La course Paris-Roubaix nous entraîne dans les histoires universelles de l’humanité entière et des coureurs en particulier. Nous avons emprunté les routes de campagne entre Troisvilles et Roubaix, mais nous sommes aussi allés regarder ce que les forçats de la route ne voient jamais.
Paris-Roubaix est la seule course cycliste au monde où, en fermant les yeux, on peut voir les champions du vélo sortant des nuages de poussière, des cernes noirs autour des yeux, avec de la boue de la tête aux pieds. L’espace de quelques heures, j’ai essayé de les imiter.
L’omelette de Françoise
Troisvilles est le point de départ de notre randonnée. Le choix n’est pas anodin. Le secteur pavé de Troisvilles à Inchy est le premier emprunté par les professionnels. Mais avant de monter sur le vélo, l’omelette de Françoise est incontournable. Elle fait partie de la légende de Paris-Roubaix.
« Ça fait 19 ans que je leur fais l’omelette, raconte Françoise Santerre, la patronne du seul bistrot du village. Jean-François Pescheux, un des organisateurs de Paris-Roubaix, est arrivé un matin. Il m’a demandé s’il pouvait déjeuner. Je lui ai fait une omelette avec des œufs de la maison. Depuis, chaque année, les organisateurs viennent déjeuner. J’ai beaucoup de plaisir de voir tous ces gens comme les Amis de Paris-Roubaix avec qui on travaille beaucoup. Car les pavés, c’est aussi notre affaire.»
D’ailleurs, celui que Françoise préfère par-dessus tout, c’est le secteur pavé à la sortie du bourg, juste à gauche de la chapelle. Le premier des vingt-six secteurs pavés de l’épreuve, qui totalisent plus de 49 kilomètres. Elle l’appelle le «chemin».
Quand son petit-fils était bébé, elle sortait la voiture pour l’endormir. «On passait sur le chemin. Ça secouait tellement qu’en deux kilomètres il dormait. J’adore le vélo, malheureusement, je ne suis jamais libre le dimanche pour aller voir une course. Le café est le local des Trois Macots. Un macot, c’est un pigeon de n’importe quelle couleur du moment qu’il a du blanc sur la tête. J’ai toujours quatorze colombophiles comme clients. »
Mais la légende, c’est aussi et surtout les 150 kilomètres au programme.
Les premières heures se font à une allure régulière. Les secteurs pavés reviennent régulièrement, et là, l’expression « Tenir le haut du pavé » prend tout son sens. Eh oui, les pavés, c’est drôlement dur, ça secoue de partout, la tête qui fait boum boum, les os diling diling et les muscles sont raidis à mort … Pas question d’être inattentif une petite seconde, sinon c’est la chute ou la crevaison.
Germinal
Arrive Wallers, un endroit mythique. Sur le côté, le site minier. « Durant un peu moins d’un siècle, la mine a été dédiée à l’extraction du charbon, explique René Lukasiewicz, un ancien mineur. À la fermeture du charbonnage, tout était pratiquement mis en place pour la disparition. C’est grâce au tournage de Germinal en 1992 par Claude Berri que la fosse a été conservée. Aujourd’hui, le site accueille le centre de création cinématographique Arenberg Creative Mine. »
Un visage à la Raimu, des mains de travailleur, des petits bleus sur le corps, souvenirs d’un métier difficile, René Lukasiewicz est une icône à Wallers-Arenberg.
« Je suis entré à la mine d’Arenberg à 18 ans. Mon père venait d’être tué au fond, et c’était pour nous la seule solution pour conserver la maison des Houillères. La première fois, je suis descendu au fond avec mon voisin, Maurice Cochon, il m’a appris à ne pas avoir peur, il m’a fait visiter. J’ai aimé tout de suite l’ambiance entre les hommes. J’ai gravi tous les échelons, puis j’ai fait l’école des cadres. », se rappelle-t-il.
