Il ne se passe plus un mois sans que l’on annonce la création de nouveaux hôtels haut de gamme et de luxe, ici et là, dans les plus grandes villes comme parfois au fin fond des campagnes. C’est la fièvre étoilée !
Et pourtant, il convient désormais de se demander de plus en plus si suffisamment de clients seront là pour remplir ces maisons 4 et 5 étoiles. Et surtout combien le seront en payant le juste-prix.
Avec à présent 1.826 hôtels classés 4 étoiles et 370 homologués 5 étoiles (mai 2018), le parc hôtelier premium français a enflé de près de 260 % depuis 2009, soit 1.360 adresses de plus ! Voir graphique.
Il y avait à peine 839 adresses de ce type il y a 9 ans, qui représentaient 10 % de l’offre en chambres et moins de 5 % des hôtels. Aujourd’hui, ils pèsent 22,3 % du parc hôtelier français (en chambres).
A Paris, c’est même beaucoup plus. Près de 30 % des hôtels de la Capitale sont 4 ou 5 étoiles. Et on annonce encore près de 80 nouveaux entrants sur la destination dans ces catégories, petite banlieue comprise.
FANTASMES D’ÉLUS
Des hôtels haut de gamme et de luxe ? Les pouvoirs publics, les élus locaux et les promoteurs du tourisme français en ont rêvés. Et se félicitent du développement de ce créneau « en veux-tu, en voilà ».
Qu’ils passent complètement à côté de la question économique et de marché, voire la dénient, ne semble pas être un problème pour eux. Visser des panonceaux 4 et 5 étoiles à tours de bras leur semble l’essentiel à retenir. Le reste n’est que détail. D’autant que cela ne se fait pas avec leur argent personnel.
Il faut dire que s’il y a de plus en plus de créations dans ces catégories, un grand nombre d’hôteliers déjà là ont profité du minimalisme des critères des nouvelles normes de classement, parues en 2009, pour demander une étoile supplémentaire par rapport à leur précédent classement.
Et pour cela, ils n’ont que rarement réalisé des investissements pour embellir et enrichir leur prestation afin de la hisser à un niveau réellement supérieur. Ce qui donne un coté flou à l’affaire du classement. On se souviendra de toutes ces chaînes hôtelières positionnées dans le milieu de gamme (3*), et qui y restent, malgré leurs 4 étoiles obtenues les mains dans les poches, grâce au nouveau classement. Même chose pour les chaînes homologuées 4* et passées comme un seul homme au panonceau or.
TANT DE 4 & 5 ÉTOILES, est-ce une montée en gamme du parc hôtelier français ?
On le lit fréquemment, mais c’est non. Pour les raisons évoquées ci-dessus (critères peu exigeants pour être classé). Il s’agit juste d’une réécriture administrative et sur le terrain, d’une situation majoritairement factice.
L’espoir de beaucoup d’exploitants et de chaînes, qui ont fait surclasser leur(s) hôtel(s), était de pouvoir augmenter leurs prix. Mais la pression des OTAs et des voyageurs ne leur laisse souvent pas cette option.
D’autres surclassés (ou les mêmes) ont surtout voulu survaloriser leur fonds de commerce, selon la technique d’évaluation dite « méthode hôtelière » se basant, notamment, sur le nombre d’étoiles. On agit comme on peut.
Dans le neuf ou le réhabilité, si beaucoup d’investisseurs veulent désormais leur hôtel 4 ou 5 étoiles, mais également les maires pour « le rayonnement international de leur ville » (sic), ils sont encore une fois étrangement moins nombreux à se poser la question de leur rentabilité. Tant personne ne semble en douter.
Car depuis ces dernières années, les taux d’occupation se maintiennent dans le haut de gamme, au global, à toujours environ 65 %, toutes régions confondues (source Insee), comme en 2011 — hors incidence négative des attentats en France en 2016 et année 2017 exceptionnelle (67 %). C’est de 5 à 8 points de mieux que dans les catégories inférieures (du 1 au 3 étoiles). Voir notre Panorama de l’hôtellerie en France. De quoi stimuler à ouvrir du beau et cher !
