Le 20e siècle était notamment le siècle de l’or noir. Il a fait la fortune d’un Rockefeller, provoqué la crise de 1973 et fait le malheur des pays du Moyen-Orient. Et aujourd’hui, la mode managériale consiste à dire que nos données personnelles (Big Data) forment le nouveau carburant des entreprises.
De fait, la plupart des services proposés par Google, Facebook et consorts sont aujourd’hui gratuits car ces sociétés vivent non pas d’or noir, mais des données numériques que nous leur laissons quotidiennement via nos pérégrinations sur le web. Le revers de la médaille, c’est que nous sommes nus face à ces géants du numérique: ils savent tout de nous ou presque.
« Contrairement à l’or noir, nos données personnelles ne s’épuisent pas »
Bien entendu, la comparaison entre « or noir » et données numériques n’est pas 100% pertinente. Ne serait-ce que parce que l’or noir est une ressource rare et limitée, tandis que nos données ne s’épuisent pas. Que du contraire. A en croire les spécialistes, plus de 90% des données disponibles aujourd’hui auraient été produites au cours des deux dernières années !
Mais face à ce danger des services faussement gratuits (le prix à payer étant l’absence de vie privée par le bradage de nos données numériques intimes), je me propose d’illustrer mon propos par une excellente blague empruntée à Ralph Hababou, l’auteur d’un très bon ouvrage consacré à l’expérience client au temps d’Internet (1). Et comme dirait l’autre, une bonne blague vaut bien un long discours:
– Bonjour ! Je suis bien chez Gordon Pizza ?
– Non, Monsieur, c’est Google Pizza.
– Ah, pardon, j’ai composé un mauvais numéro ?
– Non, monsieur, Google l’a racheté.
– Ok, pouvez-vous prendre ma commande s’il vous plaît ?
– Eh bien, Monsieur, vous prendrez comme d’habitude ?
– Comme d’habitude ? Mais vous me connaissez ?
– D’après notre système d’identification des numéros d’appel, lors des 12 dernières commandes, vous avez pris une pizza avec du fromage, des saucisses, et une croûte épaisse.
– Oui, c’est bien cela !
– Puis-je vous suggérer comme garniture cette fois-ci de la ricotta, de la roquette et de la tomate séchée ?
– Non, merci, je déteste les légumes.
– Mais votre taux de cholestérol n’est pas très bon.
– Comment le savez-vous ?
– Par le biais du guide des abonnés, nous disposons de résultat de vos analyses de sang au cours des sept dernières années.
– D’accord, mais je ne veux pas cette pizza, d’ailleurs, je prends déjà des médicaments.
– Vous n’avez pas pris votre médicament régulièrement : il y a quatre mois, vous n’avez acheté qu’une seule boîte avec 30 comprimés dans une boutique du réseau Drugsale.
– J’en ai acheté plus, mais dans une autre pharmacie !
– Cela n’apparaît pas sur votre relevé de carte de crédit.
– J’ai payé en espèces !
– Mais vous n’avez pas retiré cette somme d’après votre relevé bancaire.
– J’ai d’autres sources de revenus en espèce.
– Cela n’apparaît pas non plus sur votre dernier formulaire d’impôts, sauf si vous avez obtenu ces espèces à partir d’une source de revenus non déclarée.
– Que se passe-t-il ? J’en ai assez ! Je suis fatigué de Google, Facebook, Twitter, WhatsApp et tous les autres. Je vais aller sur une île où il n’y a pas d’Internet, pas de téléphone portable et personne pour m’espionner.
– Je comprends, Monsieur, mais vous devez d’abord renouveler votre passeport puisqu’il est expiré depuis 5 semaines…
(1) Ralph Hababou, Service Gagnant 3.0, First Editions