Cette croisière de deux semaines a été vécue en février dernier sous la houlette de Rivages du Monde dans une formule tout inclus.
Fleuve mythique de plus de 4000 km, le Mékong prend sa source sur les hauts plateaux tibétains avant de dévaler les contreforts de l’Himalaya. Il creuse des gorges en terre chinoise, trace une frontière naturelle de 236 km entre la Birmanie et le Laos puis les confins nord de la Thaïlande. A hauteur de Pak Tha, il pénètre dans l’arrière-pays laotien qu’il parcourt sur une longueur de 1865 km. Avant d’arriver à Vientiane, capitale du Laos, il dessine à nouveau la frontière lao-thaïe puis il éclate en cascades autour des 4000 îles du Laos avant d’envahir enfin le Cambodge et in fine le Vietnam où il forme l’un des plus grands deltas du monde.
La croisière fluviale au Laos n’est guère possible au-delà de Vientiane et elle se propose essentiellement dans le nord du pays entre la ville frontière de Huay Xai et Luang Prabang avec une étape à Pak Beng pour la nuit. Ce service public de navettes fluviales plus rapides que par la route permet sans doute de découvrir les paysages environnants au fil de l’eau mais sans plus. Par contre une croisière fluviale sous la houlette de Rivages du Monde s’étire sur une dizaine de jours et offre aux passagers une fascinante immersion dans une culture bien éloignée de la nôtre, encore authentique et toujours accueillante. Embarquement immédiat !
L’aventure commence en Thaïlande…
Plus exactement dans le Nord du pays, à Chiang Rai au terme d’un très long voyage en avion, une première étape qui a le mérite d’offrir une nuit reposante dans un hôtel confortable. Si la ville n’a pas de charme particulier, elle abrite un intéressant musée des Tribus montagnardes qui s’avère utile pour comprendre la vie des minorités ethniques dans une région où l’opium fut longtemps l’unique culture et le seul moyen de subsistance pour ces populations isolées.
Le lendemain, sur la route qui nous mène à notre bateau, on découvre pour la première fois le Mékong à l’endroit où les frontières du Laos, du Myanmar et de la Thaïlande se rejoignent, dans une zone bien nommée le Triangle d’Or pour avoir été un espace de production illicite d’opium et donc d’exutoire au narcotrafic grâce à l’axe fluvial majeur de la région, le Mékong. Une histoire qui se découvre dans le Musée de l’Opium particulièrement didactique qui justifie l’arrêt sur le site.
C’est aussi ici, à Chiang Khong, que nous découvrons notre bateau, le Champa Pandaw. L’après-midi touche à sa fin, la nuit tombe tôt sous les tropiques et chacun se plonge dans l’aménagement de sa cabine avant de rejoindre le pont supérieur pour un premier cocktail savouré devant un élégant spectacle de danses thaïlandaises.
Le lendemain matin est consacré à effectuer toutes les formalités de passage de la frontière grandement facilitées grâce à notre guide et après avoir traversé en mini-van le pont de l’Amitié, nous embarquerons sur notre bateau, amarré cette fois sur la berge laotienne du fleuve à côté de longues barques effilées. Dès le commencement de la croisière nous comprendrons rapidement que le Mékong qui commence par musarder entre le Laos et la Thaïlande marque aussi une frontière politique. Ici une moitié du fleuve est communiste, l’autre capitaliste. D’un côté de rares habitations sur pilotis surgissent entre les arbres qui bordent la berge, de l’autre, la statue dorée du bouddha géant installée sur un navire factice domine le paysage du Triangle d’Or.
Le fleuve creuse son chenal au cœur d’une vallée bordée de collines boisées qui se succèdent les unes derrière les autres. Les berges recouvertes d’alluvions sont plutôt éloignées tant le niveau de l’eau a baissé en cette fin de saison sèche. Il suffit d’observer les nombreux récifs rocheux qui surgissent des flots avec une pointe noire surmontant une large face blanche, celle qui était encore immergée au début de la saison. Il n’est pas rare d’observer un des matelots qui depuis la proue plonge dans l’eau une perche étalonnée pour vérifier la profondeur du fleuve et diriger ensuite notre capitaine dans sa conduite.
Durant les premiers jours de notre voyage, nous ne croiserons guère de bateaux si ce n’est l’une ou l’autre barge qui effectue le voyage vers Luang Prabang en deux jours ou alors des speedboats très bruyants qui tracent leur sillon à toute vitesse sur le Mékong en propulsant un jet d’eau. A proscrire absolument quand on est un touriste !
La vie du fleuve s’égrène devant nos yeux fascinés au cœur d’une symphonie de verts. Les collines s’empilent tapissées d’une jungle épaisse ponctuée toutefois de cocotiers et de bananiers qui signalent la présence d’un village enclavé dans la couverture forestière. Quelques pirogues effilées sont d’ailleurs rangées le long des rives qui, si elles sont couvertes d’alluvions, accueillent de petites cultures de maïs, d’oignons ou d’arachides, enfermées derrière une clôture légère mais suffisante pour les protéger des quelques buffles errant en liberté autour des villages.
