Il y a exactement 50 ans, le 6 décembre 1972, le tout premier Airbus nommé A300B1 prenait l’air à Toulouse. C’était le début d’une histoire à succès, même si la mort prématurée de la société avait été annoncée et frôlée à de nombreuses reprises.
L’A300 ne fut pas un succès commercial avec seulement 561 commandes (+ 251 pour sa version plus évoluée, l’A310), malgré une production longue de 35 ans. Mais l’A300 a été le catalyseur qui a lancé Airbus et unifié l’industrie aéronautique européenne face à ses concurrents de l’époque, Boeing, Lockheed Martin et McDonnell Douglas. Et malgré des bâtons dans les roues venus de toutes parts : le motoriste britannique Rolls Royce, les compagnies nationales française et allemande, et même les pilotes qui n’étaient pas très favorables à deux grandes nouveautés : un gros porteur à deux couloirs avec seulement deux moteurs, et un cockpit à deux pilotes.
Des tentatives européennes incluant des avionneurs de deux pays différents avaient déjà vu le jour, mais aucune n’eut un franc succès : le BAC1-11, le Mercure, le Concorde et même la Caravelle n’ont pas crevé les plafonds de vente, loin de là. L’industrie américaine a traité de fous les ingénieurs allemands et français de vouloir un avion gros porteur avec deux moteurs ; pourtant, dix ans plus tard, le B767 entrait en service ! Et il fut mieux vendu que l’A300, à cause d’une erreur commerciale que les Français n’ont cessé de répéter sur Mercure et sur Caravelle : un rayon d’action trop court. L’ingénierie française a toujours voulu créer des avions capables de voler de Lille à Nice, c’était le critère demandé. Et en plus de cela, sans aucune capacité de fret ! On peut faire les meilleurs avions du monde, mais s’ils ne répondent pas aux besoins du marché, on n’en vend pas !
Malgré tout, Airbus a réussi, grâce à ses innovations. Si la cabine de pilotage à deux n’est apparue qu’en 1980 sur une version B4, Airbus a innové par son concept de bimoteurs, l’utilisation de technologies avancées et un design sophistiqué, en plus de créer un partenariat multinational basé sur l’expertise des meilleurs fabricants au monde. L’un des patrons d’Airbus avait même déclaré que si la Chine fabriquait le meilleur réacteur au monde, Airbus l’achèterait ! On ne peut comparer avec, par exemple, le succès promis à l’avion chinois C919, lequel n’est finalement qu’une copie d’avions existants.
Quand le premier A300 est sorti de sa chaîne d’assemblage, il est passé totalement inaperçu. Il faut dire que ce fut, en septembre 1972, en même temps que la sortie du premier Concorde. Les dirigeants d’Air France et de Lufthansa déclaraient simultanément que personne au monde (entendez des politiques) ne leur ferait acheter un avion s’il ne les agréait pas.
Le premier design de l’avion était fait sur un modèle à 300 sièges. Il fallait pour cela un réacteur approprié, et Airbus s’est tourné vers la perfide Albion. Perfide, parce que Rolls Royce, qui mettait au point un moteur pour le Lockheed 1011, exigeait pour Airbus un prix outrageusement plus cher que pour son concurrent : il était clair que RR ne voulait pas motoriser l’A300. Airbus trouve une solution en redessinant un avion plus petit, de 240 sièges, et se tourne alors vers General Electric et Pratt & Whitney. Rolls Royce n’est revenu chez Airbus que bien plus tard, pour équiper des versions des A330, A350 et A380.
Le lancement de cet avion plus petit a été décidé lors du salon du Bourget de 1969, un salon au cours duquel personne ne s’est intéressé au projet Airbus. Pourtant, lors de son premier vol, l’A300 a subi une impressionnante série de tests, vitesse, altitudes, auto-pilot etc. De plus, l’atterrissage eut lieu dans des conditions climatiques “limites”, un vent de côté de 28 nœuds avec des pointes à 34 nœuds s’étant levé, ce qui dépassait les limites prévues pour la certification. Mais les pilotes posèrent l’avion sans problème.
Après les deux premiers prototypes d’A300B1, et pour tenter de plaire à Air France, les ingénieurs ont proposé le modèle B2 avec un fuselage légèrement allongé pour loger trois rangées de sièges supplémentaires. Une impressionnante série de vols de démonstration commença : en Amérique du Sud, du Nord, en Afrique, en Asie, en Océanie. En mai 1974 enfin, l’avion obtint sa certification des autorités française et allemande, suivies peu après par la FAA, et dès le 10 mai, Air France prit livraison de ses premiers Airbus A300B2 pour la ligne Paris-Londres. Mais les ventes ne suivaient toujours pas.
C’est alors qu’en 1975, Bernard Lathière prit les rênes d’Airbus, et s’il n’était pas un ingénieur comme son prédécesseur Ziegler, il était un brillant vendeur. Il contacta Frank Borman, l’astronaute qui dirigeait depuis peu Eastern Airlines, et il lui proposa un deal : 4 Airbus A300 à disposition gratuitement durant 6 mois, aux fins d’évaluation en opérations. Et le succès fut au rendez-vous : Eastern acheta ces quatre avions et en commanda 23 autres ! La crédibilité tant attendue sur le marché américain était enfin là.
On connaît la suite de l’histoire : il ne reste que deux géants de la construction aéronautique : Airbus et Boeing. Et le modèle A300 vole toujours ! Ce sont les compagnies de fret aérien qui en sont toujours les plus gros utilisateurs, avec 70 avions encore chez FedEx, 52 chez UPS, 22 volant sous la bannière DHL. Au total, 229 appareils volent encore tous les jours, surtout en Asie et en Afrique : Iran, Iraq, Soudan, Chine, etc. Ce qui a bien failli être un désastre de l’industrie européenne est devenu en 50 ans son plus beau fleuron, leader du marché, et technologiquement en avance sur ses concurrents en plusieurs domaines.