En tant que Belges, notre amour-propre a été attaqué cette semaine de manière peu sympathique. Sans doute par maladresse, Mark Rutte, le Premier ministre hollandais a déclaré lors d’une conférence de presse qu’il ne voulait pas que son pays termine… comme la Belgique.
Mark Rutte s’est indirectement attaqué à notre pays en disant qu’il ne voulait pas que les Pays-Bas terminent comme la Belgique, c’est-à-dire comme un pays qui n’a plus qu’une seule multinationale, à savoir la firme brassicole InBev.
En fait, il voulait défendre dans son propre pays la suppression d’une taxe fiscale alors que l’opposition y est farouchement opposée disant qu’il s’agit d’un cadeau aux entreprises. Et il n’a rien trouvé de mieux que de faire référence à la Belgique pour se défendre. Bref, selon lui, si on ne retire pas cette taxe, les Pays-Bas finiraient comme la Belgique avec une seule véritable multinationale.
Évidemment, quand un Hollandais ose dire ce genre de choses, la tension de nos compatriotes flamands bondit d’un coup sec. Il faut dire que ce n’est pas toujours l’amour fou entre la Flandre et les Pays-Bas. Et la réponse de Peter Timmermans, l’administrateur délégué de la FEB, la fédération des entreprises belges, a été cinglante. En clair, il a répondu au Premier ministre hollandais qu’il ne voyait pas de quoi il parlait, que la Belgique avait encore des dizaines de multinationales. Bref, notre honneur national a été piqué au vif. Et il a eu raison: dans la vie, le seul amour garanti, c’est l’amour propre.
« Oui, nous avons laissé nos fleurons partir à l’étranger ! »
Mais entre nous, strictement entre nous, est-ce que le Premier ministre néerlandais avait totalement tort ? Je crois, hélas, qu’il a quand même un peu raison. La preuve, les éditions Racine ont sorti l’an dernier un ouvrage dont le titre est « Paroles de patrons ». Et que dit en substance ce livre rédigé par trois historiens belges ?
Eh bien simplement que la Belgique n’a pas été fichue de garder le contrôle d’entreprises magnifiques de niveau mondial. Que ce soit la Sabena, Petrofina, Tractebel, la Société Générale de Belgique, la Royale Belge, Fortis, BBL, Delacre, Côte d’Or, et j’en passe, toutes ces entreprises sont passées sous pavillon étranger ! Et quand on lit ce livre, on a plutôt envie de donner raison au PM hollandais.
En effet, les historiens en questions ont interrogé plus de 72 acteurs clés de l’époque. Et loin d’avoir un discours aseptisé, ces anciens acteurs ont des mots très durs sur les patrons de l’époque. Ils n’ont pas hésité à critiquer vertement leurs anciens collègues. En gros, ces patrons de l’époque sont jugés incompétents, défaillants, voire vendus à l’étranger !
Quant aux gouvernements de cette triste époque, le livre démontre qu’ils ont été aux abonnés absents, notamment à cause du morcellement de la décision politique entre État fédéral et Régions.
J’en parle aujourd’hui, parce que même si cela fait mal, surtout quand ça vient de l’étranger, nous devons aussi accepter la critique. Oui, nous avons laissé nos fleurons partir à l’étranger ! Certes, le patron de la FEB a également raison, nous avons encore de belles entreprises, souvent familiales d’ailleurs, mais refuser d’assumer la partie sombre de son passé, c’est aussi ne pas vouloir en tirer des leçons pour l’avenir. Bien sûr, il ne faut pas pleurer sur le lait renversé, mais c’est en gardant en mémoire nos bêtises passées que nous éviterons de commettre les mêmes erreurs à l’avenir.