« Qui paie mal paie deux fois ! »

Le 28 mars dernier, nous donnions la parole à ce propriétaire d’une agence bien établie qui suggérait aux agences aux prises avec des clients coupables d’aveuglement volontaire face à un fraudeur d’intenter des poursuites contre ces voyageurs (comme il l’a fait lui-même). Est-ce vraiment une bonne idée ? Nous avons demandé l’avis d’un avocat spécialiste de l’industrie, Me Daniel Guay.

Notre interlocuteur d’hier, rappelons-le, a dû faire face plusieurs fois à des chasseurs d’aubaines, naïfs ou négligents, qui ont payé cash des voyages à une personne non autorisée, laquelle les a réservés auprès son agence en utilisant une carte de crédit volée. Plutôt que de s’avouer vaincu, le propriétaire de l’agence a retracé les voyageurs et a intenté des poursuites pour qu’ils lui paient les voyages effectués à ses dépens.

Daniel Guay

« J’appuie sans réserve la recommandation de ce propriétaire d’agence », déclare Me Daniel Guay. « Deux récents jugements de la Cour du Québec démontrent clairement que si on paie quelqu’un qui n’est manifestement pas autorisé à recevoir ce paiement, on risque de devoir payer le tout une deuxième fois.»

21 000 $ CASH À UN QUASI-INCONNU…

L’un des jugements cités par Me Guay a été entendu en janvier cette année à la Chambre civile de la Cour du Québec. Il concernait une vente de 28.000 $ (17.600 €) de produits Transat à un groupe de voyageurs. Ce cas est particulièrement évocateur, selon Me Guay.

Les voyageurs avaient accepté de verser 21.000 $ (13.200 €) comptant à un quasi-inconnu, pour un produit valant 28.000 $. Apparemment, ils l’ont fait sans trop se poser de questions, sans avoir mis les pieds dans une agence de voyages, sans avoir vérifié si leur intermédiaire détenait des preuves qu’il était un agent en règle travaillant pour une agence en règle (ce qui n’était pas le cas). En retour de leur paiement, ils se sont contentés de deux reçus, sans s’inquiéter du fait que ceux-ci n’incluaient pas les taxes applicables.

« Si mon souvenir est bon, la transaction s’est déroulée dans un meublé loué pour la semaine. Quand on songe au montant impliqué – 21 000 $ quand même! –, tout ça paraît tellement brouillon. Ces gens auraient dû se méfier naturellement! Si on paye un voyage dans des circonstances aussi nébuleuses, on ne doit pas s’étonner d’avoir des problèmes par la suite », commente Me Guay.

De fait, Transat Tour Canada a poursuivi ces personnes à leur retour. Et a obtenu gain de cause sur toute la ligne. La Cour du Québec a condamné les voyageurs à payer à TTC la totalité du voyage, soit 28 078 $, plus intérêts et indemnité – cette somme s’ajoutant évidemment aux 21 000 $ déjà versés au fraudeur. Et dire qu’ils croyaient avoir déniché une aubaine!

« Qui paie mal, paie deux fois », écrit d’ailleurs l’honorable Eliana Marengo, dans son jugement publié le 7 février dernier. Me Guay abonde!

VOYAGE EN SOLDE SUR KIJIJI !

Le second jugement évoqué par Me Guay a été rendu en novembre 2017à la Division des petites créances de la Cour du Québec. Il concerne une vente de quelques milliers de dollars de Sunwing. « Dans ce cas, je crois que les voyageurs avaient fait leur achat sur Kijiji. Encore une fois, pour profiter de ce qui leur paraissait être une aubaine, ils ont accepté de payer un voyage en argent comptant, sans faire de vérification, malgré un contexte très brouillon », relate l’avocat.

À l’instar de TTC, Sunwing a obtenu gain de cause. « En fait, dans les deux cas, le tribunal en vient à la même conclusion : si on paie quelqu’un qui n’est pas autorisé à recevoir le paiement, que ce soit par négligence ou par aveuglement volontaire, on risque fort de devoir payer le tout une deuxième fois », explique Me Guay.

PAS DE JURISPRUDENCE… MAIS ARGUMENTAIRE SOLIDE

Puisque les deux jugements évoqués ci-dessus émanent d’une cour de première instance (et non pas d’un tribunal supérieur), ils ne créent pas de jurisprudence. Cela signifie qu’un autre juge qui serait appelé à rendre une décision dans une affaire semblable pourrait arriver à une conclusion différente.

Me Guay en convient. « Toutefois, l’argumentaire développé par les juges dans les affaires de Sunwing et de Transat est très solide et apparaît sans faille aucune », affirme-t-il. Selon lui, un propriétaire d’agence ou un voyagiste confronté à des voyageurs négligents ou volontairement aveugles face à un fraudeur ne devrait donc pas hésiter à les poursuive.

Que faire, exactement, si vous êtes confrontés à une telle situation? Si votre entreprise compte moins de cinq employés à temps plein et que les montants en litige n’excèdent pas 15.000 $ (9.500 €), vous pouvez présenter votre demande à la Division des petites créances de la Cour du Québec. Par contre, si vous n’êtes pas admissible aux petites créances, il faudra faire affaire avec un avocat. Mais souvent, le jeu peut en valoir la chandelle !

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