Constructeurs d’avions : les raisons de l’échec des européens

J’emprunte le sujet de ce papier au cabinet ID Aero, dirigé par Jacques Delys. Depuis des années, il fournit, tous les mois une information factuelle et de grande qualité en faisant ressortir les faits qui ont impacté le transport aérien dans monde. J’ai eu l’attention attirée par un constat que tout le monde peut faire : comment se fait-il que des appareils européens parmi les plus performants n’aient pas connu le succès ? A l’appui de cette assertion, ID Aero cite les cas emblématiques du Concorde, mais aussi de l’Airbus A 340 et plus récemment de l’arrêt annoncé de l’Airbus 380.

Ces trois appareils, fruits de la coopération européenne, n’ont à l’évidence pas eu la vie qu’ils méritaient. Les trois ont été plébiscités par les clients, mais les compagnies aériennes n’ont pas suivi.

Comment expliquer ces échecs ?

Je me suis penché sur les carnets de commandes de ces machines. L’A 340 a été acheté en tout et pour tout à 397 exemplaires par 51 compagnies dont aucune américaine. Seuls 14 transporteurs, dont aucun américain, ont passé commande du A 380 pour un total de 274 machines dont 234 ont été livrées. Quant à Concorde, les pauvres 16 exemplaires fabriqués ont été répartis entre British Airways et Air France, les britanniques en ayant commandé plus que les français.

Au fond, on se rend bien compte que le succès d’un appareil tient non seulement à ses qualités propres car les 3 exemples cités sont, à l’évidence, d’une grande réussite technique, mais surtout au fait qu’il déclenche un engouement auprès des très grands donneurs d’ordre.

Or ceux-ci sont, qu’on le veuille ou non, américains. Seuls les transporteurs des USA sont capables de garnir suffisamment les carnets de commande pour que les constructeurs investissent dans le développement des appareils.

L’exemple du Boeing 747 est à cet égard très instructif. Ce magnifique avion a été produit à 1.548 exemplaires. Mais pour ce faire il a fallu pas moins de 9 versions différentes depuis le B 747/100 jusqu’au récent B 747/8.

Les premières commandes datent de 1966 et les dernières de 2018 soit 52 ans après les premiers ordres, plus d’un demi-siècle.

Comment expliquer une telle longévité et un tel succès ? Essentiellement parce qu’il a été supporté dès de début par les très gros transporteurs américains.

Faut-il rappeler qu’en 1970, année de la mise en service du B 747, le transport aérien comptait moins de 400 millions de passagers dans le monde et que ce nombre a été multiplié par 10 pour dépasser 4 milliards en 2018.

Le saut de capacité entre le B 707 configuré au mieux pour 150 passagers et le B 747 de 400 passagers était alors beaucoup plus important que celui créé par la mise de l’Airbus 380 sur le marché.

Avec une croissance moyenne de 5 % par an, il fallait transporter 20 millions de passagers supplémentaires en 1970, mais cette même croissance en amène plus de 200 millions en 2019. Cette seule croissance correspond à la moitié du trafic aérien de 1970, année d’entrée du B 747 dans le ciel.

Comment alors expliquer que l’Airbus A 380 n’ait pas trouvé son marché ? La seule bonne explication est qu’aucune compagnie américaine n’en a acheté. Or c’est tout de même dans ce pays aux distances si grandes et au trafic intérieur si dense, qu’il aurait eu la meilleure utilisation.

Avec un support des 3 grands groupes américains : United/Continental, Delta Air Lines et American Airlines, Airbus aurait alors obligé de faire évoluer son appareil, tout comme Boeing l’a fait pour le B 747.

Oublions le cas de Concorde, condamné dès le début par le véto des américains qui ne voulaient pas le voir posé à New York.

Il a fallu commencer par la desserte du Paris-Rio, pour laquelle l’appareil n’était pas dessiné.

Quant à l’A 340, il a été étouffé par l’arrivée des nouveaux très gros moteurs, lesquels ont permis aux bimoteurs d’avoir les mêmes performances que les quadriréacteurs avec un gros avantage de poids et de maintenance.

Avec ce qu’il faut bien appeler l’échec de l’A 380, Airbus risque bien de se voir cantonné dans les appareils de petite et moyenne capacité.

Certes l’A 350 se vend bien : 974 commandes et 240 livraisons, pour 48 clients dont United Airlines et Delta Air Lines, certes l’A 330 poursuit une belle carrière avec 1.408 appareils en service de quatre versions différentes et plus de 200 à livrer, mais le vrai succès reste la série de l’A 320 dans des nombreuses versions.

378 compagnies l’ont commandé dont une dizaine d’américaines qui en ont tout de même acheté près de 1.400 exemplaires.

Il a été fortement relancé par les versions NEO de sorte qu’il en reste encore plus de 6.500 à livrer et qu’il y en a plus de 14.000 en service.

Les européens ont besoin de la clientèle américaine. Encore faudrait-il que nous amis d’outre atlantique ne se replient pas sur eux-mêmes, comme cela semble être le cas pour le moment.

Jean-Louis Baroux

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