A priori, dans un éditorial économique, il n’y a pas de raison d’évoquer le phénomène Eric Zemmour. Détrompez-vous, il y a des liens à établir entre les mécanismes de l’économie et le trublion de la politique française.
D’abord, il y a ceux et celles qui s’entêtent à parler d’une «bulle médiatique» à propos de Zemmour. Sous-entendu : en lui coupant le micro, on arrêtera sa progression dans les sondages. Erreur de raisonnement. La bulle «Zemmour» comme la bulle «immobilier» ou «Bourse» ne vient pas du Saint-Esprit, elle vient des taux d’intérêt extrêmement bas depuis des années.
Et comme les épargnants cherchent à tout prix du rendement, l’immobilier ou la Bourse grimpent automatiquement faute d’alternative. Même remarque pour Zemmour, ce n’est pas une bulle qui vient de nulle part, comme le rappelle Le Figaro.
Motif ? Cet ancien journaliste écrit des livres qui se vendent comme des petits pains depuis plus de 20 ans. Ses idées ne sont pas neuves et plaisent à une frange de la population depuis belle lurette. Et c’est ce même Zemmour qui est chroniqueur vedette depuis plus de 15 ans sur TF1 ou sur RTL France et bien d’autres chaînes françaises.
Dire que Zemmour est une «bulle» médiatique, c’est mentir. Ladite «bulle» a été fabriquée pendant des années par des médias en mal de clics, en mal d’audience («engagement» est le mot hypocrite utilisé par les médias audiovisuels pour se voiler la face) et qui aujourd’hui font mine de s’effrayer de la montée dans les sondages d’Eric Zemmour.
D’ailleurs, ne sont-ce pas les mêmes qui s’insurgent contre ses idées, mais qui font de l’audience en l’invitant ou en parlant de lui ? En d’autres mots, oui, exactement comme les taux d’intérêt bas fabriquent des bulles «boursières» et «immobilières», le modèle économique actuel des médias et des réseaux sociaux peut aussi fabriquer des bulles «politiques ou médiatiques» notamment parce que l’audience se nourrit de personnes très clivantes ou de sujets abrasifs.
Mais continuons notre parallèle économique : aujourd’hui, les entreprises sont confrontées à des pénuries de produits, elles font donc appel à des fournisseurs alternatifs pour ne pas avoir à subir trop longtemps ces ruptures de stock. Là encore, même parallèle à nouveau en politique : tous les sondages disaient que l’élection présidentielle allait se faire autour d’un tango Macro-Le Pen. Mais le seul «hic», c’est que Macron n’a plus la fraîcheur de la nouveauté de 2017.
Pire encore, les éventuels perturbateurs de type Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon ne sont pas des perdreaux de l’année, vu que tous les deux se sont déjà présentés deux fois à l’élection présidentielle. Les revoir à nouveau pour une 3ème tentative, c’est lassant pour l’électeur en mal de débats plus salés et pimentés. Résultat : que font une partie des électeurs ? Ils ont été chercher un autre fournisseur d’idées répondant mieux à leur angoisse sourde du déclin de la France et de leur hantise fantasmée « du grand remplacement».
Bref, Eric Zemmour est venu rompre la « monotonie d’une offre prévisible» comme l’écrit joliment Le Figaro. Bref, nous redécouvrons que la politique, c’est aussi une question d’offre et de demande. L’électeur est aussi consommateur, il va tous les jours sur Amazon, et habitué au choix, il ne veut plus être limité au choix binaire (Macron-Le Pen) que les élites de droite ou de gauche voudraient lui imposer.
«On a créé un monstre qui est en train de nous échapper» aurait confié un journaliste à nos confrères de Médiapart. Voulue ou pas, l’allusion au monstre du Dr Frankenstein est la bonne, car elle pose aussi la question du modèle économique vicié des médias d’aujourd’hui. La même question s’était déjà posée aux États-Unis avec Donald Trump et les médias français feignent aujourd’hui de découvrir ce problème qu’ils ont eux-mêmes provoqué pour partie. Au fond, ce qui m’étonne, c’est leur étonnement.