Le vaste complexe sidérurgique de Völklingen Hütte construit au 19ème siècle et abandonné un siècle plus tard est le seul qui soit resté inchangé dans le monde occidental européen, ce qui lui a valu d’être inscrit en 1994 au Patrimoine culturel mondial de l’Unesco, premier monument industriel à figurer sur cette liste. Aujourd’hui il s’est converti en une insolite cathédrale de l’art et une extraordinaire invitation à l’escapade.
Au cœur de la Sarre, à une vingtaine de kilomètres de la frontière française, surgit un des derniers témoins de l’industrie de transformation du fer et de l’acier fondé en 1873. Le site qui couvre quelque 6 hectares impressionne par son étendue mais aussi par la verticalité de l’ensemble de ses fourneaux hauts de 45m qui s’étirent sur une plate-forme de 250m perchée elle aussi à 40m de hauteur.
Hors de service depuis un peu plus de 30 ans, l’usine de l’extérieur évoque un dinosaure gigantesque dont les membres s’étirent entre des poutrelles métalliques couleur rouille entrelacées, voire même enchevêtrées pour un regard de néophyte.
Nul n’a besoin d’ailleurs d’être fan d’histoire industrielle pour apprécier les détails techniques. Le site agit sur l’imagination du visiteur qui traverse les lieux comme s’il évoluait au cœur d’un incroyable décor d’autant que certains espaces abritent de prestigieuses expositions temporaires.
Retour en arrière
Au départ l’usine, modeste, ne fabrique que des poutres et des traverses à partir de minerais extraits des mines luxembourgeoises. En 1881 Carl Röchling achète le site désaffecté depuis deux ans déjà. Il n’est ni technicien ni passionné d’inventions quand il se lance dans l’industrie du fer et de l’acier, c’est surtout un financier qui voit loin. Il investit dans la construction des hauts fourneaux et des soufflantes à gaz, ce qui lui permettra d’être considéré à l’époque comme un industriel de dimension européenne.
Avec la première guerre mondiale, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre pour l’aciérie qui contribue à la fabrication de munitions pour l’armée allemande mais aussi de casques en acier de qualité supérieure grâce aux nouveaux fours à induction. Au lendemain du traité de Versailles, la France devient propriétaire des mines de charbon sarroises et de l’usine de Völklingen.
Quand en 1935 après le plébiscite prévu par le traité, les Sarrois votent à 90,8% le rattachement de leur territoire à l’Allemagne, Hermann Röchling, fils héritier de Carl et gérant de l’aciérie depuis 1905, choisit de mettre l’entreprise au service du Troisième Reich. Grand admirateur de Adolf Hitler, il fera partie de l’économie de guerre nationale-socialiste et sera nommé par Hermann Göring responsable de l’industrie militaire.
Dès le début de l’été 1940, des prisonniers de guerre et des travailleurs forcés belges et français sont affectés dans l’usine pour se concentrer sur la production de fûts de canons, grenades et pièces détachées pour l’aviation.
Près de 12.000 étrangers ont ainsi travaillé sur le site de Völklingen dans des conditions inhumaines
Au lendemain de la guerre, les principaux représentants de l’aciérie seront jugés au château de Rastatt et en 1949, ils seront condamnés à des années de prison, à la confiscation d’une grande part de leur fortune et à la perte de leurs droits civiques. La mise sous séquestre du site est toutefois levée en 1956 et l’entreprise restituée à la famille Röchling.
Les années 60 et 70 voient éclore un boom économique dans le secteur du bâtiment. En 1973, un nouveau laminoir, un des plus performants au monde, est même inauguré. Mais la crise de l’acier de 1975 ne va pas épargner l’entreprise qui va passer alors de mains en mains avec comme dernier acte l’arrêt des hauts fourneaux en 1986.
Cependant le site confié à l’Office sarrois de conservation du patrimoine va lui donner une seconde vie qui sera consacrée par l’Unesco en 1994.
Rencontre entre l’industrie et l’art
Au lendemain de la crise de l’acier en 1975, les fermetures massives se succèdent et personne ne sait trop que faire de ces outils de production obsolètes et souvent de triste réputation car ils sont entachés de souvenirs pénibles : dur labeur, une population ouvrière largement immigrée, un environnement toujours pollué par les retombées des fumées qui s’échappaient des fourneaux, des luttes menées et souvent perdues, etc…
Autant de raisons qui freinent toute idée de récupération patrimoniale, d’autant que pour beaucoup, cette architecture industrielle de jadis n’a guère de valeur esthétique.
Et pourtant quand on emprunte les chemins qui mènent des installations de frittage à la salle des soufflantes, de la ruelle des artisans à l’unique haut-fourneau accessible au public après réfection des escaliers et passerelles jusqu’au « gueulard » d’où les matières premières étaient versées dans les fourneaux, on se sent tout petit voire même ému au milieu de ce parc de découverte sur le fer, l’acier et la culture industrielle.
Quand on poursuit par une visite au Centre de Découverte multimédia Science Center Ferrodrom où on peut expérimenter et tester ses connaissances au fil d’une centaine de stations de découverte qui mêlent de manière parfois spectaculaire et toujours didactique l’histoire du fer et celle du site.
Au-delà de cette culture industrielle que l’on peut éprouver ici physiquement, les responsables qui gèrent le Völklingen Hütte ont aussi choisi d’ouvrir les lieux à des concerts, à des expositions temporaires, à une galerie d’art. Tous les objets exposés rehaussent le décor d’un lequel ils sont insérés.
Ainsi en est-il de cette centaine de statuettes naines noires, jaunes ou rouges qui parsèment le site depuis 2018. Créées par le sculpteur Ottmar Hörl, ces sculptures mettent en scène les ouvriers de l’usine avec leurs casques et tenues particulières, une manière de leur donner une seconde vie.
Une autre initiative artistique trouve ici son plus bel écrin, la Biennale d’Art Urbain qui se tient depuis 2001 chaque année impaire et présente les derniers développements et tendances d’un courant qui se veut international.
C’est ainsi que les lieux ont déjà accueilli des œuvres de street art signées entre autres par Banksy, Shepard Fairey et Jef Aerosol pour ne citer que certains. C’est aussi l’occasion de se faire connaître pour de jeunes talents qui exposent ou travaillent souvent directement dans ce décor impressionnant. En effet chaque année, des artistes sont invités à investir dans les parties extérieures de l’usine façonnant ainsi détranges fresques murales.
Texte : Christiane Goor Photos : Charles Mahaux
Infos pratiques
www.voelklinger-huette.org/fr Tout y est !
Sachez que le site est facilement accessible depuis la gare de Völklingen en 3 minutes à pied, qui elle est accessible depuis Sarrebruck en IC, ICE et TGV en 10 minutes.
Le site est ouvert toute l’année sauf aux réveillons. Chaque mardi le site (17 euros l’entrée) est gratuit à partir de 16h mais sachez que l’on peut aisément se perdre sur place durant 4 à 6 heures. Un conseil, n’y allez pas si le temps est à la pluie car 40% de ce qu’il faut voir se trouve à l’extérieur et la vue panoramique du haut de la plateforme du « gueulard » sur ce paysage apocalyptique nappé de rouille vaut le détour.