Au Sénégal, c’est un bateau mythique. Dans les agences de voyages, c’est un produit simple et agréable à proposer. Le Bou El Mogdad est une belle histoire (un peu belge) qui évolue au fil du temps. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Pagtour a (ré)embarqué.
L’EXPERIENCE (1/3)
Depuis l’inauguration, en 2005, de la troisième vie de cet ancien cargo postal qui remontait le fleuve Sénégal dans les années cinquante pour délivrer courriers et marchandises dans les villages sénégalais et mauritaniens inaccessibles par la route, plusieurs modifications ont transformé le vieux bateau dédié au tourisme d’exploration pour baroudeurs en sandales en… vieux bateau où tout le monde veut embarquer. « Tu as fait le Bou ? » est devenu une question qu’on pose aussi bien chez les backpakers qui ont des économies que dans les beaux salons.
JOUR 1
Si le Sénégal, et le Bou El Mogdad particulièrement, est la porte d’entrée idéale pour une découverte de l’Afrique, le chemin pour y arriver appelle à déjà s’adapter à la lenteur, et même la nonchalance, dictées par la chaleur et le fatalisme qui rythment cette contrée – et son fleuve.
La préparation du voyage, gérée par le spécialiste de l’Afrique de l’Ouest et Centre chez Travel Sensations, Simon Lemaire, est précise et complète – infos et photos en digital et sur papier, le dernier Petit Futé et un sac à dos livrés en agence.
Le chemin fait partie du voyage
L’enregistrement à Brussels Airport est extrêmement fluide et l’embarquement sur le vol Brussels Airlines ne souffre que d’une heure de retard. Le vol sur un A330-300 (2-4-2) se déroule normalement. Le repas servi à bord est correct, le programme de divertissement à jour et le retard rattrapé. Quant à l‘arrivée, elle s’avère « super cool » selon certains, « pas chouette » pour d’autres. Le réceptif et sa pancarte manquent à l’appel, le « groupe du Bou », spontanément constitué, fait le tour de l’aéroport Blaise Diagne de Dakar, qui sent encore le frais de son inauguration il y a déjà 5 ans.
Coup de téléphone au réceptif dont le numéro se trouve dans les documents, et qui ne répond pas. Puis en Belgique – où l’on est directement sur la balle. Au bout d’une grosse heure, le représentant nous rejoint et explique qu’il devait accompagner un de ses voyageurs qui s’est foulé la cheville en descendant du bus. Lequel bus est bien là – et aurait donc pu nous embarquer directement. TIA, This is Africa, devient le mot pour rire d’un séjour qui ne connaîtra pourtant plus une seule péripétie.
4 h de route
Les voyageurs fatigués mais déjà amusés s’entassent dans deux vieux autocars – « Tiens, on nous avait parlé de véhicules plus confortables, non ? » s’interrogent quelques-uns. Les bus ont sans doute plus l’habitude des chemins de terre des brousses et des savanes du pays des Peuls et des Toucouleurs que des routes modernes que nous empruntons – avec casse-vitesses à la Belge, notre pays est un solide partenaire dans les projets de développement du Sénégal. Les infrastructures routières ont en effet réalisé un sérieux bond en quelques années, et cela contribue évidemment à la croissance du tourisme dans les régions les moins accessibles. Après 4h de route, avec un chauffeur qui ne parle que wolof mais aime les chips et conduit fort bien, à travers un paysage aride ponctué de baobabs imposants, de troupeaux de chèvres et des zébus, arrivée à Saint-Louis, dans une des demeures les plus emblématiques de la ville : l’hôtel La Résidence, au cœur du centre historique, sur l’ile de Saint-Louis.
Saint-Louis et La Résidence
Accueil à la mesure de l’endroit dont on sent le souhait élégant de conserver un patrimoine architectural et historique. Le rez de chaussée est doté de plusieurs espaces qui conviennent à ceux qui entrent, ceux qui sortent et ceux qui se posent et qui n’ont pas envie de partir. A la fois galerie d’art local et contemporain, brocante, musée, salle de concerts – il y a tant à voir alors que l’établissement ne se revendique pas, à juste titre, hôtel de luxe. Les 24 chambres climatisées, toutes différentes, sont réparties autour de coursives dotées de terrasses donnant sur la ville dont on peut se libérer des vibrations joyeuses par des fenêtres anti-bruit. Il y a également 12 suites et un rooftop où, parfois, on a la chance de dîner ou de prendre un cocktail. Pas cette fois – mais le coup de cœur est général parmi les voyageurs.
