Minés par le succès des sites de locations entre particuliers, les hôteliers en viennent enfin à penser à de nouveaux modèles, à se diversifier et à sortir de l’hôtellerie pure.
Bousculée, désarçonnée, désorientée… par les agences de voyages en ligne et à présent par les sites de location de logements de particuliers à particuliers (Airbnb, Abritel,…), l’hôtellerie commence sérieusement à se poser des questions sur son avenir et sur ce qu’elle doit faire pour encore capter des clients.
Même si les chiffres d’activité stables depuis 6 ans contredisent cette impression, les hôteliers croient qu’un pan entier de clients est en train de leur échapper pour se rendre vers des opérateurs qui proposent autre chose.
Les nouveaux acteurs du Net, que personne n’avait vu arriver, sont évidemment à l’origine de ce chamboulement des hébergements touristiques. Car ce n’est pas seulement leur performance commerciale — ils ont réussi à la fois l’industrialisation et la personnalisation, ce qui est le rêve de tout marketer —, qui font se remettre en question les hôteliers. L’arrivée massive d’hébergements originaux, inattendus ou dépoussiérés (par rapport à ce qu’on a connu jusqu’ici dans les gîtes et le locatif touristique), qui plaisent furieusement à la clientèle, finit de semer le doute par rapport aux bons vieux hôtels et leur offre si connue, voire usée.
Dans une grande étude auprès de la clientèle hôtelière que Coach Omnium avait réalisée, déjà 48 % des clients d’hôtels se disaient lassés de l’hôtellerie à cause de son uniformité, des concepts d’hôtels qui ne se renouvellent pas, du mimétisme, du trop vu, du retard de modernité… Ces clients-là — voyageant pour affaires ou pour loisirs — attendaient la nouveauté et surtout la diversité telle qu’on la trouve aujourd’hui.
Encore maintenant, notre dernière étude sur la notoriété et l’image des chaînes hôtelières intégrées et volontaires, nous apprend que si les réseaux peuvent être considérés par les clients d’hôtels comme fonctionnels et même confortables pour certains, ils ne sont pas perçus comme conviviaux, accueillants et surtout pas attachants. Les voyageurs se fidélisent pour des raisons pratiques, mais le cœur n’y est pas. Etonnant. Or, comment mieux s’attacher ses clients sinon en étant attachant ?
Appartements proposés comme dans des revues de décoration
En dehors des unités super-économiques parues à la fin des années 1980, de la proposition de chambres familiales et bien plus tard des boutique-hôtels qui n’avaient innové que par le décor, c’est ailleurs, dans les hébergements dits alternatifs que l’on a su vraiment faire preuve d’originalité et d’innovation. Même si tout n’a pas rencontré le même succès entre appart-hôtels, hôtels éphémères de glace, chambres-capsules, hôtels sous-marins ou flottants,… et à présent par la location remise aux goûts du jour de maisons et d’appartements vendus de manière valorisante comme dans des revues (au papier glacé) de décoration.
Après avoir longtemps regardé passer les trains, les hôteliers commencent à réfléchir et à accepter de faire évoluer leur modèle. Car, ce qui était leur force auparavant devient leur faiblesse : la chambre d’hôtel est universelle et ne change pas que l’on reçoive des voyageurs d’affaires, des couples en week-end, des petites familles, que l’on séjourne plusieurs jours ou une seule nuit, etc. Or, tous ont des envies et des besoins différents en fonction de leur motif de séjour et de multiples autres critères ; et, c’est de plus en plus marqué et patent. L’immuable est passé de mode. On veut du personnalisé, des options en série et des choix à la carte.
Comme la chambre à géométrie et à décor variables n’existe pas encore — ou plutôt est trop chère à réaliser —, on se creuse les méninges chez les hôteliers. Dans les gammes économiques, on teste des variantes comme les chambres à partager, inspirées des auberges de jeunesse nouvelle génération (type Generator Hostels). On loue au lit avec un casier, en dortoirs, pour les fameux jeunes branchés, les globe-trotters, les backpackers et les groupes d’amis que ces hôtels veulent attirer. Auparavant, l’hôtellerie était trop chère pour ces publics.
L’hydride, une nouvelle solution ?
Associer ou compléter les classiques chambres d’hôtels avec d’autres formes d’hébergement dans un même établissement ou lieu est la solution hybride. C’est ajouter dans le jardin de l’hôtel des lodges, des chalets individuels, des cabanes dans les arbres ou sur l’eau (flottantes ou sur pilotis), des yourtes, des roulottes,… Ou encore séparer le bâtiment en deux, avec une partie hôtelière traditionnelle et des appartements en résidence de tourisme, comme on le fait depuis un certain temps déjà. Voilà de quoi toucher et étonner des clientèles avec des attentes différenciées et qui veulent quelque chose qui s’adapte à eux.
Un des avantages est que ces hébergements à l’air libre se voient et peuvent ainsi susciter l’envie, tandis que des chambres toutes décorées et aménagées différemment dans un même hôtel ne se voient pas. Un client ne loge que dans une chambre à la fois.
