du voyage de nuit réussissent leur pari et élargissent leur cible au-delà des nostalgiques de la formule d’antan. Ceux-ci souffrent aujourd’hui de lumbagos et nécessitent plus de confort. Tandis que les plus jeunes et les familles, ils ne sont pas tous des backpackers écolos et sociables. Attention, donc, de ne pas vendre un train de luxe ou un hôtel sur rails, mais bien un concept avec ses avantages et ses inconvénients. Enfin, on espère que les pouvoirs publics vont réellement s’investir à la hauteur de leurs discours sur la mobilité douce et durable. Bon vent au train de nuit. Et, en attendant, bonne nuit aux voyageurs téméraires. Et vive Prague !

Lire la première partie : Testé pour vous (1/2) : The Good Night Train de Bruxelles à Prague

En savoir plus
– www.visitczechia.com
– www.prague.eu/fr
– European Sleeper : www.europeansleeper.eu/
contact [email protected]
– SNCB : https://www.b-europe.com/FR
contact [email protected]

1 COMMENTAIRE

  1. Bravo à cette journaliste pour ces 2 articles particulièrement complets et argumentés. Et qui donnent aux agents de voyages des vrais bons arguments lorsqu’un client souhaite réserver ce type de prestations.

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