JOUR 2
Le lendemain matin, découverte libre de Saint-Louis avec une carte à la main car certains noms de rues ont changé au gré des époques. Les quais et la ville respirent l’histoire, la littérature et le cinéma qui s’en sont souvent emparés. Un récent musée de la Photographie, le MuPho, réparti sur plusieurs maisons de l’île, s’ajoute désormais à L’Agneau carnivore, l’unique librairie à 200km à la ronde, pour ceux qui souhaitent se documenter davantage sur le pays. Dans les rues, peu de choses changent. Toujours quelques échoppes où des fruits et des légumes de toutes les couleurs côtoient des tissus et des bouteilles d’eau minérale.
Les magnifiques maisons historiques, aux allures de Nouvelle Orléans, sont toujours en ruines et leurs façades ocres et leurs balcons décrépis sont autant d’atteintes au temps et à l’histoire. A chaque visite on entend parler de projets réparateurs d’envergure qui s’enlisent comme la langue de Barbarie, cette bande sablonneuse face à l’île, qui s’efface devant la montée des eaux et qui préfigure l’avenir de Saint-Louis si l’on ne fait rien.
Saint-Louis, la « Venise d’Afrique »
Ensuite aller-retour sur le pont Faidherbe qui, sur 500m, relie l’île, ancien centre administratif de la colonie classée au patrimoine mondial, et le reste de la ville – dont le quartier des pêcheurs du Guet N’Dar qui charrie autant de chèvres et de vendeurs ambulants (pas du tout oppressants) que de poissons. Face au fleuve où sont agglutinées les pirogues colorées et les femmes en boubous écarlates qui fument le poisson, derrière toute cette animation, les petites ruelles sont autant d’antres réservées aux derniers métiers manuels de la ville : couturiers, ferronniers, tisseurs, bijoutiers, sculpteurs, recycleurs.
Partout dans ces labyrinthes, on se bouscule joyeusement. Il suffit de suivre les vendeurs de pacotille pour retrouver son chemin, les quais, les ponts, le fleuve. Celui où les pirogues taillées d’un seul tenant dans les fromagers rivalisent de couleurs et de dessins. Celui qui nourrit toute la population. Le fleuve qui porte la légende du Bou-El-Mogdad.
4h de route
Puis c’est le départ pour Podor dans un solide véhicule. A nouveau 4h de route pour arriver au milieu de nulle part, le long du fleuve, et embarquer devant les sourires de quelques locaux sortis d’on ne sait où et d’un équipage au taquet. Tout roule. Sur photo, le bateau, un steamer blanc de 51m de long et 10m de large à la cheminée rouge, trois ponts de bois exotique, bar extérieur, solarium et piscine miniature, est attirant. Sur place, il devient magique. Puisqu’il revient sur les traces de son passé – ce qui ne passe pas inaperçu le long des berges où les riverains saluent son passage – le paquebot n’a sacrifié à aucune modernisation outrancière et conservé son cachet original et délicieusement désuet.
Un service chaleureux et professionnel
Après le cocktail de bienvenue, les passagers trouvent directement leurs marques, entre les cabines d’explorateurs heureusement rénovées et climatisées et les différents espaces. Au cours des ans, de nouvelles petites aires ont été aménagées sur chaque pont, la salle de massage possède sa propre douche, une petite boutique propose quelques pièces artisanales et des livres. Les repeaters sont nombreux, l’équipage constant, le produit est super bien rôdé, l’accueil chaleureux et joyeux. Le ton est directement donné par la jeune directrice de croisière Françoise Sarr, pour une ambiance très cordiale, familiale même. Avec un équipage de 18 marins polyvalents – sauf pour les secteurs stratégiques comme la mécanique et… la cuisine – pour un maximum de 54 passagers (une quarantaine sur ce séjour), le service ne souffre d’aucune remarque. Et ce, pour l’ensemble de la croisière.
JOUR 3
La navigation au cœur du royaume des Toucouleurs est paisible, entre les rives peu fréquentées et les déserts blancs de la Mauritanie et les villages de brousse et les anciens comptoirs côté Sénégal, plus animés. Ados qui tentent de courir au rythme du bateau (un gros 6 nœuds, soit plus de dix km/h), bains de chèvres et de zébus et rinçages des pagnes. Contrastes de part de d’autre du bastingage. Mangroves, plages, forts, palmeraies. Les villages sénégalais, qu’on devine derrière les manguiers, attendent notre passage. Ils débordent d’enfants à qui il suffit de prononcer Asalamaleikoum pour se laisser guider dans les ruelles en terre et parfois même prendre une photo.
