On se pose généralement cette question lorsqu’une société va très mal. Que va-t-on en faire ? C’est exactement l’inverse qui se passe dans le cas d’Aéroports de Paris, disons le Groupe ADP. Sa potentielle privatisation a soulevé un débat pour le moins inattendu. Les arguments pour la privatisation, c’est-à-dire la cession par l’Etat des 50,6 % du capital, sont aussi importants que ceux qui plaident pour garder la situation inchangée. Mais d’abord, de quoi parle-t-on ?
Le patrimoine du Groupe ADP
Au fil du temps et en particulier sur l’impulsion de son président Augustin de Romanet qui vient d’ailleurs d’être reconduit dans ses fonctions par anticipation, le Groupe ADP a considérablement étendu son activité. Notons d’abord qu’il est propriétaire de 6.686 hectares en région parisienne, ce
qui constitue en soi une valeur considérable.
Près de 67 millions de m² à 100 € du m², cela constitue un joli pactole de 6,7 milliards d’€. Ils sont répartis sur les 3 importantes plateformes parisiennes : Orly, Roissy et Le Bourget, mais aussi sur 10 terrains de la banlieue proche ou lointaine. Sur ces terrains, le Groupe ADP a construit d’énormes terminaux mais possède également un gros patrimoine immobilier : 1.310 hectares y sont consacrés.
Et puis le Groupe construit des aéroports partout dans le monde : il a été maître d’œuvre de 22 aérogares, et il gère de près ou de loin 24 aéroports dans 13 pays. Au total il contrôle plus de 280 millions de passagers ce qui en fait le premier gestionnaire aéroportuaire mondial. C’est assez dire que le Groupe ADP ne se borne pas aux deux grands aéroports parisiens Charles de Gaulle et Orly.
A qui appartient le Groupe ADP ?
Aux dernières informations, la capitalisation boursière se monte à 17,674 milliards d’€ avec un cours de l’action de 177,8 €.
Notons que le cours est presque 4 fois plus élevé que lors de l’entrée en bourse du Groupe le 16 juin 2006. L’action cotait alors 45,6 €. C’est assez dire la valeur considérable
que la société a acquise depuis sa création.
Notons aussi qu’à l’époque le groupe Air France/KLM était capitalisé largement au-dessus d’ADP alors qu’il ne représente maintenant que 25 % de sa valeur.
Cette manne si importante appartient certes à l’Etat français qui en détient la majorité avec 50,6 % mais aussi à l’aéroport de Schipol et de Vinci Airport pour 8% chacun, le reste étant réparti entre des institutionnels pour 20,1%, Prédica pour 5,1 %, des individuels 4,3 % et les salariés avec
1,6 %. Les actionnaires font d’ailleurs de très bonnes affaires car le Groupe ADP distribue 60% de son résultat net.
Quel est l’enjeu de la privatisation ?
Pour l’Etat français c’est d’abord une façon de valoriser concrètement son patrimoine en encaissant aux alentours de 9 milliards d’€, qui seront bien utiles pour combler le déficit permanent des finances publiques. Mais ce faisant il se passe d’un revenu récurent, autour de 200 millions d’€ par an et d’une plus-value potentielle énorme.
Si la progression du Groupe se maintient, on peut estimer que sa valeur aura au moins doublé d’ici 10 ans. Il n’est pas certain alors que l’Etat fasse une bonne affaire financière en cédant ses actions. Après tout il serait sans doute meilleur de vendre les participations qu’il détient dans Air France/KLM à la condition bien entendu que l’Etat hollandais en fasse autant.
Pour les actionnaires futurs, c’est une bonne affaire surtout si le périmètre de privatisation recouvre l’ensemble du Groupe. Pour un prix qui ne peut que monter dans le futur proche, il met la main sur un patrimoine considérable industriel, immobilier et foncier.
Certes les sommes à débourser sont très importantes, mais nul doute que la capacité de remboursement des nécessaires emprunts soit assurée, d’autant plus que les taux actuels sont extrêmement bas. Il y aura donc une forte lutte entre les différents investisseurs potentiels, tous de très grands groupes internationaux.
Vinci Airports aura certainement un grand avantage, d’abord celui d’être déjà dans la place, et puis le fait que l’Etat lui doit tout de même une compensation pour l’affaire Notre Dame des Landes.
Quel est l’intérêt de la privation pour les clients : compagnies aériennes et passagers ?
La question mérite vraiment d’être posée. Au-delà des aspects stratégiques, il y a celui des utilisateurs.
Est-on sûrs que la transformation d’un monopole public en un monopole privé leur soit bénéficiaire ? Comment être certains que les nouveaux actionnaires privés n’auront pas intérêt à pressurer leur outil pour se rembourser rapidement de leur mise au détriment des nécessaires investissements et de la qualité de service ?
Vu de l’extérieur, la seule bonne solution consisterait à ne privatiser que l’un des deux grands aéroports parisiens, probablement Orly. Ainsi l’Etat garderait la main sur un outil stratégique et empocherait tout de même un montant intéressant. Et une vraie concurrence serait créée entre les deux plateformes, ce qui assurerait une nette amélioration de l’accueil et du rapport qualité/prix pour les transporteurs.
Jean-Louis Baroux