Patrick Le Lay, l’ancien patron de TF1 avait choqué le monde culturel lorsqu’un journaliste lui avait posé la question de savoir ce qu’était son métier. A l’époque, Patrick Le Lay avait répondu que son métier de patron chez TF1 consistait «à vendre du temps de cerveau humain disponible à des annonceurs comme Coca-Cola».
Aujourd’hui, avec le recul du temps, je peux vous dire qu’il avait, hélas, non seulement raison mais qu’il était en dessous de la vérité. La dernière preuve a été donnée la semaine dernière avec le chèque de presque 70 milliards de dollars qu’a mis sur la table Microsoft pour acheter Activision Blizzard, un éditeur de jeux vidéo.
Pour l’industrie des jeux vidéo, c’est un montant historique et pour Sony, le concurrent de Microsoft dans ce secteur, c’est l’équivalent sans exagérer d’une attaque nucléaire. D’ailleurs, c’est simple, dès que l’annonce du rachat a été connue, l’action Sony a immédiatement perdu 12,8% en une seule séance boursière. Soit une perte de valeur de 20 milliards de dollars d’un seul claquement de doigt ! C’est ahurissant.
Les personnes qui comme moi ne jouent pas doivent revoir leur jugement à toute vitesse. Primo, c’est contre-intuitif, mais environ 70% des personnes jouent à un jeu vidéo, sans doute de manière occasionnelle mais ils jouent quand même. D’ailleurs, là encore, les chiffres le montrent bien, nous avons déjà 3 milliards de joueurs aujourd’hui et ils seront 4 milliards pour 2030 selon les estimations les plus fiables.
Secundo, le patron de Microsoft a bien compris que l’industrie des jeux vidéo va supplanter l’industrie du cinéma en terme de chiffre d’affaires. En d’autres mots, si le grand écran était l’industrie culturelle du XXème siècle, celle du XXIème siècle sera celle des jeux vidéo. Voilà pourquoi Microsoft a signé un chèque de presque 70 milliards de dollars. Avec cette somme d’argent, le géant de Seattle s’achète d’un seul coup l’un des plus grands éditeurs de jeux vidéo, avec à la clé, 400 millions de joueurs dans 190 pays et des jeux très addictifs comme Candy Crush, Call of Duty ou World of Warcraft.
Pour Microsoft, ce rachat est aussi une manière de rentabiliser ses ventes de consoles Xbox. En effet, aujourd’hui, les consoles de jeux vidéo se vendent au prix coûtant voire même à perte. Nous sommes donc dans le modèle du rasoir: on gagne sa vie non pas avec le rasoir (hardware) mais les lames (software). En clair, en rachetant à tour de bras des éditeurs de jeux, Microsoft nourrit en contenus exclusifs son Game Pass, un service par abonnement qui est une sorte de Netflix des jeux vidéo.
Votre magazine préféré reviendra bientôt en détail sur cette opération et sur ces conséquences au niveau du business. Retenez juste que nous sommes bel et bien entrés dans «l’économie de l’attention». Microsoft et les autres géants du numérique se disputent, en effet, notre attention car elle vaut de l’or.
Mais c’est aussi une manière polie de dire que ces géants sont en train de «hacker» notre temps de cerveau humain disponible. Pendant ce temps, les médias et les réseaux asociaux continuent de nous parler quasi exclusivement du virus. Et ça, pour moi, c’est du piratage de notre intelligence.