Depuis quelques jours, et avec l’annonce de nouvelles grèves estivales, certaines rédactions donnent l’impression de préparer le faire-part de décès de Ryanair. A notre avis, on en est encore loin…
Si toutes les compagnies aériennes du monde avaient dû fermer boutique chaque fois qu’elles ont affronté quelques jours de grève, le ciel de la planète serait vide depuis longtemps. Reste qu’à travers ces articles de presse qui ne lui sont pas vraiment favorables, Ryanair paye aujourd’hui des années d’arrogance… et de succès.
Incontestablement, depuis le 15 septembre 2017, date à laquelle le problème de la gestion des congés et l’annulation de milliers de vols qui en a découlé est apparu de façon tout à fait imprévue, Ryanair traverse la crise la plus grave de son histoire et ne semble pas pouvoir en sortir à très court terme, c’est-à-dire avant la fin de la période de pointe estivale.
Enterrer le premier transporteur aérien européen n’en est cependant pas moins (très) prématuré.
Questions et (tentatives de) réponses
Ryanair doit-elle changer ?
Changer, non. Évoluer, oui ! Ryanair repose depuis sa fondation sur un modèle ultra low cost basé sur la structure de coûts la plus basse d’Europe. Le coût/siège/km de Ryanair évolue entre 0,04 et 0,06 €, là où les autres low cost sont autour de 0,06 – 0 ,08 € et où les compagnies traditionnelles sont allègrement entre 0,15 et 0,20 €.
Bref, Ryanair a de la marge et a accumulé une montagne de cash grâce à des exercices comptables qui ont toujours été bénéficiaires depuis sa fondation… Peu d’autres compagnies peuvent en dire autant.
Reste qu’aujourd’hui, le modèle social est à bout de souffle et doit évoluer. Et O’Leary, qui n’est quand même pas un imbécile, le sait…
Il sait aussi, car l’expérience l’a démontré, qu’une augmentation du ticket moyen de quelques euros (le ticket moyen de Ryanair hors extra est inférieur à 50 €) signifie d’office le départ de millions de passagers vers des compagnies plus généreuses en termes de service.
Pour survivre, Ryanair doit donc maintenir coûte que coûte le plus grand écart possible entre le prix moyen de son ticket et celui des compagnies concurrentes. Il y a donc un équilibre – périlleux – à trouver. Et rechercher cet équilibre en pleine période estivale n’est sans doute pas la chose la plus facile à faire.
Il ne serait pas étonnant que O’Leary joue la montre, attende la saison d’hiver pour clouer des avions au sol (comme tous les ans) et négocier des accords dans des conditions où il sera plus en position de force qu’actuellement. Dans tous les cas, un assouplissement de la politique sociale aura un impact sur les coûts et par conséquent sur les bénéfices. Cotée en bourse, qu’on le veuille ou non, Ryanair se doit d’avancer très prudemment sur cette question sensible.
Qui a intérêt à une chute de Ryanair ?
Si Ryanair est un partenaire dur et exigeant qui flirte sans hésiter, en franchissant même les limites de l’acceptable, avec les règles sociales, il ne faut pas oublier que la compagnie a été un accélérateur et un partenaire économique majeur dans de nombreuses régions d’Europe. Sans Ryanair, pas de Charleroi Bruxelles Sud, pas de Beauvais, pas de Skavsta, pas d’Eindhoven….
Dans le Nord de l’Europe, Ryanair a permis le développement durable de nombreux aéroports, avec un respect indiscutable de la parole donnée, pendant que dans le sud, une multitude de modestes destinations se frottaient les mains à la vue de la manne annuelle de passagers déversée par la compagnie. Que serait devenu l’aéroport de Carcassonne si Ryanair n’avait un jour décidé, presque sur un coup de tête d’y amener 300.000 passagers par an ? Poser la question c’est y répondre.
Cependant, le malheur des uns faisant le bonheur des autres et la nature ayant horreur du vide, les concurrentes de Ryanair peuvent, dans une certaine mesure, tirer profit de la situation. EasyJet, Vueling, Wizz Air, Volotea… pourraient effectivement attirer nombre de passagers déçus par Ryanair.
Ryanair et ses clients, je t’aime moi non plus. Stop ou encore ?
Quel client de Ryanair ne s’est pas un jour félicité d’avoir décroché un ticket aller-retour pour quelques euros (sans fort se soucier, il faut bien l’admettre du confort social des personnels de cabine) ?
Quand la crise des annulations de vol a éclaté en septembre dernier, Ryanair s’est empressé de balancer sur son site un million de sièges à 9,99 euros. Ruée immédiate des clients. Et commentaire lapidaire de O’Leary : mes avions sont remplis de passagers qui ont juré de ne plus jamais voyager avec Ryanair.
C’était sans doute encore vrai il y a quelques mois. Les dernières grèves, le refus – aussi incompréhensible qu’illégal – de la compagnie d’indemniser ses passagers a pu cette fois refroidir quelques ardeurs de voyage opportuniste et à bas tarif. Effectivement, la certitude de partir, mais aussi de revenir aux dates prévues mérite cette fois quelques euros supplémentaires. Les résultats d’août et de septembre apporteront une réponse rapide à cette question.
O’Leary doit-il partir ?
Michael O’Leary incarne l’ADN de son employeur comme peu d’autres dans le monde.
Au début des années 2000, quand il a annoncé qu’un jour 10% de ses billets seraient gratuits, le patron de l’aéroport de Zaventem, installé dans le confort douillet de son bureau, Havane à la bouche avait hurlé que c’était impossible… O’Leary l’a pourtant fait, comme beaucoup d’autres choses.
Moqué par certains, admiré par d’autres, craint par ses adversaires, il a fait de Ryanair ce qu’elle est aujourd’hui et les actionnaires le savent mieux que quiconque. La situation actuelle n’en est pas moins intenable. Doit-il prendre du recul ? se retirer complètement ? Son successeur est-il prêt et formé ? Des questions cruciales et stratégiques qui nécessiteront des réponses claires et rapides.
Enfin, et pour l’anecdote, rions un peu avec l’annonce de O’Leary de ne pas toucher son bonus annuel d’un million d’euro. Il ne s’est manifestement trouvé aucun journaliste qui a relayé cette info totalement symbolique, pour chercher et trouver dans le rapport annuel de la société que O’Leary est toujours détenteur de 3,8% des actions de la société, soit 46 millions d’unités.
Il aurait donc perdu, depuis le sommet du cours à 127 $, plus d’1 Md$. Le petit million de bonus apparaît donc comme un appât de plus dans lequel la presse s’est joyeusement engouffrée, à la satisfaction d’un patron toujours amateur de coups de com’… à bon compte.
Pierre Proneuve