« Quand le prix du pétrole fait flamber la liberté »

Le référendum catalan a occupé les médias durant toute la semaine, et ce lundi en particulier. Ce vote est certes important, mais il a en partie occulté un autre événement majeur: la fin de l’interdiction de conduire pour les femmes en Arabie saoudite. Pourquoi une telle révolution ?

À première vue, cela a l’air anodin, voire anecdotique, pour nous autres Occidentaux, mais ce n’est hélas pas le cas pour les femmes saoudiennes. Le nouveau prince héritier vient de faire sauter un verrou hyper important, à savoir l’interdiction de conduire une voiture pour les femmes.

L’Arabie saoudite est le seul pays du monde à agir de la sorte et là-bas, les femmes ont exprimé publiquement, et avec ferveur, leur joie de voir cet interdit d’un autre temps ne plus être en vigueur à partir de 2018. Pour les Saoudiennes, la fin de cette interdiction de conduire une voiture est aussi importante que le droit de vote accordé aux Américaines en 1920. Et j’ai failli ajouter aux Suisses en 1971 seulement !

Mais bon, comme j’ai la charge d’une chronique économique, vous me voyez arriver avec mes gros sabots. En effet, si le prince héritier a fait lever cet interdit d’un autre âge, c’est aussi pour des raisons économiques. Son pays va mal, avec notamment le prix du pétrole qui est tombé pendant longtemps sous la barre fatidique des 50 dollars le baril et avec la guerre au Yémen qui pompe des dizaines de milliards de dollars à son pays.

Le prince héritier a compris qu’il doit moderniser son pays à vive allure, du moins, si la Monarchie qu’il représente veut survivre pour quelques décennies encore. Aujourd’hui, ce prince héritier a donc compris qu’il doit absolument augmenter la présence des Saoudiennes sur le marché de l’emploi, un marché occupé par 22% de femmes seulement contre 40% dans d’autres pays du Golfe persique. Et il n’y a pas de secret, le transport est le principal frein au travail des femmes, d’autant que les transports en commun en Arabie saoudite sont fort peu développés.

Souvent plus diplômées que les hommes, les femmes saoudiennes peuvent doper la productivité de ce pays, mais pour cela, il faut lever le zèle de la police religieuse et les traditions bédouines encore en vigueur sur place. Car la mobilité n’est pas le seul obstacle à l’épanouissement des femmes saoudiennes. Je rappelle que sans voiture, pas possible de faire des courses, de chercher ses enfants à l’école, au centre sportif… ou alors il faut payer des taxis ou un chauffeur privé et cela grève le pouvoir d’achat des familles modestes. Cette autorisation de conduire une voiture va donc redonner du pouvoir d’achat aux familles saoudiennes.

« Aucun pays ne peut se priver de la force de travail et de l’intelligence de la moitié de sa population »

Mais d’autres obstacles subsistent, comme la séparation entre les deux sexes sur les lieux de travail. En effet, les entreprises locales ne sont pas très pressées de reconfigurer leurs locaux et pas mal de ces entreprises sont paresseuses et préfèrent tout simplement renoncer à engager du personnel féminin.

Bref, les dirigeants saoudiens ont enfin compris qu’aucun pays au monde ne peut se priver de la force de travail et de l’intelligence de la moitié de sa population. Le prince héritier l’a bien compris, sans doute aussi parce que les caisses de l’État sont vides. Je rappelle que l’Union soviétique a explosé non pas grâce à la volonté de Gorbachev, mais en partie parce que le prix du pétrole avait fortement chuté à l’époque, ce qui a entraîné la faillite de l’URSS. Et quand l’Iran, pour prendre un autre exemple, dit qu’il est prêt à dialoguer avec les États-Unis, ce n’est pas par bonne volonté soudaine, mais parce que le baril de pétrole est au plus bas et que l’État n’a plus de quoi payer ses soldats et ses policiers.

L’exemple de l’Arabie saoudite démontre à nouveau que le prix du baril du pétrole est un bon indicateur de la progression de la liberté et de la démocratie dans le monde. Lorsque le prix du baril est haut, la démocratie baisse. Et lorsqu’il est bas, c’est le contraire. L’éditorialiste du New York Times, Thomas Friedman, disait même que c’est la première loi de la pétro-politique. Pourvu que ce baril de pétrole reste très bas et pendant très longtemps !

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