Bien que truffé d’observations pertinentes, voici le discours d’un écolo intégriste, qui participe au « tourism bashing » ambiant en colportant de fausses rumeurs, affirmations trompeuses et conclusions détournées.
Dans une interview à Corse Matin — il a enseigné un an la sociologie critique à l’université de Corse — Rodolphe Christin, auteur du Manuel de l’antitourisme (Ed. Ecosociété, Montréal), se répand sur une forme d’antivoyage que serait devenu le tourisme, où la découverte de la réalité ne serait plus du tout l’objectif. « Le voyage, c’est faire de nouvelles expériences ailleurs, au contact d’autres sociétés, d’autres espaces naturels et culturels », assure-t-il. Ce qui n’est évidemment pas faux. Mais le tourisme, constate-t-il, tend de plus en plus à préférer le divertissement à la diversité dans des espaces complètement configurés à des fins touristiques.
Où est la spontanéité ?
Le tourisme, dit-il, est devenu une prestation de services et a besoin d’une réalité qui soit organisée dans ce but, d’acteurs qui en soient des professionnels. Le touriste souhaite des espaces uniquement dédiés à sa pratique, qui ne contreviennent pas à son niveau de confort et correspondent à des critères de qualité ou de performances commerciales qui n’ont plus rien à voir avec l’exploration d’autres réalités.
On assisterait ainsi à une marchandisation totale, y compris avec l’assentiment des pouvoirs publics, qui accompagnent et soutiennent ce phénomène de privatisation avec des péages à toutes les portes d’entrée.
Pour Rodolphe Christin, le tourisme est un espace économique où la précarité des acteurs économiques est forte, ce qui est également vrai, avec un recours à des contrats très souvent saisonniers. Le tourisme est un secteur économique très fragile qui dépend étroitement de flux essentiellement exogènes : il suffit qu’il existe une forme d’insécurité, ou un simple sentiment d’insécurité, pour que ces flux s’interrompent voire se tarissent très rapidement. Or, c’est l’une des seules industries qui ne soit pas délocalisable.
Les pays du Nord, grands gagnants ?
Les économies locales ne bénéficieraient pas autant qu’elles le croient du tourisme. Plus qu’aux pays récepteurs, qui sont souvent au sud, le tourisme bénéficie beaucoup plus aux pays émetteurs, c’est-à-dire les pays du nord, qui concentrent les compagnies aériennes et les groupes hôteliers. Charles de Vivie, cadre dirigeant du groupe Kuoni, en admettant lui-même récemment (in Le Quotidien du Tourisme du 22 février 2018) que « tant pour un voyage moyen que long courrier, 80% du bénéfice du voyage restent dans le pays de départ », apportait évidemment de l’eau au moulin de Rodolphe Christin, qui en déduit que « les tour-opérateurs fournissent même les produits consommés sur place, puisque ce sont ceux que le touriste réclame ». A l’entendre, les charters allemands débarqueraient donc en Tunisie les soutes pleines de saucisses de Francfort… quelle blague !
Le sociologue y va ensuite de son couplet, répété textuellement, sur le navire de croisière qui « émet chaque jour en moyenne autant de particules fines qu’un million de voitures », une affirmation mensongère (lire PagTour du 3 mai) qui discrédite totalement son discours. Mais pas un mot sur les retombées économiques dans les ports : rien qu’en France, les services portuaires associés directement aux escales sont estimées à plus de 100 millions d’euros.
Le sociologue passe ainsi sous silence tout ce que le tourisme apporte malgré tout aux économies locales, de l’achat de légumes frais aux services des guides en passant par les marchands de souvenirs — même fabriqués en Chine — et les humbles cireurs de chaussures. Sans le tourisme, ces rentrées d’argent seraient tout simplement égales à zéro.
Mais au fait, a-t-on jamais pris la peine de demander à ceux qui vivent du tourisme ce qu’ils en pensent ? Et s’ils préféreraient vraiment se passer des charters et des bateaux de croisière ?
[Lire l’intégralité de l’interview dans Corse Matin]