«Danube si bleu, si brillant et si bleu…» telles sont les premières paroles du texte qui accompagne cette valse de Johann Strauss qui connaît depuis le triomphe que l’on sait et c’est ainsi que naquit la légende du «beau Danube bleu».
Bien sûr le fleuve revêt bien d’autres couleurs selon les saisons et les aléas de la lumière mais sur la semaine de croisière vécue en octobre entre l’Autriche, la Slovaquie et la Hongrie, je peux affirmer que j’ai vu le Danube intensément bleu durant ces quelques jours froids et lumineux sous un ciel bleu azur qui se reflétait dans les eaux paisibles du fleuve.
Avec ses 2.850 km de long, le Danube est le second plus long fleuve d’Europe après la Volga en Russie. Il prend sa source en Forêt-Noire en Allemagne et coule vers l’Est, baignant plusieurs capitales: Vienne, Bratislava, Budapest et Belgrade. Son parcours s’achève en Mer Noire où il s’ouvre en dessinant un delta protégé par une réserve de biosphère et inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco.
Notre croisière d’une semaine au départ de Passau en Allemagne ne nous permettra pas d’aller plus loin que Budapest, soit près de 1.500 km parcourus en version aller-retour, le bateau n’hésitant pas à naviguer toutes les nuits, de quoi nous bercer par un roulis léger interrompu par des passages d’écluses qui nous permettront de descendre (et de remonter ensuite) quelque 130 mètres au fil de la croisière.
Le Danube figure parmi les plus anciennes routes commerciales européennes et quand des embarcations plus grandes étaient tirées à contre-courant, celles-ci regroupées en convois, étaient tractées le long des chemins de halage par des hommes et par des animaux de trait. Cette navigation historique a disparu au début du 20ème siècle avec l’apparition des bateaux à vapeur et surtout du chemin de fer. Aujourd’hui le trafic marchandises du Danube a fortement diminué mais par contre, la navigation de croisière fluviale est de plus en plus active et la saison s’étire jusqu’aux fêtes de fin d’année.
Au fil de l’eau
Quand on s’installe sur le pont, bien emmitouflé dans un plaid pour se protéger de l’air piquant du matin et profiter ainsi du paysage qui défile lentement sous nos yeux, on se laisse surprendre par les couleurs chaudes de l’automne bien avancé déjà, d’autant que les abords du fleuve sont souvent longés de forêts qui gravissent des collines, les couvrant d’un manteau chatoyant de rouges orangés. Parfois surgissent des petits villages aux maisonnettes isolées et colorées qui rappellent celles que dessinent les enfants non loin d’une église blanche surmontée d’un clocher baroque à bulbe d’oignon.
Au-delà de Vienne, nous découvrirons à fleur du rivage un ruban de maisonnettes en bois construites sur pilotis à moins qu’il ne s’agisse de petits bateaux amarrés aux arbres. Ce sont à chaque fois des abris pour les pêcheurs du dimanche qui plongent alors dans le fleuve leurs filets de pêche tendus entre plusieurs perches, espérant ainsi remonter du poisson qui se mange en famille sur place ou plus tard à la maison. Il faudra aussi attendre le week-end pour voir des sportifs en aviron ou en kayak profiter de leur fleuve.
En Autriche, nous ne verrons guère de ponts mais quelques bacs permettent de passer d’une rive à l’autre. Plus loin le fleuve sert de frontière entre la Slovaquie et la Hongrie et le Danube semble bien infranchissable sur une grande partie de son parcours. On ne découvrira que le pont Marie-Valérie qui relie les deux pays à Esztergom (Hongrie) et Stúrovo (Slovaquie). Du coup le fleuve nous a semblé un long chemin silencieux qui sinue paisiblement entre monts et merveilles, témoin de siècles d’histoire que nous apprendrons à décoder lors de nos escales.
Linz, la méconnue.
Dès l’embarcadère au pied du pont des Nibelungen, la 3ème ville d’Autriche après Vienne et Graz affiche sa double casquette : la richesse architecturale de son centre historique préservé et le dynamisme de sa modernité qui lui a permis d’obtenir le label de ville Unesco des Arts Médiatiques. De quoi occuper une journée de découverte à quelques pas à peine du point d’amarrage du bateau.
Même le pont mérite d’être traversé en se souvenant qu’en 1945, il séparait la rive droite occupée par les forces américaines et la rive gauche tenue par l’armée soviétique, ce qui faisait dire aux habitants non dépourvus d’humour que c’était le pont le plus long du monde de l’après-guerre car il reliait Washington à la Sibérie….
