Les contes soufis, le pape Grégoire et notre peur ancestrale du Corona

Y a-t-il un lien entre le pape Grégoire, un conte soufi du Moyen-Orient et le coronavirus? C’est ce que vous découvrirez après la lecture de la chronique d’Amid Faljaoui.

En ces temps d’épidémie, je ne résiste pas au plaisir de vous soumettre un conte issu de la tradition soufie et relatif à la rencontre entre Nasruddin Hodja (ndlr : personnage mythique de la culture moyen-orientale du XIIIème siècle) et la… Peste.

« La Peste était en route pour Bagdad quand il a rencontré Nasruddin. Où vas-tu ?, demanda Nasruddin. La Peste répondit : A Bagdad pour tuer dix mille personnes. Plus tard, la Pesta croisa de nouveau Nasruddin. Très en colère, ce dernier lui dit : Tu m’as menti. Tu as dit que tu tuerais dix mille personnes et tu en as tué cent mille. Et la Peste répondit : Je n’ai pas menti, j’en ai tué dix mille. Les autres sont mortes de peur ».

J’ai pensé à ce conte lorsque j’ai constaté qu’un certain nombre de restaurateurs et tenanciers de bars (minoritaires heureusement) ont organisé des « lockdown parties » vendredi soir pour vider leurs fûts.

Interrogé par mes confrères du quotidien De Standaard, l’épidémiologistes Pierre Van Damme a confirmé que c’était une très mauvaise idée de s’être rendu à ce type d’événement (même s’il reconnait le drame de l’Horeca), « car mieux nous respecterons les précautions maintenant, et plus vite nous nous en débarrasserons ».

A vrai dire, je n’ai pas besoin de remonter la machine du temps et d’aller au Moyen-Orient pour montrer à quel point le mental humain n’a pas changé et peut parfois accélérer involontairement sa propre perte.

Le sociologue Gérald Bronner a rappelé à mes confrères du Point que lorsque la peste fut entrée à Rome en 589 et qu’elle emporta le pape Pélage II, son successeurs, Grégoire, prit l’initiative d’organiser des processions. Décision catastrophique s’il en est, car elle a bien entendu accéléré la diffusion d’une maladie qui se nourrit des interactions humaines, exactement comme le Covid-19.

Sauf qu’à l’époque, ils avaient au moins l’excuse d’être ignorants et de ne pas être abreuvés d’informations 24H sur 24H et 7 jours sur 7. Mais justement, hormis ce cas malheureux (à oublier au plus vite), le danger aujourd’hui, c’est « l’infodémie » comme la nomme l’OMS (organisation mondiale de la santé). Autrement dit, un besoin urgent de repères qui conduit nos concitoyens à une surinformation sur l’épidémie du coronavirus.

Le « hic », c’est que la peur est un très bon produit sur le marché de l’information. Il scotche le téléspectateur aussi sûrement que les phares d’une voiture un lapin.

Le deuxième « hic », c’est que nous ne sommes pas outillés psychologiquement pour encaisser un tel déluge d’information. Motif ? L’universitaire Gérald Bronner en a fait la remarque au micro de France Culture, nous faisons difficilement le distinguo entre les conséquences directes et indirectes d’un événement négatif comme le coronavirus.

Résultat, nous risquons d’agir en dépit du bon sens. La preuve ? Lorsque les deux avions se sont encastrés dans les tours jumelles de New York, la plupart des citoyens ont évité de prendre l’avion après le 11 septembre 2001.

Mais les statisticiens ont constaté une hausse du nombre de morts par rapport à la moyenne habituelle. Par prudence, nous avons collectivement opté pour la voiture qui est statistiquement plus dangereuse que l’avion. Bref, le résultat a été le contraire à celui escompté.

Faut-il pour autant critiquer cette peur qui assaille la plupart de nos concitoyens ? Non, d’abord, parce que ce serait déplacé et trop facile. Ensuite, parce qu’elle est le résultat d’une peur ancestrale.

Durant des millénaires, au moindre danger, nous devions courir aux abris pour nous protéger d’un éventuel prédateur. Les « peureux » de l’époque ont eu statistiquement plus de chance de survivre que les téméraires. En d’autres mots, la surestimation du danger fait partie intégrante de notre héritage ancestral. Et comme le dit joliment Gérald Bronner, si nous sommes encore là sur cette planète, c’est que nous sommes probablement les descendants de ces…. peureux.

Pour ma part, j’essaie de vivre cette période en restant « alerte mais pas alarmé » et en gardant à l’esprit cette phrase du philosophe persan Rûmi : « L’art de la connaissance, c’est de savoir ce qui doit être ignoré ».

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