Depuis le lancement de la réforme du classement hôtelier en 2006 — réforme obtenue par le Comité pour la Modernisation de l’Hôtellerie et du Tourisme Français —, et le décret d’application du nouveau classement fin 2008, cela fera 10 ans que l’hôtellerie française dispose de nouvelles étoiles, matérialisées par des panonceaux rouges (or, en 5 étoiles), à la place du bleu foncé.
Et cela fait quelques années que le parc d’hôtels étoilés fond comme cire au four.
Nous avions déjà eu l’occasion de le répéter maintes fois, en même temps que le Comité, qu’il y avait un problème avec les nouvelles étoiles hôtelières, notamment :
- les critères pour être classé, quelle que soit la catégorie, sont très minimalistes et peu exigeants,
- ils ont été élaborés sans interroger un seul client d’hôtel. Et cela se voit dans le résultat, loin de ce que peuvent espérer les voyageurs,
- le système de contrôle par des cabinets accrédités n’est pas fiable :
- les cabinets sont pris sur liste et payés par l’hôtelier, comme si un prévenu pouvait choisir son juge au tribunal,
- les items des grilles de classement sont souvent très interprétables. Où est l’objectivité ? Avec un risque avéré de complaisance…
- on peut compenser des critères obligatoires non satisfaits par des critères facultatifs, souvent sans vraie valeur,
- les vérificateurs ne logent pas dans les chambres jusqu’en 3 * (8 hôtels concernés sur 10) : comment alors déterminer les qualités basiques d’un hôtel ?
- jusqu’en 3 *, les hôteliers sont prévenus du jour de vérification,
- de nombreuses triches dans les vérifications ont été observées, ainsi que des conflits d’intérêts, etc.
Plus de 6 hôteliers sur 10 ont demandé une étoile supplémentaire par rapport à leur précédente homologation, grâce au minimalisme des critères de classement, sans enrichir pour autant leurs prestations, mais en espérant pouvoir augmenter leurs prix. Les clients ne sont pas dupes.
Mais la motivation de se surclasser a pu provenir également d’une volonté de revaloriser les fonds de commerce, puisque la méthode d’évaluation immobilière et de fixation de loyers, dite « méthode hôtelière », se base entre autres sur le nombre d’étoiles. Sauf qu’un surclassement non justifié peut être nocif sur le plan commercial.
Les grilles de classement ont été mises à jour en 2016, mais la plupart des critères sont restés contestables, dont notamment la taille minimale des chambres à proposer aux clientèles, qui se trouvent en-dessous de leurs aspirations.
Incitations par les collectivités
Si lors du lancement des nouvelles normes, les autorités avaient activement fait la promotion des étoiles auprès des hôteliers — mais étrangement pas auprès des touristes français et étrangers —, le volume de classés a pu monter durant les premières années après 2009. La nouveauté peut attirer et les promesses peuvent séduire.
Depuis, on assiste à un lent mais patent déclin. Surtout après la première vague de classements. Ce dernier est valable 5 ans ; il faut alors recommander une nouvelle vérification après cette période et ainsi de suite. Force est de constater que de nombreux hôteliers n’ont pas demandé de renouvellement.
Il n’y a aujourd’hui plus que 2/3 des hôtels français classés contre 86 % en 2009-2010. 11.526 établissements étaient étoilés en avril 2018, selon le registre d’Atout France, contre 17.721 en 2009. Soit une dégringolade de 35 % en huit ans. Voir graphique.
Si l’on retire les chaînes intégrées majoritairement classées, sauf les hôtels F1, les indépendants sont près de 45 % à ne pas / plus être classés.
Voilà sur le plan national. Mais, il est fréquent que dans les régions et les villes, moins de 50 % des unités hôtelières affichent un panonceau rouge.
Les causes à cette érosion du nombre de classés ?
Elles sont multiples, mais on peut en voir au moins quatre.
1) – Il faut payer les vérifications, quand l’acte était gratuit auparavant, assuré par la DGCCRF. A présent, ce sont des cabinets privés qui les assurent.
2) – Être contrôlé sur ce thème, comme sur les nombreux autres, est de moins en moins du goût des hôteliers. Ils sont déjà soumis aux commentaires en ligne de leurs clients.
3) – Beaucoup de collectivités avaient institué l’obligation préalable aux hôteliers de se faire classer pour bénéficier d’aides et de subventions, ainsi que des sociétés financières (par exemple, BPI) pour des emprunts à taux privilégié. Une fois les subventions ou financements obtenus, les hôteliers n’avaient plus de raison de se plier à cette contrainte du classement.
4) — La taxe de séjours, quand elle est appliquée dans les communes, est plus coûteuse (ce sont cependant les clients qui la paient) pour les hôtels classés que pour les non classés, y compris à tarifs comparables… Sur la masse de voyageurs reçus en une année, cela ne donne pas trop envie de garder son affichage étoilé.
