Longtemps campé derrière ses collections, le musée embrasse désormais les tendances actuelles et devient, plus que jamais, un témoin actif de son époque.
Les changements rapides de nos sociétés poussent les institutions muséales à repenser leurs processus d’accueil et de gestion. Loin d’être une menace, ce contexte dynamique permet au secteur de faire preuve de créativité, de redéfinir ses relations avec le public et de sortir de sa traditionnelle neutralité pour se positionner en moteur de changement sociétal, et inspirer l’ensemble du domaine touristique.
Surfer sur une vague d’empathie
Que ce soit pour découvrir une culture différente, une pratique artistique émergente ou une époque historique, le musée, dans son essence, invite à la rencontre de l’autre et à la confrontation de perspectives. Grâce à leur façon unique d’immerger les visiteurs au cœur de divers récits, les institutions s’imposent comme de puissants moteurs d’empathie et participent au renforcement des liens sociaux.
En 2013, une étude menée au Crystal Bridges Museum of American Art a révélé qu’après une seule visite, les niveaux d’ouverture, d’empathie et de tolérance des participants avaient sensiblement augmenté. Pour que la magie opère, l’accent doit être mis sur la rencontre entre des gens de différentes origines, ethniques ou sociales, et les conditions doivent favoriser la discussion directe avec des étrangers.
Ouvert en 2015, le Empathy Museum est le premier espace d’art itinérant dédié à la compréhension du monde à travers la perspective d’inconnus. Sa mission est d’aborder l’empathie comme vecteur relationnel, mais également comme outil pour penser différemment les conflits, les préjudices et les inégalités mondiales. Sa première exposition, « A Mile in My Shoes », est une boutique de souliers interactive permettant aux visiteurs d’enfiler les chaussures d’une autre personne pour marcher environ 1,5 kilomètre, en écoutant le récit de sa vie.
Source: Empathy Museum presents: A Mile in My Shoes, photo Cat Lee
Dans le cadre de l’exposition « Genocide: The Threat Continues », les visiteurs du United States Holocaust Memorial Museum pouvaient avoir une conversation en temps réel avec des personnes ayant fui les violences de leur pays d’origine pour trouver refuge en Iraq, en Jordanie ou en Allemagne. Le projet, issu d’une campagne de financement Kickstarter, mise sur l’humanité commune des interlocuteurs pour adoucir les divisions de classe, d’identité ou de culture.
Ébranler les convictions, détruire les barrières
Longtemps inattaquables, les structures judiciaires sont réexaminées et perçues tant comme un moyen de protéger les citoyens que comme des organes créateurs d’inégalité et d’exclusion.
À Johannesburg, le Constitution Hill illustre bien cette problématique. Situé dans une ancienne prison, où des militants tels Nelson Mandela et Gandhi ont été incarcérés, le musée rappelle aux visiteurs que la justice peut être utilisée comme un moyen d’oppression. Si le système de l’Apartheid, alors encadré légalement, est aujourd’hui considéré comme inhumain, qu’en est-il des pouvoirs juridiques actuels?
Le Eastern State Penitentiary museum s’est récemment détaché de sa position habituellement impartiale sur sujet de la réforme du système carcéral américain. Ainsi, l’exposition « Prisons Today. Questions in the Age of Mass Incarceration » s’ouvre sur l’affirmation suivante : « L’incarcération de masse ne fonctionne pas ». En amenant le visiteur à se questionner sur son propre rapport à la légalité, le parcours relativise la notion même de criminalité et appelle à plus d’empathie.
Source : Prisons Today: Questions in the Age of Mass Incarceration
at Eastern State Penitentiary in Philadelphia, PA.
Dans un autre ordre d’idée, nombre de musées ont choisi d’afficher leur soutien aux migrants et réfugiés internationaux, dont la légitimité de la présence dans leur pays d’accueil porte à controverse. En 2016, un projet lancé par le Middlesbrough Institute of Modern Art visait à créer des liens entre les résidents et les nouveaux arrivants.
Une exposition issue de la rencontre entre ces deux groupes a été conçue et des actions concrètes ont également été posées pour faciliter l’insertion des migrants (don de nourriture, accès à des ordinateurs, etc.), en partenariat avec les associations locales.
Dans cette même perspective d’intégration, le ministère de la Culture allemand a employé comme guides des réfugiés syriens et iraquiens afin que les nouveaux arrivants puissent avoir accès aux collections des musées de Berlin dans leur langue maternelle.
Échouer pour s’améliorer
Le renouveau de l’offre muséale ne se limite pas au contenu des expositions; il passe également par une mutation profonde des structures. La course à l’innovation actuelle pousse les institutions à augmenter leur réactivité et à développer une forte tolérance au risque, aptitudes qui viennent bouleverser une longue tradition de perfectionnisme.
La multiplication de « labs » au sein des musées, tels le Carnegie Museums’ Innovation Studio ou le Met MediaLab, invite les visiteurs et les employés à réfléchir librement sur de nouvelles expériences à développer. Ces initiatives témoignent bien de la volonté des gestionnaires de sortir leurs équipes de leur zone de confort et d’intégrer l’erreur au processus de création du produit final.
Cependant, une culture de l’amélioration continue ne peut être cantonnée à un département et tout le processus doit être repensé. Ainsi, le Minneapolis Institute of Art a décidé de s’affranchir des canevas de gestion classiques pour favoriser la réactivité et l’interaction avec les visiteurs, à toutes les étapes de la création de produits.
En formant les cadres seniors à plus de souplesse et en créant de petites équipes indépendantes de la hiérarchie, l’institut a réussi à réduire considérablement les délais de prise de décision et de lancement d’un projet qui, dans le cas des musées, s’étend traditionnellement sur plusieurs années. Le nouveau système a également mis en lumière le fait que les tests sur le public, tout au long du processus, conduisent à une amélioration immédiate de l’offre.
Une plateforme numérique récolte dorénavant les commentaires des visiteurs. L’outil a permis d’ajuster certaines expositions déjà en cours et de créer un engagement direct avec le public en intégrant le storytelling à la stratégie de communication globale.
Source : Minneapolis Institute of Art
Ainsi, pour faire face aux nouvelles attentes des visiteurs, les musées doivent repenser leurs contenus, leurs processus internes et leur façon d’interagir avec leur clientèle. Loin d’être propres au domaine, ces nouvelles orientations pourraient être adoptées avec succès par d’autres secteurs de l’industrie touristique.
Source de l’image à la une: Middlesbrough Institute of Modern Art