Un fleuve qui charrie l’Histoire
Les haltes terrestres sont organisées pour profiter de quelques hauts-lieux historiques et culturels de la vallée du Sénégal qu’on sent somnolente, rythmée par le fleuve-frontière tranquille et la savane torride. Aujourd’hui : le Fort de Podor, qui fut le théâtre, au 19ème siècle, d’une avancée coloniale perturbée par les insolations, les lions de la savane et les hippopotames du fleuve. Les militaires et les fauves ont disparu, même les crocodiles.
Quand il n’y a pas de quai, l’annexe du Bou permet de conduire les passagers le long de quelque bras du fleuve, jusqu’à de petits villages dont les habitants se transforment tous en artisans, le temps de la visite et de la préparation d’un méchoui. Puis en danseurs à la fin du repas joyeux en plein air. Les échanges et les marchandages sont bienveillants, personne n’est dupe du rôle à jouer, tout le monde rit. Mais chaque passager sait aussi qu’acquérir un bracelet qui ne tiendra pas deux jours ou une très vieille jarre qu’il soupçonne d’avoir été tournassée la semaine dernière, est aussi une façon d’améliorer à sa façon le quotidien des locaux.
JOUR 4
La route des comptoirs coloniaux et sar cohorte de petits forts et de petits châteaux privés répartis le long du fleuve n’a souvent plus que le charme de quelques ruines tapies dans une flore tropicale et un passé prestigieux et mouvementé que le guide du bateau – une encyclopédie vivante – fait revivre en faisant se succéder citations célèbres, détails historiques, mimes et rappels à l’ordre. L’homme érudit, Ansou, était militaire dans une autre vie, il pratique plusieurs langues et est le plus ancien de l’équipage depuis que le pilote Baba, déjà aux commandes dans les années cinquante, est décédé l’an dernier.
Tiep bou dien sous les manguiers
Le Bou, digne et en phase avec son environnement, vogue jusqu’à Dagana, ancienne place de la gomme arabique, où quelques pêcheurs s’abritent sous les fromagers le long des quais où les femmes lavent le linge. Un vieil hôtel est à l’abandon sous les bougainvilliers. Les façades qui font face au fleuve sont en ruine. Mais c’est ici que subsiste sans doute le plus grand marché de cette rive où les chèvres côtoient les tissus bariolés, les bassines en plastique et les arachides, les poules, les poissons et les épices. On se déplace à pied, ou en cariole tirée par un cheval.
Le temps d’un délicieux Tiep bou dien sous les manguiers (un mijoté légumes-poissons qui porte le titre de plat national), les passagers partent à pied pour assister à une démonstration de l’art du batik, ces tissus enduits de cire avant d’être dessinés et teintés à la main, avant de remonter à bord.
Farniente, lecture, visite de la cabine de pilotage ou de la salle des moteurs, échange avec les cuisiniers, débats prolongés autour d’Ansou, piscine, cocktails avec Sarko le barman qui met une doudoune quand la température frôle les 32°.
Un peu de marche à travers la Forêt de Goumel pour découvrir un village semi-sédentaire de Peuls, éleveurs et maraîchers. Les huttes oblongues, les enfants et les femmes sont au rendez-vous. Les hommes sont à la ville ou à la pêche, dit-on. Un peu plus bas, sur le fleuve, la ville de Richard Toll, sa sucrerie (première industrie du pays) au milieu de la savane et la Folie du Baron Roger, l’ancien gouverneur du pays. La bâtisse devait être somptueuse mais, en attendant les subsides annoncés depuis des années pour sa réfection, elle s’écroule littéralement. Et certains décrochent quand le guide discoure un peu trop. Il faut dire qu’il fait particulièrement chaud – on a frôlé les 42° les premiers jours.
JOUR 5
On danse sur le pont
Les passagers sont contents de remonter sur le bateau pour profiter du soleil et des jus de fruits. Le terme déconnection est celui le plus prononcé de la croisière.
