A peine remis d’une pandémie qui l’a mis au tapis, le secteur de la croisière a de nouveau le vent en poupe. En 2022, 272 navires de croisière – d’une capacité moyenne de 2 126 passagers – sillonnaient les mers de la planète, selon un récent rapport de la CLIA (Cruise Lines International Association). D’ici 2027, les compagnies maritimes prévoient de recevoir jusqu’à 75 nouveaux paquebots, ce qui signifie une hausse de 27 % de la flotte actuelle… du moins si tous les bateaux de croisières voguant sur les mers du monde aujourd’hui continuent à naviguer dans quatre ans… Cette croissance fait des heureux, à commencer par les ports qui les accueillent et profitent d’importantes retombées économiques.
Le succès de la croisière ne se dément donc pas. Le secteur est pourtant régulièrement pointé du doigt par des ONG écologistes. Terre & Environnement vient même de publier un chiffre qui marque les esprits : en 2022, 218 navires naviguant en Europe ont émis autant d’oxydes de soufre (SOx) qu’un milliard de véhicules ! À Marseille, l’un des deux ports les plus pollués d’Europe (avec Le Havre), les 75 bateaux de croisière qui ont accosté en 2022 ont émis deux fois plus de SOx que l’ensemble des voitures immatriculées dans la ville, selon T&E.
Les professionnels de la croisière ne manquent pourtant pas de rappeler que leur activité pèse peu dans le secteur du transport maritime (*). Lequel ne compte que pour 3% des émissions mondiales. Et les croisiéristes de vanter une solution idéale pour réduire les rejets de CO2 : les motorisations au GNL (gaz naturel liquéfié). Dans les ports comme en pleine mer, elle réduit de 85 % les oxydes d’azote, annihile les émissions d’oxyde de soufre, génère 95% de particules fines de moins que le fioul lourd… Costa (Smeralda, Toscana), MSC Cruises (World Europa, Euribia) ou encore Aida Cruises (Aidanova) ont déjà adopté le GNL. D’ici 2027, 26 navires de croisière devraient fonctionner au gaz naturel liquéfié. Les ports s’adaptent ainsi au pas de charge afin d’avitallier les bateaux depuis les terminaux méthaniers les plus proches.
D’après une récente enquête de Transport & Environnement, le GNL serait en fait bien plus polluant qu’il n’y paraît. Comme le relevait la BBC sur son site la semaine dernière, citant l’ONG, les navires de croisières en escale à Southampton auraient généré plus de 14 tonnes de méthane en 2022, « soit une multiplication par 36 en trois ans« . Le premier navire de croisière britannique propulsé au GNL, le P&O Iona (P&O Cruises, filiale de l’américain Carnival), aurait ainsi produit l’an dernier autant de méthane que… 10 500 vaches. Or, le méthane est une fort émetteur de gaz à effet de serre.
Pour T&E, « ces navires sont meilleurs en termes de pollution de l’air, mais ils sont extrêmement nuisibles d’un point de vue climatique en raison des fuites de méthane de leurs moteurs”. L’association préconise ainsi de recourir à l’hydrogène, dont on sait qu’il s’agit d’une technologie prometteuse… sur le long terme. Sachant que les nouveaux paquebots qui sortent des chantiers ont une durée de vie d’une bonne trentaine d’années…
C’est notamment lorsqu’ils sont en escale dans les ports que les paquebots suscitent le plus d’hostilité, de la part des riverains. L’heure est donc au branchement électrique à quai des navires, leur permettant de couper leurs moteurs. Aujourd’hui, une trentaine de ports dans le monde sont équipés de ce système de branchement électrique, dont 11 en Europe, notamment dans le Nord. Un tel équipement sera obligatoire pour certains navires – dont les paquebots de croisières – dans l’ensemble des ports européens en 2035 (règlements FuelEU Maritime, AFIR). MSC Cruises ne s’y trompe pas, qui vient d’annoncer qu’elle allait accélérer son plan de branchement de ses navires (y compris ceux exploités sous sa nouvelle marque haut-de-gamme Explora Journeys) avec au moins 15 nouveaux ports entre 2024 et 2026 où ils utiliseront systématiquement les installations d’alimentation à quai.
Le branchement électrique doit donc largement contribuer à atteindre l’objectif fixé par l’UE au secteur maritime : réduire de 80% les émissions carbone des plus gros navires voguant dans l’UE d’ici 2050 par rapport à 2020. Mais pour atteindre un tel objectif, il faudra aussi développer des filières de carburants de synthèse, miser sur la propulsion à voile… D’ici là, confronté à une sensibilité accrue aux problématiques environnementales, le secteur de la croisière peut s’attendre à naviguer par gros temps…
(*) En 2020 la flotte mondiale de transport maritime commercial atteignait 99.800 navires…