Loin de nous l’idée de décrier Ryanair, en pensant surtout à tout ce que cette compagnie a apporté au monde de l’aviation, aux consommateurs, à l’aéroport et à la région de Charleroi, entre autres. Mais on peut quand même crier haro sur le baudet, et c’est bien mérité.
Quelles ont été les causes de la réussite insolente ?
Ryanair a d’abord présenté un modèle économique complétement différent de ce qui se faisait dans l’aérien : compresser les coûts au maximum notamment grâce à la vente en direct, sans intermédiaires à rémunérer, et en offrant un niveau de service extrêmement bas. Faire voler des avions de dernière génération, engendrant de moindres coûts d’exploitation, et aussi tous semblables de façon à faciliter les entretiens et à faire mieux tourner les équipages.
Ouvrir des lignes auxquelles personne ne croyait, mais qui ont suscité une nouvelle clientèle. Offrir des tarifs très bas en exploitant au maximum les techniques du yield management.
Payer des salaires assez bas, pour ne pas dire très bas, grâce à une conjoncture favorable : beaucoup de jeunes pilotes ne trouvaient pas d’emploi, et des postes en cabine étaient offerts à de nombreux jeunes qui s’en satisfaisaient pour le plaisir de voler.
Chasse aux aides de toutes sortes
Ryanair a aussi beaucoup joué avec les faiblesses et les failles des réglementations nationales et européennes, ainsi qu’avec les aides, subventions, réductions de tous ordres accordées par l’Europe, par les Etats, par les Régions, par les Villes… Parfois jusqu’au chantage, qui fonctionnait… ou pas. Et ne parlons pas de la période très favorable des prix pétroliers très bas, puisque c’est une donnée dont tout le monde a pu profiter.
Marketing agressif
Tout cela mis ensemble a créé ce qu’il est convenu d’appeler le modèle Ryanair, lequel a été largement copié par de nombreux concurrents.
Il faut encore ajouter la forme la plus étrange du marketing : la provocation, l’esbroufe, dans le chef d’un patron qui s’est créé une réputation d’électron libre, mais qui réussit à faire parler de lui à la moindre occasion.
Mais voilà, on a l’impression que ce beau modèle est en train de s’effriter, et on doit logiquement se demander pourquoi.
Les choses changent…
La compression des coûts, l’uniformisation des flottes, l’utilisation optimale du yield, ce sont des principes qui depuis lors ont été bien assimilés par la concurrence, et on ne parle pas ici uniquement des low-cost, mais aussi des compagnies dites régulières.
En revanche, ce qui a fortement changé, et en partie grâce à l’ouverture de lignes de second ou troisième ordre, c’est le nombre de personnels disponibles, et surtout de pilotes. Il suffit de lire la presse spécialisée : on demande des pilotes partout, et Boeing va même jusqu’à avancer le chiffre de 790.000 pilotes à former d’ici à 2030 ! Cette corporation est donc passée en quelques années d’un statut de « demandeurs d’emplois » à une position de force : si vous ne m’augmentez pas, je pars !
Triomphe du consumérisme
En plus de cela, il y a une autre menace que Ryanair a aussi contribué à créer en exploitant parfaitement les nouvelles technologies: celle des nouveaux consommateurs, qui font tout en direct, qui se passent des agences, qui cherchent avant tout les prix les plus bas… mais qui ne sont pas prêts pour autant à abandonner certains privilèges de consuméristes, et qui rouspètent à la moindre contrariété.
Ils sont alors étonnés de devoir payer au prix fort leur légèreté et leur recherche du prix le plus bas. Ils revendiquent les mêmes droits que les passagers de l’ancien modèle alors qu’ils n’ont pas payé les mêmes tarifs. D’un côté, on peut les comprendre, puisque les medias de défense des consommateurs n’arrêtent pas de leur dire où sont leurs droits, et on ne peut le leur reprocher.
Que fait l’Union Européenne ?
La question qui se pose, pour notre part, est liée à l’insigne faiblesse des institutions européennes. Comment se fait-il qu’en 30 ans, l’UE n’ait pas compris le problème et n’ait pas travaillé sur ces points essentiels : des droits équivalents dans tous les pays de l’Union, des charges sociales semblables, des législations qui ne soient pas en contradiction l’une avec l’autre.
Il faut maintenant que des tribunaux nationaux pallient aux carences du Droit de l’Union : c’est exactement le contraire de l’esprit des Traités. Pauvre Europe ! Et pauvre Ryanair qui entre dans une zone de turbulences qui semble même (provisoirement) clouer le bec à son inénarrable patron.