En somme, l’hôtellerie passe du marketing de l’offre au marketing de la demande. Mais, il en aura fallu du temps et cela reste lent.
Certains hôteliers s’adonnent même à Airbnb en louant un ou plusieurs appartements dont ils sont propriétaires pour s’adapter à cette vague de demande nouvelle. Bref, se diversifier tout en restant hôtelier, il fallait juste oser le faire après des années d’attentisme et d’hésitations, en étant sûr que rien ne changerait dans l’hôtellerie et qu’il faudrait toujours des hôtels comme on en a toujours connus.
Évidemment, cette approche hybride pour élargir son mix-clientèle rend la gestion, la commercialisation et la tâche de l’hôtelier plus complexes. Mais, c’est le prix à payer pour s’en sortir. En même temps, cela permet également de varier les opérateurs sur Internet avec lesquels travailler et son mix-marketing.
L’inconvénient est que l’administration, sans surprise, ne s’est pas encore mise à la page. Un hôtel qui offre plusieurs types d’offres ne peut pas être classé (étoiles). Rien n’est prévu dans les textes pour lui. En même temps, on peut à présent s’en moquer car il n’y a plus que 14 % des clients d’hôtels (64 % en 2009) qui prennent encore en compte les étoiles pour sélectionner leur hébergement.
Quoi qu’il en soit, les agences de voyages en ligne (OTAs) ont déjà compris bien avant les hôteliers l’intérêt de la diversification de son offre. Elles ne vendent plus seulement des hôtels mais de plus en plus toutes les sortes d’hébergement touristique, quand Airbnb commence de son côté à s’intéresser à l’hôtellerie, mais aussi à d’autres publics qui lui échappent encore. Seule la clientèle d’affaires, qui cherche la simplicité et la praticité dans ses déplacements, reste encore sous le monopole des hôteliers ; mais, pour combien de temps encore ?
Comme à la maison ?
En revanche, copier n’est pas raisonner. Beaucoup de professionnels de l’hôtellerie pensent que le succès des sites de locations d’appartement vient du côté « comme à la maison », comme Airbnb le prône dans sa communication. Ils veulent alors mettre en place de quoi rappeler cette approche par des codes décoratifs d’une maison bourgeoise, d’une ferme ou d’un loft.
D’une part, ils se trompent s’ils pensent que cet aspect ne peut venir que du décor. Prendre des décorateurs habitués à refaire des appartements de particuliers plutôt que des hôtels ne suffit pas. Le « comme à la maison » ne peut pas être du décor de cinéma. Il faut de la sincérité, du vrai, un cadre dans lequel on vit et qui est vivant,… Choisir du vintage, pourquoi pas, cela fait appel à des souvenirs et rassure. Mais là encore, il faut de l’authenticité et pas du toc.
Et, cela s’accompagne nécessairement d’un accueil différent, comme celui qu’une maîtresse de maison sait donner à des amis ou même à de simples locataires venus en vacances ou en week-end. Est-ce accessible pour les hôteliers ? Pas quand l’établissement a déjà une certaine taille et moins facilement avec une clientèle d’affaires majoritaire, qui part massivement à la même heure le matin. Mais, on peut imaginer un fonctionnement et une organisation de l’hôtel différenciés en semaine et en week-end.
Et puis, la grande question reste de savoir si les clients veulent vraiment retrouver la même chose partout, avec le risque renouvelé du mimétisme et de l’uniformité qui lassent tant. A chaque hébergement ses caractéristiques, pourvu que cela plaise au public.
D’autre part, notre récente étude sur la clientèle hôtelière et Airbnb nous apprend que le « comme à la maison » n’intéresse réellement que 20 % du public — seulement —, qui est autrement plus attiré et séduit par d’autres particularités au final plus fonctionnelles pour réussir son séjour (cuisine, wifi, espace, équipement,…).
Tout le monde chez les hôteliers croit en définitive que le « comme à la maison » est la nouvelle voie à suivre, la recette miracle insoupçonnée ; mais, c’est une fausse piste. Les gens veulent juste du dépaysement et être étonnés, même petitement.
Pour autant, il est certain que des ambiances et des architectures plus éloignées de l’immobilier de bureaux et plus proches de la maison sont ce qui sied aujourd’hui à l’hôtellerie. Les décors contemporains et minimalistes ennuient ; les lobbies, les couloirs et les chambres plus chaleureux, plus habités et plus proches des gens, plaisent davantage. On aime le bois, le tissu, la pierre brute, le végétal ; on n’en peut plus du béton, de l’anguleux et du froid minéral. On aime l’espace aussi, d’où l’évitement des hôtels aux chambres petites par le public pour les séjours de loisirs. Prendre cela en compte est déjà le début d’une réflexion salutaire.
Les auberges de jeunesse, le locatif et l’hôtellerie de plein air ont réussi leur rajeunissement, pour mieux gagner des clients. Il ne manque plus que l’hôtellerie.
Lire également notre Livret de la Rénovation et de la Décoration hôtelières.