Les hommes d’affaires et les hommes politiques ont au moins un point commun, ils savent que les « défaites sont orphelines et que les victoires ont cent pères ». La commémoration de la chute du Mur de Berlin n’échappe pas à la règle.
Les Américains estiment qu’en épuisant les finances de l’Union soviétique avec leur coup de bluff de la « guerre des étoiles » consistant à entraîner les Soviétiques dans une course à l’armement qu’ils ne pouvaient pas gagner, Ronald Reagan est le véritable tombeur de l’Union soviétique.
Visiblement, les Allemands en doutent et refusent jusqu’à aujourd’hui d’ériger à Berlin une statue de l’ancien président républicain. Pour être exact, il y en a une qui vient d’être inaugurée, mais sur le… balcon de l’ambassade des États-Unis. Bref, c’est une statue en « territoire américain ».
A la limite, même les Saoudiens pourraient réclamer une partie des lauriers, car, à l’époque, ils se sont mis d’accord avec leurs alliés américains pour faire chuter le prix du pétrole et donc assécher les caisses de l’Etat soviétique. Mais bon, la résilience de l’Iran aujourd’hui montre que ce genre d’explication est un peu courte.
Bien entendu, il y a aussi la figure sympathique de Michaïl Gorbatchev qui bien avant de faire de la publicité pour les malles Louis Vuitton était déjà la mascotte de l’Occident. En refusant d’intervenir militairement dans les affaires intérieures de l’ex-Allemagne de l’Est, n’est-ce pas lui en quelque sorte qui est à l’origine de l’effondrement du Mur de Berlin ? Pour nous autres occidentaux, sans nul doute.
En revanche, et cela a surtout été souligné par l’écrivain Vladimir Fedorovski, en Russie, le nom de Gorbatchev est associé aux mots de « traitre » et de « crétin ». La preuve, non seulement, une partie de la population demande régulièrement qu’il soit jugé pour trahison, mais aujourd’hui encore, Michaïl Gorbatchev ne peut pas se mouvoir en Russie sans la présence de gardes du corps. Pire encore, Gorbatchev est le personnage le plus haï de l’histoire de la Russie, même Staline est plus populaire que lui.
La raison de cette haine ?
Selon Fedorovski, les Russes pensent que « les Occidentaux n’ont pas cherché à tuer le communisme, mais la Russie. L’émergence de Vladimir Poutine reflète cette frustration qui pousse aussi le pays dans les bras de la Chine ». Ils n’ont pas tort, car chacun sait que Gorbatchev a fait un cadeau inestimable à l’Occident : il a renoncé à ce que le régime tue pour se perpétuer.
Ce n’était donc pas une victoire de l’Occident, mais la décision des Soviétiques d’aller vers la paix, précise encore Fedorovski. Et au lieu d’aider ce peuple, l’Occident a décidé de s’inventer un nouvel ennemi : la Russie. Le bilan aujourd’hui est simple : 80% des Russes sont anti-occidentaux, alors qu’ils étaient à 80% pro-occidentaux avant la chute du mur.
Pour le reste, Vladimir Fedorovski, un ami des dirigeants de l’époque, nous rappelle que le KGB était au courant de ce qui se tramait en Allemagne de l’Est. Et au cours du mois de juin 1989, la question se posait de savoir s’il fallait ou non réprimer dans le sang la révolution en marche. La discussion s’éternisait sans prise de décision véritable entre les partisans d’une ligne dure et les partisans de l’ouverture, mais Raïssa Gorbatchev aimait que son mari rentre dîner à l’heure et il y faisait attention. Il a donc suspendu la réunion et a donné rendez-vous à tous le lendemain à 10H.
Et c’est là que Iakoviev, l’une des personnes présentes à cette réunion et l’un des théoriciens de la Perestroïka, a une idée de génie : il profite du fait que Michaïl Gorbatchev est en chemin vers son domicile pour appeler sa femme Raïssa. Après les usages protocolaires, il lui explique que certes les Soviétiques ont 500.000 hommes stationnés en RDA, mais que si on laisse le KGB et l’armée faire le sale boulot, ce sont eux qui prendront le pouvoir.
Au mieux, ils finiront par arrêter Gorbatchev, au pire, ils le liquideront. Et dans tous les cas, la Perestroïka, c’est fini. Le lendemain, le 10 juin 1989, Gorbatchev annonçait sa décision de ne pas intervenir militairement et de poursuivre l’ouverture. En quelque sorte, c’est une femme qui a fait tomber le mur de Berlin et pas un homme ! Et la date à retenir, ce n’est pas le 9 novembre 1989, mais le 10 juin 1989, date à laquelle Raïssa Gorbatchev a convaincu son époux de ne pas tuer pour sauvegarder le régime en RDA.