La vieille ville largement piétonne se révèle charmante, avec sa vaste Grand-Place rectangulaire bordée d’édifices baroques et Renaissance aux couleurs pastel organisée autour d’une impressionnante colonne en marbre de la Sainte Trinité érigée, comme dans chaque ville du sud de l’Europe, aux lendemains de la peste noire qui décima la région en 1679 et en 1713. A Linz elle rappelle aussi deux autres fléaux auxquelles la ville venait d’échapper: l’invasion turque en 1704 et un terrible incendie en 1712.
La balade au cœur de la vieille ville sur les pas de deux enfants du pays incontournables, Johannes Kepler le mathématicien astrologue ou encore Anton Bruckner le compositeur organiste mène inévitablement à la gigantesque cathédrale néogothique Sainte-Marie construite en 62 ans à peine et achevée en 1924.
On découvre d’ailleurs toute sa modernité quand on y pénètre, si ce n’est une très belle statue en bois peint de la Vierge à l’Enfant qui date de 1510, d’autant plus belle qu’elle irradie par sa simplicité.
Ville industrielle en passe de s’éteindre dans les années 70, Linz a choisi de se donner un nouvel élan en se positionnant comme plaque tournante de l’économie créative, avec la création d’un festival Ars Electronica (https://ars.electronica.art) devenu depuis un centre médiatique interactif édifié au bord du fleuve, devant le pont des Nibelungen.
Il propose un musée consacré à la réalité virtuelle, aux réseaux numériques et aux nouveaux médias. Par ailleurs, juste en face du bateau, le Lentos, un édifice rectangulaire de verre et d’acier, abrite une des plus belles collections d’art moderne du pays (www.lentos.at). Quand la nuit tombe, les deux édifices illuminent leurs façades en offrant une valse de couleurs qui font rêver les passagers.
Melk, l’abbaye de tous les superlatifs
Dressée sur un éperon rocheux, cette abbaye bénédictine qui ressemble à une forteresse surplombe le Danube et s’impose aux croisiéristes qui débarquent dans le village, obligés de lever le nez. C’est ce cadre fascinant qui a inspiré Umberto Eco quand il a écrit son thriller médiéval «Le nom de la rose» dont le jeune Adso de Melk est le narrateur.
L’ancien château fort de Melk appartenait à la maison des Babenberg qui choisissent finalement Vienne comme lieu de résidence. En 1089, ils décident alors d’offrir le site aux moines bénédictins qui l’occupent depuis près d’un millénaire.
Ils en ont fait au fil des siècles un centre spirituel et culturel important, véritable écrin de foi et de savoir. La visite de la bibliothèque est édifiante, avec plus de 100.000 volumes, précieux incunables et manuscrits anciens, théologiques, encyclopédiques ou historiques qui tapissent les murs sur toute la hauteur. La collection de la bibliothèque compte également de superbes globes terrestres illustrant l’inextinguible soif de connaissances et de curiosité des bénédictins.
Comme un incendie ravagea le bâtiment d’origine, il fut complètement reconstruit dans le pur style baroque au début du 18ème siècle, à l’époque de la Contre-Réforme et de la fin de la menace turque sur l’Europe.
Il fallait donc en imposer par la magnificence avec une avalanche de décors en stucs recouverts de feuilles d’or et de saisissants trompe-l’œil dont par exemple des piliers en marbre qui ne sont pas tous en marbre et des décors peints au plafond qui donnent l’illusion d’une hauteur plus élevée. L’église abbatiale affiche également une décoration somptueuse.
Mais encore, dans son agencement au sommet de la colline, la métamorphose architecturale en impose avec sa coupole octogonale, les clochers jumeaux de l’abbatiale, la grande cour solennelle, les cours secondaires, les terrasses, les pavillons latéraux, tout concourt à une extraordinaire mise en scène.
Aux alentours, un parc avec des tilleuls vieux de 250 ans, une orangerie baroque et des parterres de roses offrent un lieu propice à la méditation au sortir de la visite de l’imposante abbaye dont la couleur jaune vif capte tous les regards.
(à suivre)
Infos pratiques
Plusieurs croisiéristes proposent cette belle escapade d’une semaine le long du Danube à la découverte de quelques villes qui la bordent. Nous avions choisi Viva Cruises avec son navire Viva Moments battant pavillon suisse.
Nous n’étions que 72 passagers pour 48 membres d’équipage, de quoi se sentir bien entourés d’autant que la formule de voyage inclut un all inclusive, de quoi s’offrir sans complexe chocolat chaud ou thé sur le pont aux heures fraîches du matin ou plus tard un apéritif bien convivial entre passagers dans le bar panoramique, face au déroulement paisible du paysage. www.viva-cruises.com
Notez que Rivages du Monde propose à partir de fin avril jusqu’en octobre une croisière de 12 jours depuis Passau jusque Bucarest en passant par l’Autriche, la Slovaquie, la Hongrie, mais encore la Croatie, la Serbie, et la Bulgarie. www.rivagesdumonde.fr/destination/croisiere-danube