Le Mékong qui fut longtemps la seule voie de communication du pays continue à drainer la vie des populations reculées. Si les berges du fleuve alternent entre parois rocheuses souvent abruptes, érodées par les ans, et des terrains sablonneux en pente plus douce, toutes racontent que la pêche est au cœur de la vie. De nombreuses cannes sont fichées dans les rochers d’où les pêcheurs jettent leurs filets d’un geste ample à moins qu’ils ne se postent sur leur barque sans trop s’avancer dans le courant. En effet le Mékong est également connu pour ses rapides qui naissent entre les récifs qui jalonnent le fond de l’eau.
Ailleurs ce sont les femmes qui se jettent à l’eau pour ramasser les algues qui sècheront ensuite sur les berges avant d’être rassemblées en petits fagots vendus au marché. Plus loin encore nous verrons se multiplier les orpailleurs, eux aussi plongés dans le fleuve et armés d’une batée avec laquelle ils donnent des coups dans l’eau pour essayer d’isoler dans leur tamis les particules d’or qui roulent dans le Mékong quand le niveau de l’eau baisse, laissant un sable blanc immaculé mais scintillant.
Last but not least, la balade jusqu’aux cascades de Kuang SI qui dégringolent dans des lagons aux eaux turquoise où il est même possible de s’ébrouer. L’eau est plutôt froide mais l’exotisme de cette immersion dans un décor de vieux arbres chargés de lianes qui tombent dans ces piscines naturelles est un must apprécié par de nombreux habitants de la ville toute proche de Luang Prabang qui s’y offrent une excursion, un véritable régal en périodes de grosses chaleurs.
Rencontre avec les villageois
Ce plongeon dans un paradis vert prendra une nouvelle dimension quand nous accosterons à la rencontre de villageois. Chaque jour notre bateau s’amarrera comme il le pourra au pied de talus sableux ou rocheux, en accrochant une longue corde aux rares arbres qui poussent sur les berges. Notre passerelle mobile est lancée vers la terre et avec le secours ferme des membres de l’équipage nous grimperons les talus. Rien ne laisse présager la présence d’un hameau si ce n’est la nuée d’enfants rieurs qui nous ont vus arriver et qui surveillent notre ascension avant de s’encourir vers le village.
Ce pays dont la superficie correspond à la moitié de celle de la France ne compte que 7 millions d’habitants répartis en 71 ethnies… Nous découvrirons des communautés Khmu, Hmong et Akha, à peine une cinquantaine de familles à chaque fois, mais pour nos regards néophytes, comme les habitants ne portent plus au quotidien leurs costumes traditionnels, seules les observations de notre guide nous permettront de distinguer des coutumes différentes comme par exemple, le choix de vivre dans une maison sur pilotis ou directement édifiée sur le sol. Comme notre guide maîtrise plusieurs langues locales, le lien se crée rapidement avec ces populations qui s’interrompent pour nous accueillir.
Un visage souriant à la fenêtre d’une maison suspendue en bambou tressé, un bavardage interrompu au lavoir alimenté par une chute d’eau amenée depuis les hauteurs de la colline, une invitation à s’asseoir autour de la table en bois dressée devant un petit magasin-bar, etc… Certains villages paraissent plus riches que d’autres, il semble que ce soit la culture du riz dans des rizières que nous ne verrons pas, cultivées au-delà du village, qui leur permet de s’offrir quelques panneaux solaires qui leur distribuent un peu d’électricité bien utile pour recharger les quelques portables qui diffusent les nouvelles du monde. Ces villages sont en général complètement enclavés dans la forêt, sans aucun contact routier.
Les pistes en terre, la basse-cour de poules et de canards piaillant qui courent partout, d’insolites cochons nains noirs, de rares chèvres et quelques bufflonnes, de minuscules potagers sur pilotis pour les protéger des animaux, une présence incongrue de déchets plastiques abandonnés au fil des chemins et ce décor de maisons en bois dont le plancher surélevé permet de protéger un stock de bûches et de branchages nécessaires pour la cuisine, l’humble lessive tendue sur des clôtures ou sur un fil tiré entre deux maisons, la curiosité des enfants devant ces étrangers venus se perdre chez eux, autant d’instantanés qui s’impriment dans nos mémoires au point que chacun y laisse un peu de lui-même.
Dans les rares villages où un métier à tisser installé sous la charpente d’une maison donne du travail à quelques femmes qui se relaient, on achètera l’un ou l’autre petit souvenir. Ailleurs, comme notre guide a pu s’entendre avec le chef du village, les enfants revêtiront pour nous accueillir leurs costumes traditionnels bariolés de couleurs vives et nous leur distribuerons cahiers, crayons et autres fournitures scolaires sous le regard de l’instituteur trop heureux de cette manne. Certains adultes chanteront ou nous offriront un morceau de musique à travers des instruments improbables qui nous laisseront pantois.
Nous découvrirons également dans le village de Ban Xang Hai la production artisanale de la boisson nationale, le fameux Lao-lao. Ce whisky traditionnel s’obtient à base de riz et il compte quelque 40% d’alcool ! Dans un autre genre, nous visiterons le Laos Buffalo Diary, une ferme originale tenue par deux singapouriennes qui produisent du fromage et des glaces à partir du lait des bufflonnes qu’elles louent aux fermiers locaux quand se termine la période de gestation. Un revenu appréciable pour les locaux qui récupèrent des bêtes en bonne santé ! A suivre…
Texte : Christiane Goor Photos : Charles Mahaux
Lire la seconde partie de notre reportage : Le Laos au fil du Mékong (2/2)