Le drame du vol Ethiopian Airlines le 10 mars et ses 189 morts après celui de Lion Air (157 morts) le 29 octobre dernier, au delà du terrible coût humain, est en train d’entraîner Boeing dans la plus grave crise de son histoire. Deux appareils Boeing 737 d’un modèle de toute nouvelle génération, le 737 Max 8, qui s’écrasent juste après leur décollage, ce ne peut pas être que pure coïncidence.
Les autorités aéronautiques de nombreux pays ont très rapidement réagi, en tout premier la Chine suivie rapidement par l’Europe, en interdisant l’utilisation de ce type d’appareils et même le survol de leurs espaces aériens. Ces mesures frappent les deux dernières versions les 737 Max 8 et 9.
Dès le 10 mars à l’annonce de ce deuxième drame, la première réaction de Boeing fut de contester à priori tout rapport entre les deux crashs.
Suivi en cela par la FAA, l’autorité aérienne américaine, dont les liens avec Boeing sont, disons, assez proches, qui a autorisé la poursuite des vols les jours suivants, jusqu’à ce que le Président Trump signe la fin de partie dans la nuit du 13 au 14 mars quand la DGAC canadienne a officiellement annoncé que les relevés satellitaires montraient des similitudes très fortes entre les deux accidents.
La FAA a lors interdits tous les vols de 737 Max aux USA.
Dorénavant, quasiment tous les appareils de ce type sont bloqués au sol dans le monde entier, provoquant de graves problèmes aux 46 compagnies qui les exploitent.
Certaines comme Southwest (34 appareils 737 Max) et American Airlines (24 appareils) qui possèdent, chacune, une flotte importante peuvent faire face, même si elles peuvent être amenées à diminuer la fréquence de certains vols, mais d’autres comme Norwegian qui faisait voler pas moins de 18 Boeing 737 Max, vont affronter de graves problèmes.
Norwegian qui est dans une situation financière un peu difficile ne sera peut être pas à même de louer des appareils de remplacement, et a déjà annoncé qu’elle va demander de très grosses indemnités à Boeing.
Boeing face aux problèmes
Toutes les compagnies qui ont dû immobiliser leurs appareils doivent provisionner des dépenses exceptionnelles: frais et droits de parking de ces avions, des équipages qui ne travaillent pas, des dédommagements pour les passagers et des frais de location d’appareils de remplacement avec leurs équipages et une belle pagaille dans leurs planning de vols.
Ces 370 avions ainsi cloués au sol, auraient dû transporter environ 350.000 passagers chaque jour.
Il est sûr que toutes ces compagnies vont se retourner contre Boeing pour être indemnisées, et il y a gros à parier que les discussions financières sur les commandes en cours et à venir vont être sévères car des retards à la livraison et même des annulations de commande sont vraisemblablement à prévoir.
Mais pour Boeing qui avait engrangé pas loin de 5.000 commandes de cet appareil, le pire est à venir, c’est la perte de confiance de ses clients. Car le lancement de ce nouveau modèle de 737 s’est fait un peu à marche forcée pour tenter de prendre une longueur d’avance sur son éternel concurrent Airbus.
Ce que l’on sait sur ces crashs
A l’heure actuelle, car aucune réponse formelle ne pourra être fournie par les enquêteurs avant de nombreux mois, il semblerait que le problème vienne du MCAS (Maneuvring Characteristics Augmentation System ou système d’augmentation des caractéristiques de manœuvre), un système automatique de correction d’angle de vol pour éviter un décrochage.
D’ailleurs Boeing vient d’annoncer qu’un nouveau logiciel va être installé en remplacement très bientôt, dans une dizaine de jours parait-il…
On peut se demander si un délai aussi court est une bonne preuve de fiabilité et si cela va rassurer pilotes et passagers.
Pour augmenter ses commandes face à l’Airbus A320neo, Boeing avait demandé aux ingénieurs de Safran et GE de plancher pour obtenir une réduction d’environ 14 % de la consommation de carburant, mais pour ce faire la taille des nouveaux réacteurs a du être augmentée.
Le moteur étant un peu plus volumineux, la garde au sol sous le réacteur devenait trop faible. Il a donc fallu avancer légèrement vers l’avant et un peu plus haut la position des réacteurs.
Ce qui créait un léger déséquilibre de l’appareil qui au décollage et dans certaines configurations de virages, pouvait avoir tendance à se cabrer un petit peu trop, entraînant un risque de décrochage.
Alors Boeing a eu l’idée d’ajouter discrètement ce fameux logiciel MCAS qui à l’aide de deux sondes AOA (Angle of Attack) corrige automatiquement le cabré de l’appareil en cas de besoin en le faisant piquer du nez sans que le pilote en soit averti.
Dans le cas du vol de Lion Air, les contrôleurs aériens ont réalisé que l’appareil a effectué plus d’une vingtaine de « sauts de cabris » de plusieurs centaines de pieds juste avant de s’écraser, ce qui aurait été confirmé par les premières analyses des boites noires.
Les premiers constats montrent que les sondes AOA donnaient des informations erronées, faisant piquer l’appareil alors même que le pilote essayait de prendre de l’altitude. Il semble que le même phénomène ait été observé lors du crash du vol Ethiopian.
Mais ce qui risque de coûter très cher à Boeing, et pas seulement en termes économiques ou financiers, c’est que l’installation de ce système s’est fait en grande discrétion, et qu’il n’y a pas eu d’information technique sur les risques de ce logiciel ni sur la manière d’y faire face en cas de dysfonctionnement. Ce problème ne figurait même pas dans le manuel de vol du 737 Max.
Et jusqu’à récemment les pilotes n’étaient pas informés de ce système et aucune formation spécifique à ce sujet n’était incluse dans les stages de formation sur ce nouveau type de Boeing 737.
Et il a fallu attendre la mi-novembre, près de quinze jours après le premier crash, pour que Boeing envoi un bulletin d’information sur les risques de dérèglement du système MCAS. La FAA a demandé à Boeing de mettre à jour le manuel de pilotage.
Rapidement les pilotes des compagnies américaines ont reçu une formation complémentaire, mais ce n’a pas été le cas de la totalité des pilotes dans le monde qui volent sur les nouveaux 737 Max 8 et 9. Les séries de Boeing 737 antérieures ne sont pas concernées car elles ne disposent pas de ce logiciel spécifique.
Frédéric de Poligny