C’est parfois au détour d’une conversation que l’on a tout d’un coup une prise de conscience de la solution d’un problème. En ce qui me concerne, j’ai mieux compris pourquoi en Belgique nous n’avons pas autant d’entrepreneurs que nous le voudrions.
Ce déclic m’a été fourni hier soir en écoutant le professeur Roland Gillet, dans le cadre d’un exposé au Cercle Chapel à Waterloo. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, Roland Gillet est professeur de finances à la Sorbonne et à l’Université Libre de Bruxelles.
Le raisonnement est simple à comprendre. Lorsqu’un étudiant en gestion vient le voir et lui dit qu’il a envie de lancer sa propre entreprise, il a pour habitude de demander à ce professeur qu’elles sont ses chances de réussite. Et là, les statistiques sont confondantes. En temps normal, une personne sur trois qui se lance à son compte fait faillite. Et ce en temps normal, pas en temps de crise.
Supposons que nous soyons en temps normal. S’il rate son coup, l’apprenti entrepreneur doit savoir à quoi s’attendre. Et là encore, en Belgique, mais en France également, c’est assez simple. D’abord, il devra assumer ses pertes et généralement aussi celles des amis ou membres de la famille qui lui auront donné ou prêté un peu d’argent pour se lancer. C’est en soi déjà assez difficile. Ensuite, il ou elle devra affronter le regard des autres pour lesquels il sera considéré comme un loser. Là encore, rien à voir avec les États-Unis, où les échecs sont considérés comme formateurs et donc comme une sorte de diplôme de la vie.
L’ex-entrepreneur sera alors fiché dans un organisme officiel et cela pourra lui poser des soucis lorsqu’il voudra contracter un crédit par exemple. Et s’il émarge au chômage, il touchera moins qu’un salarié, alors même qu’il aura plus de risque que ce salarié.
Bien sûr, se lancer dans une entreprise ne veut pas dire nécessairement que l’on va rater, il y a aussi des cas de réussite. Mais là encore, le professeur Roland Gillet pointe l’incohérence de notre système. Si l’entrepreneur réussit et qu’il a le bonheur de pouvoir enfin se rémunérer, il sera autant taxé qu’un salarié qui n’aura pris aucun risque. Autrement dit, l’entrepreneur ne reçoit aucune récompense ou incitation pour sa prise de risque. Pire encore, les derniers développements fiscaux sont à son désavantage, que ce soit la hausse du précompte mobilier qui a doublé pour les PME ou que ce soit l’instauration d’une taxe sur les plus-values.
« Aujourd’hui en Belgique, on dit aux entrepreneurs: si cela marche mal, vous perdrez tout. Et si vous réussissez, l’État vous prendra la moitié de vos bénéfices »
En résumé, un entrepreneur en Belgique est socialement et financièrement sanctionné s’il rate son coup. Et s’il a le bonheur de réussir, le fisc le rattrape au tournant et le massacre pour ne plus lui donner envie d’entreprendre. Résultat: les jeunes qui posent ces questions au professeur Roland Gillet, lorsqu’ils sont vraiment motivés, ne se laissent heureusement pas décourager par ces inconvénients.
Le souci, c’est que de plus en plus souvent, ils se lancent ailleurs. Au Luxembourg, à Londres ou plus loin encore, et ça, c’est un gâchis pour la Belgique, car ces jeunes diplômés ont été formés par l’État. Ils ont donc coûté de l’argent au contribuable, mais les richesses qu’ils vont générer demain bénéficieront à d’autres pays. Ce ne sont pas des gens vils, mais ces entrepreneurs en herbe estiment que le système n’est pas équitable.
Aujourd’hui en Belgique, on dit à un entrepreneur: « si cela marche mal, vous perdrez tout. Et si vous réussissez, l’État vous prendra la moitié de vos bénéfices ». Le résultat est que les jeunes Belges les plus dynamiques partent. Sur ce plan, la France est hélas un mauvais exemple à suivre. Ne dit-on pas que Londres est la 6e ville française en termes d’habitants ?