Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais dès que quelqu’un me parle de la deuxième vague d’épidémie ou me saoule avec le « monde d’après », je me mets instinctivement en « mode avion ». Je n’écoute plus.
Il est barbant, à la fin, de lire, ou d’écouter les mêmes experts en chambre, qui n’ont rien vu venir hier, m’expliquer ce à quoi pourrait ressembler demain. Les politiques, éditorialistes et autres vedettes (notamment dans le monde culturel) me font penser à Raymond Devos qui déclarait dans l’un de ses sketchs : « Se taire quand on n’a rien à dire ? Alors là, non ! C’est beaucoup trop facile ! ».
Pour ma part, et au risque d’offusquer les belles âmes en mal de Grand Soir, je partage assez bien l’avis du philosophe Luc Ferry, lorsqu’il écrit que le monde de demain sera « à 99 % comme celui d’avant, mais en plus pauvre, moins facile à vivre et plus contraignant ».
Plus pauvre ?
C’est une évidence, utilisez Google et retrouvez l’interview donnée par Pierre Wunsch, notre gouverneur de la Banque Nationale à mes confrères de La Libre, le samedi 23 mai. Sa déclaration principale ? « On est parti, il faut en être conscient pour une période de dix années difficiles pour les finances publiques (…). On sera collectivement plus pauvres (…), les défis de la Belgique – finances publiques, investissements publics, stagnation de la productivité, vieillissement de la population – restent les mêmes mais on aura moins d’argent pour les affronter ». Clair, non ?
Les plus optimistes diront que la transformation numérique de notre société a été accélérée par cette crise, que les patrons ont appris à faire confiance à leurs employés, qu’ils ont pu constater que la performance était au rendez-vous. Et c’est vrai que le travail à distance force certains employés à montrer leurs réalisations plutôt qu’à jouer des jeux de rôle ou à faire diversion avec la carte du présentéisme.
Bien sûr, à long terme, le télétravail sera un bienfait, mais gardons aussi à l’esprit que la productivité des entreprises, donc leur rentabilité, va d’abord plonger au cours des prochains mois.
La raison ?
Les entreprises ont redémarré mais en mode dégradé. En clair, la distanciation obligatoire des collaborateurs, la désinfection permanente des locaux, la mise en place d’équipes au nombre réduit et aux horaires décalés, tout cela induit des surcoûts pour les entreprises concernées. Les experts les estiment entre 10 à 20% du coût quotidien d’une entreprise.
Et si le surcoût de ces nouvelles normes sanitaires perdure, surtout lorsque les aides de l’Etat (chômage temporaire) ne seront plus là, les entreprises adapteront leur structure de coût. Elles ont deux choix : le plus évident, c’est d’augmenter leurs prix. Mais est-ce possible lorsque des entreprises au bord de la faillite vont jouer la carte des prix bradés? L’autre choix, plus vraisemblable, sera de baisser les charges sociales, via des plans sociaux ou via la robotisation.
« Toutes les tâches répétitives effectuées par des êtres humains seront méthodiquement remplacées par des machines », prophétise Patrick Artus, économiste chez Natixis. En effet, le nouveau capitalisme numérique va polariser le marché du travail. Au bas de l’échelle salariale, les métiers de services liés aux personnes : des services non automatisables mais souvent mal payés.
Et en haut de l’échelle salariale, des emplois à forte valeur ajoutée, prestés confortablement de chez eux par des BAC + 5. Et puis, au milieu, les emplois intermédiaires – ceux de la classe moyenne – remplacés par les machines et autres algorithmes.
Que faire, docteur ? Qui suis-je pour vous le dire ! Mais j’ai une modeste piste sous forme d’un vieux proverbe de la Légion étrangère : « Entrainement difficile, guerre facile ». Bref, n’attendons pas le massacre social des prochains mois ou années pour nous réinventer.
N’oublions jamais que celui qui néglige de se préparer doit se préparer à être négligé.