Jusqu’à présent, le monde des réseaux sociaux était bâti sur un deal simple: nous offrons nos données personnelles et l’accès au meilleur du monde numérique nous est offert gratuitement en échange. Nous avons ainsi partagé nos intérêts et nos obsessions les plus intimes avec Google et Facebook pour ne citer que ces deux géants du Web. En contrepartie, ils nous ont vendus !
Ou, pour être précis, ils ont vendu nos données personnelles contre de la publicité très ciblée. Dès lors que le produit (ou service) était gratuit, nous avons implicitement accepté d’être le produit.
Malgré les nombreuses alertes sur les conséquences négatives de ce pacte faustien, les utilisateurs semblaient heureux et les fondateurs de ces réseaux sociaux sont devenus multimilliardaires. Et notre vie privée dans ce marchandage ? Simple, elle n’avait plus de valeur à nos propres yeux. La question était devenue saugrenue, voire oiseuse : comme le faisait remarquer le New York Times, autant demander à un exploitant agricole s’il souhaite traire ses vaches à la main comme autrefois.
Bref, notre vie privée était devenue obsolète par choix délibéré. Nous avons accepté une servitude volontaire pour obtenir gratuitement le rêve numérique. Les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) et les autres géants du numérique étaient d’ailleurs convaincus que la vie privée appartenait au passé. La preuve ? Malgré ce deal implicite (vos données personnelles contre la gratuité des services), les utilisateurs restaient fidèles à Google ou à Facebook. N’était-ce pas la preuve que la vie privée n’avait plus aucune importance ? Le lobby en faveur des géants numériques avait d’ailleurs pour habitude de dire aux gouvernements qui tentaient de les contrôler : « Vous voyez bien que la vie privée n’intéresse plus personne ? Et puis, faites attention, si vous nous réglementez, vous allez freiner l’innovation ».
Argumentation puérile mais efficace. Toutefois, l’actualité récente a démontré que ces réseaux sociaux sont en réalité antisociaux comme l’affirmait The Economist. Le scandale de la société britannique Cambridge Analytica montre que notre démocratie peut être manipulée. Si un réseau social comme Facebook peut influencer les élections américaines ou un référendum sur le Brexit, alors – oui – la vie privée a encore de l’importance. Avec ce piratage des données de 50 millions d’électeurs américains, le grand public a enfin compris que le modèle économique de Facebook (et des autres réseaux sociaux) est un modèle de surveillance de nos faits, gestes et pensées. Bienvenue dans le monde du capitalisme de surveillance du consommateur !
« Le modèle économique de Facebook (et des autres réseaux sociaux) est un modèle de surveillance de nos faits, gestes et pensées »
Plutôt que d’améliorer notre démocratie, le modèle économique de ces géants du Web la tire vers le bas. Les gouvernements ont enfin compris qu’il fallait agir. L’Europe est en avance en ce sens sur les États-Unis. Nous avons une mémoire collective encore vive : les dirigeants savent les dégâts provoqués par la Gestapo ou les services spéciaux des anciens pays de l’Est. Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation RGPD en mai prochain, nos données nous appartiendront. Désormais, les sociétés détentrices de bases de données personnelles devront d’abord nous demander l’autorisation avant d’en faire un usage commercial.
Mais le hic avec les réseaux sociaux, c’est l’aspect asymétrique de la relation. La preuve, les conditions générales proposées par Facebook, Apple ou Google aux utilisateurs sont illisibles et relèvent plus d’un contrat « à prendre ou à laisser ». C’est notre servitude : comment quitter Facebook ou LinkedIn si tous nos amis ou relations y sont ? Quant à Facebook, son modèle est purement publicitaire : sans données personnelles, plus de carburant, et donc, plus de business. En clair, Facebook acceptera un peu plus de transparence pour calmer les gouvernements, mais ses dirigeants ne lâcheront pas le gâteau publicitaire.
Petit rappel : si Marc Zuckerberg pèse aujourd’hui 65 milliards de dollars, c’est grâce à nos données personnelles. Les politiques en charge de notre vie privée découvrent tardivement que Marc Zuckerberg est l’équivalent d’un enfant au volant d’un bulldozer. Il n’en maîtrise pas la conduite et, face aux dégâts, il a opté pour une stratégie de défense, genre « responsable mais pas coupable ». Une phrase d’Aristote mérite à ce propos d’être rappelée : « ce n’est pas un ami que l’ami de tout le monde ».