C’est un fait: la pandémie de Covid-19 va changer la manière dont les affaires se font, et cela vaut aussi pour les voyages. Le 17 novembre dernier, dans le cadre de la conférence DealBook du New York Times, Bill Gates, co-fondateur de Microsoft, déclarait qu’il prévoyait que «plus de 50% des voyages d’affaires et plus de 30% des jours au bureau disparaîtront » après la pandémie. Pour lui, le télétravail et les réunions virtuelles seraient désormais la nouvelle norme.
Trois facteurs clés qui le contredisent
De nombreuses réactions ont déjà été publiées sur le sujet sur des portails spécialisés. Récemment, Phocus Wire a publié la prise de position de Steve Black, co-fondateur et CSO de Topia, une plate-forme de vidéoconférence innovante. Il relève que Bill Gates sous-estime trois facteurs clés.
La relation humaine reste essentielle. « Nous sommes fondamentalement des créatures axées sur les relations et, même avec la technologie la plus avancée, lorsque les choses se bousculent, les affaires se font toujours en personne.»
Il relève en outre que Bill Gates lui-même a reconnu ne pas s’être fait de nouvel ami ou de nouvelle relation d’affaires cette année. L’annulation des conférences, des salons professionnels et autres événements de mise en réseau a rendu beaucoup plus difficile la création de nouvelles relations.
Deuxième facteur important, la course à la vente. « Votre CFO peut se réjouir de la baisse des frais de déplacement et de représentation cette année, mais demandez-lui ce qu’il pense des chiffres de vente. La plupart ne seront pas aussi enthousiastes, car l’un ne va pas sans l’autre.» La vente virtuelle fonctionne, mais si un concurrent se déplace en personne, le marché peut être quasiment considéré comme perdu. Sans compter qu’une énorme quantité de ventes incitatives, d’expansion et de rétention dépendent des relations personnelles.
« C’est souvent à l’occasion d’un déjeuner, d’un café ou d’un verre que les consultants et les vendeurs découvrent les autres défis auxquels leur client est confronté et qu’ils peuvent lui apporter leur soutien.» En résumé, plus la relation est faible plus il y a un risque de se faire dépasser par un concurrent. En l’absence de présence physique, le risque est encore plus élevé.
Dernier facteur relevé, ceux qui ne voyageront « jamais » vont devenir des voyageurs. « Lorsque tout le monde était au bureau, nous pouvions facilement nous réunir pour réfléchir, soit officiellement autour d’une table de conférence, soit de manière informelle dans la salle de repos. Avec la perte de connexion et les défis de la collaboration à distance inhérents au travail distribué, l’innovation s’est ralentie.»
A cela s’ajoute la difficulté de l’intégration des nouveaux collaborateurs recrutés à distance. « Les entreprises doivent rassembler leurs équipes pour faire avancer l’organisation.» Aussi, Steve Black s’attend à voir davantage de renforcement d’équipe en personne, de lancements de projets et de sessions de collaboration avec des personnes qui n’ont jamais voyagé. Celles-ci devront prendre la route pour deux rencontres annuelles ou une trimestrielle.
Une situation qui contraste avec celle d’autrefois où 20% du personnel était constamment en déplacement, tandis que 80% ne voyageait jamais. Avant la pandémie, la proportion était passée à 50% ou plus qui voyage une à deux fois dans l’année. « Les «guerriers de la route » se déplacent peut-être moins, mais le volume sera largement compensé par les importantes populations qui se déplacent pour le travail pour la toute première fois.»
Du changement, il y aura
Fort de ces constats, Steve Black reconnaît cependant que le seuil de justification d’un déplacement va probablement augmenter, avec un focus sur le ROI. Mais le voyage d’affaires restera essentiel pour la croissance des ventes, le renforcement des équipes et le maintien de la culture de l’entreprise.
« Un bon CFO ne pense pas seulement aux résultats et aux économies, mais aussi à la façon dont l’expérience des talents et la croissance globale de l’entreprise entrent en jeu. Rassembler les gens est essentiel pour établir rapidement la confiance et les relations, se rallier à une cause et redynamiser et motiver l’équipe, autant d’éléments essentiels à l’innovation.»
Mise en place de politiques intelligentes
Pour bien se préparer, les entreprises doivent ainsi songer à mettre en place des politiques de voyage intelligentes, des normes de conformité et effectuer une tenue des dossiers irréprochable. Une stratégie doit être déterminée. Il faudra ainsi déterminer le cadre d’un voyage d’affaires et la justification de la dépense.
Cela ne vaut pas seulement pour de nouvelles relations, mais aussi pour la consolidation d’équipe et l’intégration de nouveaux collaborateurs. Si ces derniers sont entièrement à distance, combien de fois devront-ils rencontrer virtuellement leurs collègues pour développer une relation d’équipe?
Steve Black n’hésite pas à recommander d’intégrer de l’inclusivité dans la politique de voyage. L’entreprise devrait tenir compte des collaborateurs à haut risque ou qui sont dans des situations familiales ou personnelles difficiles, que ce soit avec des enfants ou des personnes âgées dont ils doivent s’occuper. Idéalement, il ne faudrait pas désavantager celles et ceux qui ne peuvent quitter leur domicile.
2021, année des comptes à rendre?
2021 est une année qui pourrait bien être celle de l’audit. « Depuis un an environ, les gouvernements ont fait preuve d’une extrême indulgence à l’égard des questions fiscales et juridiques liées au lieu de travail des employés. La plupart d’entre eux étant aujourd’hui confrontés à des déficits budgétaires massifs, ne vous attendez pas à ce que cela continue – ils vont venir réclamer et demander des comptes aux entreprises. Les entreprises doivent savoir qui est / a été où, tant pour la conformité que pour la santé / sécurité.» La meilleure recette est le suivi automatique et en temps réel des employés.
La conclusion de Steve Black est que les raisons mêmes des voyages d’affaires n’ont pas changé. « Nous dépendons toujours des connexions personnelles pour que le travail soit fait ». Aussi, un rebond devrait s’observer aussi tôt que cela peut se faire en toute sécurité. Toutefois, cela s’accompagnera avec de nouveaux défis pour maintenir les risques et les coûts aussi bas que possible. « Les entreprises doivent être prêtes avec une stratégie solide et la technologie pour la soutenir, afin de rester en tête de la compétition. »
(CD)