Le soir, tout le monde s’entasse dans des camions pour se rendre au milieu des plantations de cannes à sucre et assister à ce qu’Ansou annonce comme un spectacle immanquable : le brûlage de la canne au coucher du soleil. Indispensable avant la coupe pour détruire les mauvaises herbes, tracer un accès jusqu’aux tiges, faire fuir les serpents, brûler les feuilles. TIA. Les employés de la sucrerie, le combustible, les brûleurs, personne n’est là. Longue attente, trop d’explications pour remplir le temps mort, on mastique et on suce les bouts de canne que le guide épluche entre deux coups de téléphone pas contents. Ce sera pour la prochaine fois.
Seul Ansou, professionnel maniaque des horaires, ruminera jusqu’à la fin du jour. Les passagers, eux, profitent déjà d’une bande de musiciens qui ont rejoint le bateau pour faire danser ceux qui restent sur le pont.
JOUR 6
C’est la journée du Djoudj, le Parc national des oiseaux du Djoudj. La période est particulièrement excellente de novembre à mars, des milliers d’oiseaux attendent la venue du bateau qui vogue jusqu’au chenal qui mène à l’entrée de la troisième plus grande réserve ornithologique du monde. Chaque année, plus de 3 millions d’oiseaux migrent jusqu’ici pour côtoyer pendant l’hiver reptiles, crocodiles, phacochères, zébus ou chacals. 16.000 hectares pour plusieurs centaines d’espèces que le guide et les piroguiers du parc connaissent dans les moindres détails. Jumelles conseillées, même si notre approche en petite embarcation permet de les voir de très près. Colonies de pélicans, flamants, échassiers, cormorans, marabouts, hérons. Un vrai festival.
Sur le fleuve, encore un peu d’histoire avec le bac qui fait la navette entre le Sénégal et la Mauritanie afin que des familles dispersées d’un pays à l’autre puissent se rendre visite. Mine de rien, la nonchalance qui s’invite rapidement à bord n’empêche pas de pratiquer de la marche et d’emmagasiner des connaissances. Déjà, tout le monde s’échange les bonnes adresses où chacun a prévu de se reposer après cette aventure fluviale à 10km/h.
JOUR 7
Le barrage de Diama, qui a pour fonction principale de bloquer les eaux salées en provenance de l’embouchure du fleuve, constitue aussi une réserve d’eau d’irrigation des terres et d’eau potable. Il s’ouvre une fois par semaine lorsque le bateau passe. Ou pas. Quand les employés ne sont pas là ou ont oublié. TIA. On échange avec les rares locaux sur le quai, on prend le soleil, on calme le capitaine Mamadou qui est furieux. Rien n’entame le bonheur des passagers qui n’ont pas de rendez-vous à l’arrivée et aiment l’idée que celle-ci soit retardée.
Les quais de Saint-Louis sont plus animés que partout ailleurs. Tous attendent le Bou. Les taxis, les carioles, les vendeurs ambulants, les badauds, les enfants, les vieux qui ont encore quelques souvenirs de l’époque mythique des Messageries du Sénégal. « Non, le bateau n’a pas changé. » assurent-ils, souriants. Après la visite en calèche de la ville, nombreux sont ceux qui prolongeront la croisière, un peu courte de l’avis général, par quelques jours à Saly ou, comme nous, au bord du fleuve, dans le lodge Océan et Savane.
Lire L’AVIS DES PROS ET DES CLIENTS (2/3) et OCEAN & SAVANE, L’EXTENSION DU BOU (3/3)
EN PRATIQUE
. SN Brussels Airlines relie Bruxelles à Dakar sept fois par semaine avec un départ de jour et un retour de nuit pour un vol de 6h. Les transferts jusqu’à Saint-Louis et Podor (selon le sens de la croisière) sont assurés par le T.O. Travel Sensations. Le français est une des langues officielles du pays et on achète les francs CFA à l’arrivée. Courant 220 volts partout et sur le bateau. La croisière est vraiment all in, toute la journée.
. Passeport valable six mois après le retour – pas de visa. Aucun vaccin obligatoire outre les usuels. Répulsif moustiques sur terre mais les insectes n’embarquent pas sur la croisière. A l’issue de celle-ci, outre Océan & Savane, les environs de Saint-Louis proposent d’autres activités et visites – n’hésitez pas à conseiller vos clients.
Plus d’infos
. Travel Sensations https://www.travel-sensations.com/fr/ + [email protected] + [email protected]
. Bou el Mogdad bouelmogdad.com/
. Océan & Savane oceanetsavane.com/
. La Résidence hoteldelaresidence.com/