Attraction touristique phare de la ville et du pays, les jardins du Palais de Topkapi et ses alentours vont voir leur degré de protection diminuer. Une initiative qui fait débat, non pas tant en raison de la menace terroriste à laquelle la Turquie fait face, mais plutôt à cause des intentions que pourraient avoir les autorités dans la rénovation de l’espace public.
Modification pour cause de construction
Les jardins de Topkapi vont désormais être considérés comme une « zone archéologique protégée de troisième degré » après vingt-deux ans passés sous le statut de « zone archéologique protégée de premier degré ». Cette modification confère la possibilité aux autorités turques d’amorcer de nouvelles « constructions contrôlées » au sein de l’espace concerné, d’après un rapport d’Ömer Erbil, journaliste à Hürriyet.
Face aux inquiétudes de certains stambouliotes, le maire de Fatih – commune d’Istanbul où se situe le Palais, ndlr – a annoncé, il y a quelques jours, que les jardins du Palais de Topkapi retrouveront leur statut originel après la fin des travaux de rénovation.
La municipalité souhaite, selon elle, réhabiliter un espace situé à l’extrémité des jardins du palais où git une ancienne ligne de chemin de fer. Construite en 1888, elle a nécessité la destruction d’une partie du mur d’enceinte et se trouve désormais à l’abandon. Les autorités cherchent ainsi à expulser les sans-abris qui se réfugient dans cette zone discrète et à l’abri de la circulation.
Rénovation en cours ?
Le maire de Fatih, Mustafa Demir, affirme également qu’une autre partie de l’espace concerné par le changement de statut abrite de nombreux vestiges historiques qu’il serait impossible de rénover autrement. Il est en effet interdit d’effectuer des travaux dans les « zones archéologiques protégées de premier degré ».
Le changement de statut a été proposé durant le mois de septembre par la municipalité de Fatih, où se trouve le palais, au conseil d’administration du district de conservation du patrimoine culturel d’Istanbul. Non sans provoquer des débats au sein de l’assemblée, le projet a finalement été accepté.
À la suite de cette décision, le vendredi 13 octobre, Ömer Erbil a rédigé un article où il accuse les autorités turques de porter atteinte à l’intégrité du Palais. Quelques heures après seulement, le ministère de la Culture et du Tourisme a publié un rapport affirmant que les propos du journaliste ne relèvent que de la simple « spéculation ».
Un espace public en évolution perpétuelle
De nombreux Stambouliotes, et de plus en plus de professionnels du tourisme, s’interrogent et s’inquiètent parfois de l’évolution de l’espace public de la mégalopole. Depuis plusieurs années, le gouvernement turc chercherait à accroître la visibilité de l’islam dans l’espace public, une ambition qui tranche avec l’héritage laïc parfois rigoriste de la Turquie.
Cela se traduit notamment par la construction de mosquées, la généralisation du port du foulard islamique (à l’école, par exemple), les cours de religion dans l’enseignement public et militaire… Après tout, il s’agit d’un pays musulman, mais cela n’empêche pas certains partisans de la laïcité à la turque de s’en offusquer, ni certains touristes de s’inquiéter…
Une illustration du clivage croissant en Turquie
Nulle crainte, Istanbul n’est pas prête de ressembler à une ville d’Arabie saoudite. Le quartier de Fatih qui abrite le Palais de Topkapi a d’ailleurs toujours été conservateur, il suffit de s’y promener pour le constater. Après tout, l’attraction touristique est elle-même un vestige de l’Empire ottoman, cher aux « islamo-conservateurs » turcs. On voit donc mal en quoi les travaux pourraient rendre le site plus islamique…
Le débat porte plutôt sur le contraste entre la volonté des pouvoir publics de redorer les vestiges musulmans et sa négligence – volontaire ? – de prendre soin des monuments « laïcs » ou chrétiens, comme la Basilique Sainte-Sophie qui aurait bien besoin d’une restauration, et dont les autorités souhaitent refaire une Mosquée.
Si cela peut paraître anodin, les débats provoqués à l’Assemblée illustrent le clivage de plus en plus insistant qui oppose les partisans du pouvoir en place à l’opposition. Le pays, qui souffre déjà de son image en raison des différents attentats terroristes qu’il a subi, doit aussi composer avec la polarisation croissante de la société, en particulier à Istanbul. Ces tensions inquiètent les professionnels sur le long terme pour l’attractivité de la ville.