Où est donc passée l’inflation ? La question n’est pas bizarre, elle a été posée par mes confrères des Échos en France, mais également par Janet Yellen, la présidente de la banque centrale américaine.
L’inflation est à 3% au niveau mondial, mais elle atteint à peine la moitié de ce chiffre dans l’eurozone. La Belgique est une exception sur ce point, mais en moyenne, le taux d’inflation reste très faible, beaucoup trop faible en zone euro. Quant aux États-Unis, l’inflation n’est guère plus élevée, alors que ce pays a un taux de chômage très bas. C’est un mystère…
Ceux qui ont suivi des cours d’économie se souviennent sans doute de la fameuse courbe de Philips, du nom de l’économiste qui l’a inventée. En gros, cette courbe dit qu’il y a une relation inverse entre le taux d’inflation et le taux de chômage.
C’est assez intuitif, il ne faut pas être économiste pour y penser: quand le taux de chômage augmente, les salariés ont plus de mal à négocier leur salaire à la hausse, car la concurrence des autres chômeurs est forte. Et inversement, quand le taux de chômage est bas, l’inflation en censée être élevée, car les salariés sont en position de force pour négocier. Pour rappel, l’inflation devrait grimper, car les salaires font partie de l’indice des prix.
Mais l’exemple américain ou allemand montre que l’on peut avoir un faible taux de chômage et un faible taux d’inflation. Voilà pourquoi les économistes se grattent en ce moment la tête pour tenter de comprendre: mais où est partie l’inflation ?
Plusieurs explications sont en vogue. La première, c’est que les bons emplois, bien rémunérés ont été délocalisés, et que la génération du baby-boom qui occupait ces emplois a laissé la place à une plus jeune génération moins bien payée.
« Sommes-nous comme le serpent qui est aveugle lorsqu’il mue ? »
L’autre explication, c’est que la mondialisation a permis de libérer les anciens pays communistes de la dictature et de les enrichir. Mais, rien à faire, l’arrivée de ces pays sur le marché mondial s’est aussi traduit par le doublement de la main-d’oeuvre au niveau mondial, ce qui a pesé à la baisse sur les salaires et donc sur l’inflation.
Et puis, il y a la révolution numérique qui pèse également sur les prix. Les entreprises doivent en tenir compte, on le voit bien avec Amazon, il y a toujours un concurrent à un clic de votre commerce, et si l’entreprise veut continuer à vendre, elle doit comprimer ses coûts pour garder des prix faibles. Et les coûts qu’elle comprime sont souvent les coûts salariaux.
Il faut également reconnaître qu’avec la nouvelle organisation du travail, la tertiairisation de nos économies, la faiblesse voire la disparition des syndicats, tout cela fait que les salariés n’ont plus de « pricing power » comme disent les Anglo-saxons. À l’inverse d’une société comme Apple qui, elle, a ce « pricing power » et peut imposer des prix démentiels pour ses iPhone. Le salarié de base n’a, lui, pas ce pouvoir et cela se reflète au final sur l’inflation.
En conclusion, très provisoire, si l’inflation semble avoir disparu des pays occidentaux, c’est sans doute en partie parce que nous avons changé d’économie, sans le savoir. Exactement comme le serpent qui est aveugle lorsqu’il mue. C’est peut-être cela l’explication de notre ignorance actuelle.