« Parallèlement, à 22 ans, je suis devenu le président d’une association des Jeunesses catholiques polonaises pour m’occuper de promouvoir le folklore polonais, car la communauté polonaise était importante. On organisait des stages de danse, des pièces de théâtre, des banquets. J’aimais m’investir dans la vie locale, c’est pour cela que par la suite j’ai été président du club d’athlétisme, président du club de handball et même adjoint au maire de la ville de Wallers. Lorsque les fosses ont fermé, j’ai proposé de sauvegarder le site et les chevalets, mais la ville ne pouvait rien faire seule. Le tournage de Germinal a empêché la démolition. Claude Berri m’a demandé de le conseiller sur le site. Renaud nous a encouragés à nous constituer en association. »
René et ses camarades proposent donc des visites du site, mais René figure aussi régulièrement dans des films. Dans ces bâtiments de briques rouges et à grandes fenêtres, surplombés par trois chevalements, dans cet espace dédié à Claude Berri, on observe plusieurs caméras, un studio son, un plateau TV complété d’un système de motion capture, une halle d’essai.
Toujours à Wallers, face à nous, la fameuse Drève des Boules d’Hérins, plus connue sous le nom de Trouée d’Arenberg. À l’entrée, une stèle en hommage à Jean Stablinski, ex-champion du monde qui proposa la traversée aux organisateurs.
Deux kilomètres et demi rectilignes de pavés en entrée, deux kilomètres aussi mythiques pour un cycliste que l’avenue des Champs-Élysées pour un touriste étranger. Heureusement, il y a un bas-côté, qui nous évite de rouler sur les pavés. Nous dépassons, nous croisons des promeneurs, des joggeurs, d’autres cyclistes. Il y a du monde en ce mercredi d’automne.
Le carrefour de l’arbre
Après Wallers-Arenberg, la route nous conduit à Orchies et son musée de la chicorée. Nous roulons et les quelques indices apposés sur les plaques – Bouvines, Charles De Gaulle, fortin – nous entraînent dans les histoires universelles de l’humanité.
Le « Pavé de Luchin », autrement dit le « Carrefour de l’Arbre » indique souvent le vainqueur de la classique. À ce moment-là, le corps rappelle qu’on a presque terminé celle qu’on nomme aussi « la dure des dures », « la Pascale », « la reine des classiques », et surtout « l’enfer du Nord ».
La chute
L’expression « L’enfer du Nord » n’a rien à voir avec les pavés, explique Françoise Santerre, présidente du club cycliste de Troisvilles. Après la première guerre mondiale, la course est à nouveau organisée. Le parcours est modifié car certaines routes sont inutilisables en raison de la violence des bombardements. Eugène Christophe, dit le Vieux Gaulois, qui trois mois plus tard sera le premier maillot jaune de l’histoire du Tour de France, part reconnaître le nouveau parcours en compagnie d’un journaliste du Petit Journal. Le paysage n’offre que désolation. Au milieu des villages réduits en cendres, entre les arbres décharnés et sur des routes défoncées, Eugène Christophe s’exclame : « Ici, c’est vraiment l’Enfer du Nord ».
Après une dizaine d’heures, le vélodrome se pointe, les portes sont ouvertes, ce qui n’est pas le cas tous les jours. Nous pouvons fermer les yeux et rêver à l’exploit, un seul instant, car sinon c’est la chute.
C’est que le vélodrome est aussi traître que les pavés, il demande une expérience et une grande attention.
Bon à savoir
-1- Des visites guidées du site minier de Wallers-Arenberg ont lieu les deuxième et dernier dimanches du mois. www.tourisme-porteduhainaut.com.
-2- La fête du vélo aura lieu les 7,8 et 9 avril 2017, à l’occasion du passage de la course cycliste. Au programme : des randonnées à vélo, notamment un contre la montre sur la trouée d’Arenberg, un village vélo avec différents stands et une visite guidée de la cité minière
-3- Du 30 juin au 16 juillet 2017, se tiendront les festivités liées au cinquième anniversaire de l’inscription du Bassin minier du Nord – Pas de Calais au Patrimoine mondial de l’UNESCO.