En France, un nouveau livre de l’économiste Patrick Artus vient d’être publié et son titre est très clair: les salariés vont-ils se révolter ?
Autrement dit, comme nous sommes au mois de mai et que les commémorations de mai 68 sont légions, la question revient à dire: va-t-on assister à un mai 68 des salariés, et notamment ceux de la classe moyenne ? La question est posée très sérieusement par Patrick Artus, qui pourtant n’est pas de gauche, mais est plutôt un économiste libéral très connu en France.
Patrick Artus s’interroge sur combien de temps encore, les salariés, sous la pression de la mondialisation, des pertes d’emplois, de la robotisation, des menaces de l’intelligence artificielle vont-ils encore tenir sans se révolter ? Bonne question en effet, et qui fait d’ailleurs l’objet du dossier de couverture du magazine Trends-Tendances cette semaine.
Mais en réalité, il n’y aura pas de révolution des salariés. C’est la thèse d’un autre économiste, libéral lui aussi, mais américain: selon Bill Bonner, le citoyen ne se révoltera pas, car on lui a donné du pain et des jeux. Le pain, ce sont les taux d’intérêt proches de zéro qui l’empêchent d’épargner et le forcent à consommer pour relancer la machine économique. Et les jeux, ce sont les réseaux sociaux qui doivent l’occuper et l’empêcher de se révolter.
Après avoir lu Le Figaro, j’ai envie aussi d’ajouter les séries télévisées: avant, un feuilleton connu qui avait du succès, vous deviez attendre la semaine suivante pour découvrir la suite. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, les séries télévisées s’ingurgitent à la queue leu leu, sans interruption, et même sans publicité via des plateformes comme Netflix ou Amazon Prime. Les séries télévisées, selon Le Figaro, c’est la nouvelle drogue des temps modernes. En 2017, on a décompte 487 nouvelles séries produites rien qu’aux États-Unis.
La drogue est donc abondante et les canaux de distribution ne manquent pas: notre TV, notre tablette ou notre smartphone sont autant de dealers en puissance. Et pour rendre cette drogue dure encore plus addictive, la durée des séries télévisées a été réduite: moins longues, ce sont des doses plus faciles à ingérer. Et comme le faisait remarquer Le Figaro, le découpage de ces séries télévisés est bien pensé « pour créer des pics de suspense intenables, amplifiant la sensation de manque, et par contrecoup, l’irrépressible besoin de le combler ».
« Nous n’avons même plus assez de temps de cerveau disponible pour manifester… »
Donc c’est vrai, les plateformes technologiques ont déployé des trésors d’inventivité pour nous scotcher devant nos écrans. Nous avons aujourd’hui des saisons entières de séries que l’on ingurgite en quelques soirées seulement. Aux États-Unis, selon une étude de Deloitte, 70% des Américains absorbent en moyenne cinq épisodes d’un seul coup. Et comme vous le savez, ce qui se déroule aux USA finit toujours par arriver chez nous.
Pour faciliter « la défonce du téléspectateur », une firme comme Netflix pousse même le vice jusqu’à nous permettre d’éliminer le générique de la série d’un seul clic. De la sorte, l’héroïne se consomme sans aucune impureté, l’enchaînement entre deux épisodes se fait donc naturellement. Et par conséquent, nous, en tant que téléspectateur, nous vivons sous perfusion continue de séries. Surtout que la qualité de cette drogue – pardon de ces séries – n’a jamais été aussi bonne.
Le Figaro a donc raison de dire que grâce à ce nouvel opium du peuple, qui est aussi le fruit de l’hyper-connectivité, notre attention s’est focalisée sur les réseaux sociaux et les séries TV. En clair, faire la révolution attendra ! Entre cinq épisodes de la série X et la saison 3 de la série Y, nous n’avons même plus assez de temps de cerveau disponible pour manifester. La révolte de la classe moyenne, n’est donc pas pour demain !