Le vœu le plus cher de tous les journalistes est d’être cru. Je parle des professionnels, mais il est évident que les complotistes et habitués des fake news ont la même ambition.
Durant toute ma carrière, la crédibilité a été le moteur de mes écrits. Et je dirais même que lorsqu’il m’est arrivé des aventures extraordinaires ou quand j’ai rencontré des personnages connus, je me suis abstenu d’en parler. Simplement parce qu’il y avait un risque qu’on me prenne pour un frimeur.
Cette attitude remonte à mon enfance. Léo, le second mari de ma grand-mère maternelle (je n’ai pas connu le père de ma mère qui avait été assassiné) était danois à sa naissance. Lorsqu’éclate la Première guerre mondiale, il a neuf ans.
Le Danemark est un pays neutre, mais les biplans de la Force aérienne danoise veillent. L’un deux subit une panne et atterrit dans un champ à proximité de la maison des parents de Léo.
Le pilote est recueilli et, en attendant les secours, nourri et logé. Quand l’avion est réparé, pour remercier ses hôtes, il propose de leur faire faire un tour en avion. En 1914, imaginez l’événement ! Ainsi, Léo fait un tour dans les airs, survole son village (Hostert), son école…
Evidemment, le lendemain, il s’est empressé d’aller raconter son aventure à ses copains, à l’instituteur… « Vous avez vu l’avion hier ? J’étais dedans ! ».
Personne ne l’a cru et celui qui allait devenir mon « Daddy » en a gardé un fort ressentiment. Mais il avait aussi gardé cette formule : « Dans la vie, l’important n’est pas de dire la vérité, c’est d’être cru ! » J’ai toujours eu un doute : dire des mensonges et être cru n’est pas du tout ma philosophie.
Sean Connery
Pourquoi dis-je tout cela ? Simplement, parce que Sean Connery est mort le 31 octobre dernier et que j’ai pensé immédiatement à l’histoire de l’avion danois. En effet, j’ai rencontré l’acteur écossais lorsque j’avais vingt ans (1974) et nous sommes restés liés le temps où il résidait à la Costa del Sol, à mi-chemin entre l’hôtel (Santa Marta) que gérait mon père et le Puerto Bañuz. Beaucoup de vedettes passaient par le Santa Marta, y compris de vieilles gloires comme Steward Granger ou Dany Robin. Elles étaient sûres d’éviter les paparazzis qui commençaient à débouler dans la région.
C’est ainsi qu’en discutant avec Sean (qui venait de se remarier avec la Française Micheline Roquebrune), il fut heureux d’apprendre que je jouais aux échecs. Et c’est ainsi que, presque tous les après-midis t lorsque nos agendas « concordaient » (moi, les congés scolaires d’hiver, Pâques et d’été ; lui le tournage de ses films), on se retrouvait dans sa maison de Rodeo Beach pour éprouver nos capacités stratégiques. Avec un enjeu ! Un cigare pour le gagnant. C’était symbolique : moi, je lui refilais des Don Alvaro de Tenerife et lui des Monte-Cristo n°3 de Cuba…
On discutait aussi de ses films – Le Crime de l’Orient Express, Zardoz, L’Homme qui voulut être Roi, Le Lion et le Vent… et bien entendu des James Bond. Avec des confidences sur ses partenaires, les requins de Thunderball dont il avait une frousse bleue et des centaines d’anecdotes. « Sais-tu Patrick qu’en français, on dit ‘double zéro’ sept, alors que la vraie dénomination devrait être ‘double O’ sept car ce sont les lettres O ? Et ça, c’est Ian Fleming qui me l’a dit ! »
Je me souviens aussi d’un Noël passé avec Micheline, Sean et son fils Jason – dans les années 1970, l’hiver à la Costa del Sol était mortel ! Et des petits restos où il acceptait de bon gré des dédicaces. Ou lorsque nous sommes allés voir James Last à Tivoli (Torremolinos) ou Liza Minelli et lorsque… Et puis non, si je continue, il y a de quoi écrire un livre. Si notre relation a été durable, c’est parce que je me suis toujours tu.
Mutisme
De retour à Bruxelles, jamais je n’ai raconté ces histoires. Il a fallu attendre une trentaine d’années. Là, j’ai commencé à parler de mes relations avec la famille Connery à quelques amis triés sur le volet, dont j’étais sûr qu’ils ne mettraient pas ma parole en doute. L’un d’eux m’a envoyé ses condoléances à la mort de Sean et je l’en remercie (je sais qu’il me lit).
Mais même le 31 octobre, je me suis demandé s’il n’était pas opportun, en guise d’évocation dans mon journal, de relater certaines anecdotes sur l’acteur décédé et, finalement, je me suis dit qu’il valait mieux pas. Là aussi, on m’aurait pris pour un vantard. Alors, je me suis abstenu. La crédibilité dépend de ceux qui s’expriment, mais aussi de leurs interlocuteurs, dans le fond.