La mode du « consommer local » a envahi la plupart des esprits aujourd’hui. Cette tendance semble même être une évidence. Et pourtant, comme le fait remarquer le professeur en entreprenariat Philippe Silberzhan, cette nouvelle mode peut se révéler, à terme, dangereuse.
Philippe Silberzhan est professeur en entreprenariat, auteur de nombreux livres sur l’innovation et chercheur en stratégie à l’école polytechnique à Paris. Il avance que la nouvelle mode du « consommer local » peut se révéler, à terme, dangereuse. Cela semble étonnant mais examinons le raisonnement avant de le condamner.
Imaginons que Mme Dupont soit productrice de pommes à Wavre. Elle vend des pommes dans toute la Wallonie, mais ce n’est déjà pas simple en terme de rentabilité. Imaginons que la ville de Wavre décide de favoriser les producteurs locaux, donc elle. Mme Dupont est heureuse, elle va vendre plus de pommes, notamment pour les cantines des écoles de Wavre. Les écologistes et les amis de la nature seront aussi heureux, car au lieu de faire venir des pommes de l’étranger, elles viendront de Wavre, c’est-à-dire d’à côté, excellent pour le bilan carbone.
Mme Dupont gagne plus d’argent, paie plus d’impôt et pourra même engager une personne ou deux en plus. Magnifique, non? Oui, sauf que la ville de Nivelles va suivre la même voie tout comme celle de Namur.
Le problème, c’est que Mme Dupont de Wavre qui vendait 5 % de sa production à Nivelles et 8% à Namur va perdre ces parts de marché. Bref, au fur et à mesure que d’autres villes wallonnes adopteront le « consommer local », Mme Dupont de Wavre perdra du chiffre d’affaires. Il ne faut donc pas confondre gain local et réaction systémique qui mettra tous les producteurs de pommes sur la paille.
« La nouvelle mode du « consommer local » peut se révéler, à terme, dangereuse »
En fait, c’est encore pire, comme tous les producteurs de pommes seront morcelés, ils n’auront pas une taille suffisante pour produire beaucoup de pommes, et donc leur rendement sera faible. Résultat : ils devront répercuter leur inefficacité via une hausse des prix sur le consommateur local. Le consommateur de pommes de Wavre risque ainsi de se détourner de la pomme au profit d’un autre fruit. Pire encore, la préférence locale, loin de favoriser les producteurs de pommes locaux, va miner leur rentabilité et sacrifier la filière belge au profit des exportateurs de pommes étrangers.
Au final, ce sont les villes qui ont imposé le « consommer local » qui iront pleurer auprès de l’Etat ou de la Région pour exiger qu’on subventionne le prix des pommes sinon leurs exploitants agricoles locaux iront en faillite. Après avoir pénalisé le consommateur, on pénalisera le contribuable. Comme le résume fort bien ce professeur de stratégie, on a donc trois perdants de la préférence locale : les producteurs, les consommateurs et les contribuables.
J’imagine que ce raisonnement (adapté au cas belge) de cet éminent professeur de stratégie provoquera des remous auprès de certains lecteurs. Tant mieux, il n’a qu’un seul but : forcer à réfléchir, à débattre et à ne pas accepter comme vérité établie les raisonnements de type prêt-à-porter ou plutôt prêt-à-penser !