Quoi qu’en disent les compagnies de croisières, qui n’en finissent pas de reporter la date de la reprise de leurs activités, la saison est morte. Ces communications à répétition n’ont d’autre but que de rassurer les actionnaires, d’abord, les clients ensuite. Car la situation est grave, sinon désespérée. Il ne devrait guère y avoir que la moitié des navires opérationnels d’ici la fin de l’année, si tout va bien.
L’argent facile et les promesses de dividendes toujours plus juteux aux actionnaires ont poussé la plupart des compagnies dans des stratégies de développement aussi surréalistes qu’imprudentes, estime notre confrère Mer & Marine, avec une croissance trop rapide de la capacité et un endettement massif qui les fragilisent considérablement aujourd’hui. Une « bulle » qui devait finir par éclater…
365 navires de croisière !
Toutes compagnies confondues, le carnet de commandes mondial s’élevait à 118 navires livrables d’ici 2027, l’ensemble représentant une capacité supplémentaire de plus de 240.000 lits et un investissement global supérieur à 67 milliards de dollars.
Un niveau historique de constructions neuves, soit un total de 365 navires de croisière maritimes pour près de 600.000 lits, l’équivalent de la population totale de Charleroi Métropole ou du Grand-Duché de Luxembourg. Des négociations sont en cours avec les chantiers pour renvoyer les nouveaux projets à des jours meilleurs, voire annuler purement et simplement des commandes.
Dans ce paysage, le groupe Carnival exploite une centaine de navires via ses différentes compagnies, Carnival Cruise Line, Princess Cruises, P&O Cruises, P&O Cruises Australia, Costa Crociere, AIDA, Holland America Line, Cunard et Seabourn. Carnival joue actuellement sa survie, comme RCCL qui, de tous les grands opérateurs du marché, semble être celui qui est aujourd’hui le plus fragilisé.
MSC, seule épargnée ?
NCLH, qui regroupe Norwegian Cruise Line, Oceania Cruises et Regent Seven Seas Cruises, parait lui aussi en grande difficulté et comme ses homologues a besoin d’importantes liquidités.
Seule MSC pourrait s’en sortir sans trop de mal, sa dette devant sans doute être partiellement diluée dans le groupe, deuxième opérateur mondial de transport de containers, dont elle ne représente qu’environ 8 p.c. du chiffre d’affaires, et bien que lui aussi soit impacté par le ralentissement des échanges mondiaux.
La compagnie familiale pourrait même profiter de la crise pour consolider ses positions au moment où les trois leaders américains sont en difficulté. Oui, mais…
Le poids de l’opinion
L’autre problème, ce sont les clients. L’opinion publique retiendra qu’on a dénombré quand même des milliers de passagers infectés et plusieurs dizaines de morts. Avec des cas dramatiques, depuis le calvaire du Diamond Princess au Japon jusqu’à l’interminable voyage du Zaandam de l’Amérique latine aux Etats-Unis.
Car, malgré les protocoles sanitaires très stricts en vigueur dans la croisière, les épidémies se développent très vite sur un paquebot, milieu par définition confiné et très peuplé. Les difficultés de rapatriement depuis l’étranger ont également constitué un problème majeur, de quoi dissuader pour longtemps une partie de la clientèle de partir en croisière.
Le plus compliqué sera sans nul doute, au moins dans les premiers mois suivant la reprise, d’assurer la distanciation sociale à bord des navires, en particulier les gros paquebots où les passagers ont tout loisir de s’agglutiner au fil de la journée.
Enfin, les autorisations d’escales passent par un nombre maximal d’occupants à bord des navires, qui devra peut-être être ramené à 500 ou 1.000 personnes seulement, qui plus est une clientèle modeste, mais au pouvoir d’achat limité, attirée par des prix très bas.
Les gagnants
Qui peut profiter de la crise ? La Chine a la capacité financière pour soutenir ses chantiers et la remise en cause probable de projets innovants sur lesquels misaient les chantiers européens peut constituer une aubaine pour réduire son retard technologique dans le domaine des paquebots.
Le segment des petits navires, comme les navires d’expédition, va sans doute sortir renforcé de cette crise. Plus faciles à remettre en service et à exploiter sur des destinations contraintes, ils susciteront moins de défiance avec leur environnement où le respect des gestes barrières est plus aisé à mettre en œuvre.
Les navires de taille moyenne, enfin, de 500 à 2000 passagers, qui ont été relativement délaissées depuis 20 ans, pourraient encore mieux tirer leur épingle du jeu.
[Avec Mer & Marine]