En France comme partout dans le monde, les musées et sites touristiques les plus fréquentés doivent mettre en place des stratégies pour gérer au mieux le flux des visiteurs. Mais on s’efforce aussi de modifier leur perception de l’attente. Une tactique appelée « wait marketing ».
Au palmarès mondial des 10 attractions touristiques où l’attente se fait interminable figurent trois sites français : la Tour Eiffel (où le seul moyen d’échapper à la queue de 2 heures est de dîner au sommet de la tour), Notre-Dame (dont on attend maintenant la reconstruction) et les catacombes, avec un temps d’attente qui peut avoisiner les 4 heures durant l’été.
Rappelons que la France, avec des sites de prédilection comme la Tour Eiffel et le Louvre est à nouveau le pays le plus visité au monde, avec quelque 80 millions de touristes.La gestion de l’attente des visiteurs a souvent été considérée comme un fardeau plutôt qu’une opportunité et les sites accueillant des visiteurs étaient plutôt préoccupés par l’optimisation des files d’attente à coup de loi de Poisson.
Faisant face à certaines durées d’attente incompressibles, les lieux touristiques, et notamment les parcs d’attraction, sont devenus preneurs de solutions pour améliorer la perception de l’attente et par conséquent la qualité de service perçue.
Mise en place du « wait marketing »
C’est dans ce contexte que certains sites touristiques et musées se démarquent en offrant un nouveau modèle de gestion de l’attente – ou wait marketing – fondé sur l’urbanisme, l’architecture et le service. Le wait marketing consiste à communiquer au bon moment, au bon endroit afin, non pas d’optimiser les files d’attente, mais de les éviter, ou du moins de permettre aux visiteurs de gérer leur temps d’attente par eux-mêmes et de façon agréable.
Les marques gagnent à interagir lorsque les utilisateurs sont plus disponibles, dans une situation d’attente – que ce soit dans les transports, sur les réseaux sociaux, ou dans un point de vente. Le wait marketing s’applique particulièrement bien aux sites touristiques car il permet d’améliorer l’attente perçue, comme nous allons le voir avec les exemples du Louvre à Paris, de la tour Burj Khalifa à Dubaï et du Louvre Abu Dhabi.La pyramide inversée de l’attente
L’architecte sino-américain Ieoh Ming Pei, inspiré par les jardins de Suzhou et fasciné par les pyramides, est certainement à l’origine du succès du Carrousel du Louvre. Son concept de pyramide en verre étrenné 10 ans plus tôt lors de la construction du Rock’n’roll hall of fame à Cleveland, a non seulement fasciné le réalisateur du film Da Vinci Code, mais la maintenant fameuse pyramide inversée est devenue le point de selfie par excellence pour beaucoup de touristes chinois en repérage pour leur photo prénuptiale.
Prolongeant l’entrée au musée du Louvre, ce centre commercial pas comme les autres – car ouvert même le dimanche – constitue une distraction bienvenue en cas d’affluence mais aussi un nouveau site touristique à part entière, puisque – coup de théâtre lors de la construction – les archéologues ont découvert l’enceinte de fortification de Charles V qui servait à protéger la ville au XIVe siècle (5).
La pyramide est également très fonctionnelle puisqu’elle permet l’accès au musée par plusieurs entrées, y compris depuis le métro.Proposer des plages horaires adaptées, des espaces pour s’asseoir et se désaltérer, des réservations à l’avance : tout cela fait partie des bonnes pratiques pour gérer un site touristique à succès. C’est d’autant plus vrai quand le site est au milieu de nulle part ou au milieu d’une vaste étendue – un champ – comme la Tour Eiffel.
Il est alors indispensable de pouvoir réserver à l’avance, comme l’ont bien compris la tour Burj Khalifa à Dubaï les tours Petronas à Kuala Lumpur qui prévoient même de vous rembourser ou de vous refaire une réservation, en cas de météo maussade avec vue non-dégagée.