Internet change toute la donne
Avec la puissance d’Internet et des OTAs, qui ont d’autres codes que les étoiles, les hôteliers ont compris qu’être étoilé, ou pas, ne changeait rien pour eux sur le plan commercial.
Sur ce dernier point, ils ont raison. Les clients d’hôtels français et étrangers que Coach Omnium interroge régulièrement, ne sont plus que 14 % à tenir compte des étoiles — 8 % des séniors — pour sélectionner les hôtels où séjourner. Ils étaient 64 % en 2008, avant la réforme du classement en France !
9 Voyageurs sur 10 passent par Internet pour trouver des hébergements touristiques. Ceci explique cela. C’est désormais le prix qui sert de référence au public pour se faire une idée sur la gamme d’un hôtel, comme pour les voitures. Pas les étoiles, devenues obsolètes.
Quant aux entreprises, dans leurs chartes de voyages qui régissent les déplacements de leurs collaborateurs et les conditions de tenues des séminaires, les étoiles n’entrent pour ainsi dire pas en ligne de compte. Là aussi, c’est le budget qui prime.
Enfin, 7 voyageurs sur 10 (surtout la clientèle de loisirs) recherchent régulièrement ou occasionnellement les avis et commentaires en ligne sur les hôtels avant de les choisir. Ce type d’information fiable, quoi qu’on en dise, a largement supplanté toute autre, dont les étoiles.
Deux autres éléments parlent contre le classement hôtelier :
1) — Si les clients d’hôtels savent qu’il existe des étoiles pour l’hôtellerie, et pas seulement en France, ils ne savent pas qui les attribue (donc, quelle est leur légitimité), quels sont les critères imposés, quels sont les impératifs donnés aux hôteliers, comment ces derniers sont contrôlés et enfin, quelles garanties cela procure aux voyageurs.
D’autant qu’il n’existe aucun numéro de téléphone ou adresse mail visibles dans les hôtels pour contacter l’entité « fantôme » qui arbitre les étoiles.
2) — Les avis et notes déposés par les clients d’hôtels sur les principaux sites de commentaires en ligne de voyageurs (Booking, Tripadvisor, Expedia…) sont rarement en harmonie qualitative avec ce que le classement veut prouver. Il suffit de lire les commentaires et de voir les photos publiés par les clients, sur un grand nombre d’hôtels récemment classés, pour s’en convaincre. Il va de soi que personne n’aurait pu croire, à part les naïfs, que les étoiles ne réuniraient que des bons hôtels dans chaque gamme.
En y regardant de près, tout le monde se rend compte que l’on trouve tout et n’importe quoi, gamme par gamme, tant en termes de qualités de prestations, que de prix. Rien n’est cohérent ni comparable.
Aucun avantage commercial perceptible à être classé
En résumé, le classement réformé qui devait — selon les annonces victorieuses des institutionnels — « contribuer à moderniser l’hôtellerie française, la valoriser et développer ses ventes », est en train de sombrer doucement vers l’apoplexie. Par manque de crédibilité, de fiabilité et d’assurances sérieuses. Voire de promotion.
Il est devenu un système purement administratif et non consumériste. Il n’a plus rien à voir avec sa vocation d’origine qui était de permettre de distinguer les hôtels, et d’apporter des garanties et une caution aux consommateurs.
Qu’a-t-il apporté sur le plan commercial ? Après 10 ans de « nouvelles étoiles », l’hôtellerie française reste coincée sur à peu près les mêmes scores de remplissage depuis même une douzaine d’années. Rien n’a par conséquent changé sur ce registre des ventes et surtout pas grâce au classement revisité. Voir notre Panorama de l’hôtellerie française. Les hôtels qui obtiennent des bons scores de remplissage le doivent uniquement aux capacités commerciales de leur exploitant. Pas en arborant un panonceau.
Quant aux hôtels non classés (près de 7.000), la plupart le sont désormais volontairement et plus nécessairement parce qu’ils n’auraient pu satisfaire aux critères peu exigeants du système.
Si on y trouve certes des établissements vieillis et qui ne font plus d’efforts pour se moderniser, beaucoup des adresses sans étoile peuvent être des bijoux et des unités aux prestations totalement correctes.
Les hôteliers ont compris que les étoiles ne peuvent rien pour eux, ni commercialement, ni en termes d’attractivité et de valorisation. C’était pourtant sur ce registre qu’on a cherché à les leur vendre. Ceux qui étaient bons avant la réforme du classement hôtelier le sont restés. Les autres, idem, avec ou sans étoiles.
Ou comment tuer en un rien de temps quelque chose qui aurait pu (dû) servir en bien au secteur hôtelier et touristique, et aux touristes et voyageurs.
Mark Watkins