Le selfie a une signification économique

Et si la mode des selfies était à l’origine de certains suicides ? Et si ce banal cliché de soi était l’expression de l’individualisme que la nouvelle économie numérique essaie d’imposer comme nouvelle philosophie de vie ? Telle est la thèse d’un auteur américain.

Les vacances ne sont plus synonymes de photos ! Non pas qu’on ne prenne plus de photos en vacances, que du contraire même. Mais avec l’arrivée des smartphones dans nos poches, aujourd’hui prendre une photo est un geste banal du quotidien et se fait tout au long de l’année.

Souvent ces photos, notamment pour la plus jeune génération, sont des photos de soi (ce qu’on appelle aujourd’hui des « selfies »). S’il y a bien un geste anodin, c’est celui de se prendre en photo en tendant bêtement les bras ou de le faire, à l’aide de ces petites perches sur lesquelles on accroche son smartphone, pour se prendre en photo au milieu de la foule ou dans un endroit particulier.

Ce geste en apparence anodin a une signification économique et historique selon un auteur américain qui a consacré un livre aux selfies. Ouvrage dans lequel il s’interroge pourquoi nous sommes devenus obsédés par nous-mêmes et avec quelles conséquences (Selfie, How we became so self-obsessed and what it’s doing to us, Will Storr, Picador 2017).

En fait, cet auteur américain fait le lien entre les selfies et le taux de suicide qui n’a jamais été aussi haut dans l’histoire des États-Unis. Selon l’organisation mondiale de la santé, on dénombre aujourd’hui plus de suicides que de morts par violence interpersonnelle aux États-Unis. Selon cet auteur, c’est en partie à cause de ce qu’il appelle le « perfectionnisme social », autrement dit, la perfection mais vue par l’autre, par les autres ! Car selon les experts, interrogés par cet auteur, ce « que je suis dépend beaucoup de ce que je pense que les autres pensent de moi ».

Mes confrères du journal suisse Le Temps ont raison d’écrire que ce livre démontre que le selfie exprimerait le besoin d’être beau, d’être optimiste, sportif et capable de rendre le monde meilleur.

Avec les smartphones et les réseaux sociaux, où chacun se sent obligé de renvoyer une image de soi de bonheur personnel, la pression pour être soi-même heureux est de plus en plus grande. D’ailleurs, la personne en question passe un temps fou à filtrer et à éditer son autoportrait avant de le poster sur les réseaux sociaux. Comme souvent la réalité et la photo diffèrent, et les conséquences de cette différence peuvent parfois être dramatiques. En effet, ce que constate cet auteur, et dont Le Temps se fait l’écho, c’est que 56% des amis et membres de la famille d’un suicidé – du moins aux États-Unis – parlent du défunt comme d’un… perfectionniste !

« Il faut faire une différence entre le bonheur et la réussite économique, mettre fin à la course à la perfection qui, chacun le sait, n’est pas de ce monde »

L’auteur de ce livre sur le selfie nous invite à plonger dans l’histoire et la géographie et démontre ou tente de démontrer que l’origine de tout cela, c’est en quelque sorte l’individualisme, qui est davantage présent dans nos pays occidentaux qu’ailleurs. Et qu’en plus, l’économie numérique actuelle renforce cet individualisme. C’est en quelque sorte la philosophie en vogue à la Silicon Valley qui déteint sur la terre entière.

Le message est simple : dans cette économie numérique, l’individu est censé être libre, il peut tout faire en principe grâce aux nouveaux moyens technologiques mis à sa disposition, et la responsabilité de l’employeur est minimisée tandis que celle de l’employé est maximisée. L’employé est censé lui-même se former, se développer et assurer ses vieux jours, et s’il ne trouve pas d’emploi, c’est donc sa faute. Bill Gates n’a-t-il pas dit ou écrit : « si vous êtes né pauvre, ce n’est pas de votre faute, mais si vous mourrez pauvre, c’est de votre faute ». Et comme chacun est imparfait au sein de cette génération « selfie », l’échec est hélas souvent fréquent.

Ce que veut dire l’auteur de ce livre sur les conséquences inattendues de la mode des selfies, c’est qu’il faut faire une différence entre le bonheur et la réussite économique, et donc mettre fin à la course à la perfection qui, chacun le sait, n’est pas de ce monde. Et ce n’est pas une raison pour rejoindre plus tôt que prévu l’autre monde sous prétexte que la réalité ne concorde pas avec l’image que l’on s’est fait de soi !

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