L’Américain Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie bien connu, raconte que partout où il va dans le monde, on lui pose les deux mêmes questions: Donald Trump peut-il gagner l’élection présidentielle et comment se fait-il qu’il ait pu obtenir l’investiture d’un parti politique ?
Pour la première question, sauf surprise de dernier moment, c’est en principe Hillary Clinton qui devrait remporter les élections le 8 novembre prochain. En revanche, en Europe et partout ailleurs dans le monde, la seconde question reste ouverte. Comment se fait-il qu’un Donald Trump ait pu arriver aussi loin ?
Pour beaucoup de personnes qui ne sont pas américaines, la question se pose avec étonnement, car ce candidat cumule toutes les tares: il est misogyne, raciste, vulgaire et prêt à en découdre avec le monde entier. Quant à sa fortune, qui pourrait lui donner une légitimité de compétence – au moins sur le plan économique -, certains éditorialistes comme Jean-Marc Vittori des Echos se demandent même si ce n’est pas un handicap.
Après tout, Donald Trump a réussi dans des métiers connus pour leurs pots-de-vin, comme la promotion immobilière, ou pour leurs liens avec la mafia, comme le secteur des casinos. Et pourtant, environ 50 millions d’Américains ont déjà décidé de voter pour Donald Trump.
Pour la plupart des Européens, par exemple, c’est inexplicable. Et pourtant, c’est une erreur de jugement de notre part, car les Américains qui votent pour Donald Trump utilisent exactement les mêmes arguments que ceux ou celles qui votent ici pour des partis nationalistes, d’extrême droite ou d’extrême gauche.
« Êtes-vous sûr que les électeurs de Trump sont si éloignés de ce que l’on peut voir, entendre et redouter en Europe ? »
Il y a d’abord le rejet des élites. Qu’on fait les Britanniques en votant pour le Brexit ? Ils ont rejeté les élites qui leur disaient qu’ils auraient les pires ennuis s’ils quittaient l’Union européenne. Même chose pour le CETA. Les Wallons ont réagi d’abord négativement, car les élites ont négocié en catimini un accord supposé être trop compliqué pour l’expliquer à Monsieur et Madame Tout-le-Monde.
Il y a ensuite la peur du déclassement, face à la mondialisation qui fait encore des ravages (cf. l’affaire Caterpillar) ou face à la révolution numérique qui remplace les cols blancs, les cadres moyens et supérieurs, par des applications ou des algorithmes (ING, Axa, etc.).
Bref, aux États-Unis comme en Europe, il y a une partie de la classe moyenne qui a le sentiment que son avenir est bouché et que ses enfants vivront moins bien qu’eux-mêmes. Eh bien, figurez-vous que ce sont ces mêmes personnes qui votent pour Trump aux États-Unis. En Europe, ils pensent la même chose. La différence, c’est qu’ils votent Front National en France ou PTB en Wallonie.
Comme l’écrivait fort justement Jean-Marc Vittori, l’éditorialiste des Echos: « êtes-vous sûr que les électeurs de Trump sont très éloignés de ce que l’on peut voir, entendre et redouter en Europe ? »