Les enclaves, ces parties d’un pays entièrement situées dans un autre, sont fascinantes. Par exemple, la commune belge de Baarle-Hertog est entièrement enclavée aux Pays-Bas, avec une frontière dessinée sur le sol, qui traverse les rues, les trottoirs et jusqu’aux portes des maisons ! Plus connues, les enclaves de Ceuta et de Melilla, villes espagnoles au Maroc, qui fournissent à la couronne britannique un excellent argument pour ne pas rendre Gibraltar à l’Espagne.
Llivia n’est pas du tout connue. C’est un bourg espagnol situé en Cerdagne, un « petit pays » des Pyrénées Orientales, département français, mais dépendant de la province catalane de Girona. Le village est à quelques kilomètres de la Principauté d’Andorre, et tout au bout de la fameuse Nationale 20 qui, de Paris, donnait accès au Sud-Ouest par Limoges, Brive, Toulouse… jusqu’à la frontière espagnole.
Très loin dans l’Antiquité, le bourg s’appelait Kerre. Les Romains y installent une garnison et fortifient la ville qui devient la « capitale » de la région de Kerre, la « Kerratania » qui a donné Cerdagne en français. Romaine, la bourgade change de nom, en l’honneur de l’impératrice Livie, épouse d’Auguste et mère de Tibère.
Durant le Haut Moyen Âge, Llivia est une possession des Wisigoths qui contrôlent alors tout le Sud-Ouest de la France et le Nord de l’Espagne. Au 8e siècle arrivent les musulmans, et Llivia change à nouveau de nom pour devenir Medinet-el-Bab, la ville de la Porte. C’est par cette porte que la conquête musulmane se poursuivra en France, et ne sera stoppée qu’à Poitiers par Charles Martel.
Mais en attendant, quelques « Arabes » commençaient à pactiser avec les chrétiens. Le prince de Medinet-el-Bab, un certain Mounouz, épousa la file du Duc Eudes d’Aquitaine : impardonnable pour ses coreligionnaires, qui massacrèrent le couple.
Dès 759, Pépin le Bref reprend la Cerdagne aux musulmans. Ensuite, lors des multiples successions et échanges propres à la féodalité, Llivia, qui a retrouvé son nom, devient propriété du Royaume de Majorque. Le village ne compte plus qu’une bonne centaine d’habitants et a perdu de son importance stratégique.
Au 15e siècle, Louis XI annexe la Cerdagne à la France, ce qui déplait au roi d’Aragon. C’est finalement la population du village qui choisit son camp, et chasse les Français.
De nos jours, une route dite « neutre » relie Llivia à Puigcerda, à 4km de distance, sans contrôle douanier. On se doute bien que la contrebande y a toujours été active, jusqu’à l’abolition des frontières par l’Europe.
Il y a peu d’attractions touristiques dans le village, qui se consacre à la protection et l’élevage d’une race de petits chevaux pyrénéens très rustiques.
Ensuite on peut y voit la pharmacie locale qui date de 15e siècle et est aussi un musée de la pharmacie. Enfin l’église Notre-Dame des Anges (et donc de Los Angeles…) est assez curieuse, protégée par trois tours fortifiées avec meurtrières, et d’une porte ornée de fer forgé.
Sur les hauteurs du village, on aperçoit les créneaux de l’enceinte ruinée du château. Les alentours sont paradisiaques pour les amateurs de randonnées, avec les sommets enneigés à l’arrière-plan. Pour le logement, ce n’est pas le choix qui manque, en hôtels traditionnels ou en chambres d’hôtes. Il y a même deux hôtels réservés aux adultes, ce qui garantit une certaine tranquillité… Andorre est à une vingtaine de kilomètres, Font-Romeu à un jet de pierre.
Pour les amateures d’histoire et de mystère, Montségur et son château cathare n’est pas loin (60 km), Rennes-le-Château un peu plus loin (80 km), et il faut compter 100 km pour rejoindre Perpignan et toutes les plages du Roussillon.
Un séjour en Espagne sans quitter la France : c’est ça, l’originalité de Llivia !