Le temps d’une connexion à Dubaï
Le Dubaï Mall, justement adossé à la tour Burj Khalifa – rappelons-le, la plus haute construction depuis son inauguration en 2008 – présente la même combinaison gagnante « monument + centre commercial » que le Louvre. Il faut dire aussi que ce centre commercial, le second plus grand au monde avec 1.200 boutiques propose également un gigantesque aquarium, une patinoire, des cinémas, des spectacles d’eau avec feux d’artifice, et se trouve à deux pas de l’Opéra de Dubaï.
Passant au travers des mailles des chiffres de l’Organisation mondiale du tourisme qui ne comptabilise que les séjours avec une nuit sur place, la ville de Dubaï est la destination qui monte avec pour objectif à horizon 2020, de franchir la barre des 20 millions de touristes.
Cheikh Mohammed (émir de Dubaï, vice-président, Premier ministre et ministre de la Défense des Émirats arabes unis) a non seulement parié sur des monuments, le shopping, l’hospitalité bien sûr, mais aussi sur l’infrastructure avec la maintenant très populaire compagnie aérienne Emirates, qui a contribué à faire de Dubaï l’aéroport international le plus fréquenté au monde.
Nombre de touristes ont d’ailleurs découvert Dubaï pour la première fois au détour d’une connexion.De manière surprenante, l’un des sites les plus admirés à Dubaï est un hôtel. Le Raffles Dubaï est un hôtel de luxe immanquable dans le paysage de la ville : il est en forme de pyramide. Le lobby en marbre accueille les visiteurs dans des fauteuils de style ottoman, surplombés par des chandeliers Swarovski, et révèle des jardins et des murs en pierre gravés de hiéroglyphes « made in Égypte » pour véhiculer une certaine authenticité.
En cas d’affluence ou d’attente à la réception, les clients peuvent visiter le Wafi Mall communiquant, lui aussi en forme de pyramide. Le Raffles surfe ainsi sur les avantages du wait marketing.
Des solutions d’attente contextuelles
Aujourd’hui, le Louvre n’est plus seulement à Paris (ou à Lens), mais aussi à Abu Dhabi. Le nom reste le même – grâce à un accord spécial entre le gouvernement français et celui des Émirats – mais la pyramide laisse place un à dôme.Les Émirats attirent beaucoup de touristes à Dubaï, mais aussi à Abu Dhabi, qui n’est qu’à une heure de route.
L’architecte contextuel Jean Nouvel, inspiré à la fois par la médina au cœur des villes Arabes, et par l’esthétique proche des formes naturelles qu’on trouve en Asie et au Moyen-Orient n’a pas conçu un musée, mais une ville-musée.
La structure métallique avec ses couches superposées crée 7.850 étoiles de lumière qui donnent l’impression d’une promenade dans les bois par un beau soleil. Cette ville-musée flottante ouverte au public depuis moins d’un an accueille des expositions sur l’art et les civilisations, et fait partie d’un complexe où les touristes peuvent aussi visiter les musées Zayed et Guggenheim.
Prévoir une visite ombragée est un merveilleux exemple de solution d’attente contextuelle, où le site touristique, ici l’architecte du Louvre Abu Dhabi, anticipe la lourdeur climatique et offre aux visiteurs une brise bien sympathique. En cas d’exposition décevante, les visiteurs peuvent toujours admirer le dôme du musée.
5 recommandations
Voici les 5 recommandations issues des observations terrain menées en partenariat avec des centres commerciaux et distributeurs (au Moyen-Orient, en Europe, et en Asie) pour optimiser l’attente lors de la conception de sites touristiques :
4. Les infrastructures sont clés – métro ou compagnies aériennes – tous les chemins doivent mener au(x) site(s) touristique(s).
5. Les plages d’ouverture gagnent à être étendues et à s’adapter au rythme des cibles touristiques (en Chine et aux Émirats, les magasins sont ouverts tous les jours, même le dimanche).
Le succès de l’approche de gestion de l’attente ou wait marketing pour les sites touristiques réside dans la conception même du lieu, de l’infrastructure pour s’y rendre, et des autres distractions sur place. Si les sites touristiques ne peuvent pas forcément changer la durée d’attente, ils peuvent certainement en changer la perception.
Par Diana DERVAL, présidente de DervalResearch, auteure et chargée de cours en neurosciences (IÉSEG School of Management)
La version originale de cet article a été publiée dans The Conversation.