Les « gilets jaunes » suscitent parfois la sympathie et parfois l’exaspération, les uns les trouvent courageux, les autres pitoyables, les uns y voient une authentique représentation du peuple et d’autres, juste des hordes manipulées par Facebook.
En attendant, les « gilets jaunes » ne laissent personne de marbre. Les Flamands n’y comprennent rien, car le mouvement n’a pas pris chez eux, et côté francophone, c’est la vitesse du mimétisme qui surprend les partis. Même si le mouvement en Belgique francophone n’a pas pris la même ampleur qu’en France, grâce notamment à la forte syndicalisation de la Wallonie.
Les spécialistes du commentaire ont évidemment envahi les plateaux de télévision pour tenter de nous expliquer doctement les origines de ce mouvement né en d’une simple grogne sur la hausse des taxes sur le prix du carburant. Mais aucune de ces explications n’emporte l’adhésion.
Normal, le phénomène des « gilets jaunes » relève de la « disruption » politique, tout comme Trump avait disrupté la politique américaine et Macron la politique française. Sauf que la disruption s’est retournée contre Emmanuel Macron : à force de dire que la notion de gauche-droite n’avait plus beaucoup de sens, les Français l’ont pris au mot, et aujourd’hui, c’est la France d’en bas contre la France d’en haut.
Le « peuple » contre les « élites » politiques et médiatiques. Philippe Silberzahn, consultant et professeur de management bien connu en France pense que ce mouvement fait voler en éclat nos modèles mentaux traditionnels. Selon lui, cette révolte jaune peut être lue de différente manière selon le modèle mental qui a notre préférence. J’égrène sa démonstration.
Le modèle mental libéral ? Oui, c’est évident, c’est un mouvement libéral, car le peuple se révolte – enfin – contre les taxes. Merci aux gilets jaunes de ce sursaut. Merci à eux de rappeler « qu’il faut revoir complètement notre fiscalité ».
Le modèle autoritaire ? Oui, toutes ces dérives sur les Champs-Élysées démontrent que ces gilets jaunes sont infiltrés par des extrémistes, des petits casseurs et qu’il faut d’urgence rétablir l’ordre républicain (le mot « républicain » est chic et permet d’atténuer le recours à la force). Bref, vive l’état d’urgence.
Le modèle mental de gauche ? Le peuple se révolte d’abord contre la vie chère, la hausse du prix du carburant n’est qu’un prétexte. C’est avant tout une révolte contre le Président des riches, un président soupçonné de rouler plus pour ses anciens amis banquiers de chez Rotschild que pour le petit peuple. Bref, c’est la revanche des petits qui disent « regardez-nous, on existe ! ».
Le modèle mental géographique ? C’est la réponse des campagnes contre les grandes villes. Bref, c’est le grand retour de la géographie dans le débat politique.
Le modèle mental historique ? Il tente d’expliquer cette mauvaise humeur par le côté révolutionnaire et râleur du peuple français. Toujours prompt à s’enticher d’un nouveau monarque, mais toujours prêt à le décapiter avant la fin de son mandat. Bref, c’est normal, c’est une jacquerie de plus dont la France a la spécialité. Pendons quelques meneurs et vous verrez tout reviendra dans l’ordre après les fêtes.
Le modèle mental médiatique ? Tout serait de la faute des médias qui donnent trop d’importance à ce mouvement et aux élucubrations de leurs porte-paroles. Bref, les médias exagèrent un mouvement minoritaire pour faire de l’audience.
En réalité, Philippe Silberzahn a raison de dire qu’en ce moment, nous sommes en pleine période de confusion. Mais c’est le propre d’une disruption. Elle nous laisse KO, car on ne l’a pas vu venir. Et les partis politiques sont désemparés.
Écolo ? Ils constatent que ces manifestants se fichent du réchauffement climatique et mettent d’abord en avant leur pouvoir d’achat. Écolo peut-il les traiter d’égoïstes ? La droite ? Elle pensait que la révolte viendrait des banlieues et des réfugiés. Ben non, elle vient de français de souche et contredit donc son schéma mental du « eux contre nous ». La gauche ? La révolte a démarré contre les taxes, donc contre l’État. Elle n’a pas porté sur les salaires et donc sur le « grand-capital ».
Que peut dire la gauche face à ce rejet de l’État préservatif ? Rien, car le préservatif est troué et ne protège plus de rien. Et d’ailleurs, en France, malgré leur silence criminel, aucun des ténors de l’opposition ne bénéficie d’une hausse de sa cote de popularité. Sans doute, parce que le peuple aimerait se passer d’eux et revenir à une démocratie directe. Mais la démocratie directe, l’histoire l’a montré, c’est d’abord la « chienlit » et ensuite, l’homme providentiel. Donc la dictature.