SURCAPACITÉ EN VUE & DEMANDE INSUFFISANTE
Sauf que… les prix moyens chambre dans ces catégories ont chuté significativement de près de 25 % sur ce même laps de temps. Ou n’ont tout simplement pas pu être hissés comme il le faudrait. Tout en observant des coûts moyens d’investissement ayant pris une surcharge pondérale de 30 à 50 %. Et ce n’est pas fini.
Des grandes villes de province dotées de nombreux 4, voire 5 étoiles, voient leurs prix moyens chambre annuels plafonner dangereusement : autour de 125 €, 120 € ou même 115 €, seulement. Une misère.
Cela signifie qu’il n’y a clairement pas la clientèle en suffisance pour occuper ces hôtels aux tarifs qui devraient normalement être fixés au top, eu égard à leur catégorie. On ne vend donc pas au juste-prix, qui est la contrepartie pour obtenir de bons scores de remplissage.
De plus, non content que les taux d’occupation puissent être parfois bons, mais finissent par s’éroder ou stagner, on annonce encore l’arrivée de nombreux nouveaux établissements dans les grandes villes, en haut de gamme ou même en catégorie luxe. Inquiétant.
Car la surcapacité hôtelière dans le premium pointe furieusement son nez dans les agglomérations : Toulouse, Strasbourg, Lille, Lyon, Montpellier, Marseille, Bordeaux… et beaucoup d’autres. Une liste qui serait trop longue à lire. En corollaire, on voit déjà les taux de fréquentation prendre du plomb dans l’aile, un peu partout.
ARGUMENTS NAÏFS OU ERRONÉS
Le raisonnement reste presque toujours le même pour justifier de la création d’hôtels de luxe, avec plusieurs arguments incorrects :
1) – PRÉJUGÉ ?
L’on pense en premier qu’un hôtel de luxe va attirer par sa seule présence une clientèle haut de gamme et internationale. Ce serait beau si c’était vrai. Et coller une enseigne de chaîne internationale n’y changera rien. L’offre ne crée pas la demande dans ce domaine. Cette clientèle se rend dans une destination pour y faire quelque chose (pour affaires et/ou loisirs) et loge dans ce cas à l’hôtel. On ne se motive pas à aller dans une ville pour son ou ses hôtels. Il faut donc créer l’attractivité, si possible pérenne, avant de lancer des chantiers d’hôtels. Les hôtels ne peuvent devancer la demande.
2) – UN MANQUE ?
Il y a aussi le fameux « il faut ouvrir un hôtel haut de gamme car il n’y en a pas ». Sauf qu’il y a peut-être une raison (réalité de marché) pour qu’il n’y en ait pas. Pouvoir loger des VIP, des artistes en tournée, des ministres de passage — trop rares à venir séjourner dans une destination —, ne suffit pas à espérer un retour sur investissement pour ce type d’établissement upgradé. Il faut d’autres clients. Une demande insatisfaite se mesure. Il vaut mieux le faire avant de créer une cohorte de nouvelles unités hôtelières que de se rendre compte, après coup …qu’il n’y aurait pas ou jamais de demande en suffisance.
3) – SE VALORISER ?
Il ne faudra pas oublier que les exploitants hôteliers et propriétaires aiment de plus en plus faire classer leur établissement en 4 ou 5 étoiles pour se faire plaisir, se valoriser, chercher à se distinguer des concurrents. En oubliant qu’il s’agit d’un vrai positionnement sur le marché, avec une image, des tarifs et les services qui devraient aller avec. Donc des exigences onéreuses. Même si les clients sont désormais peu nombreux à prendre les étoiles comme critère de choix d’un hôtel (14 % des clients d’hôtels), on sait quand on se trouve dans un établissement avec une prétention haut de gamme ou non.
4) – ERREUR DE JUGEMENT ?
Enfin, on pense qu’un château, une jolie ruine à retaper, un manoir historique ou un monument à réhabiliter, situés dans un grand parc et un joli paysage, pourraient être de magnifiques hôtels chers et prestigieux. C’est d’ailleurs souvent le cas, en termes d’image. Mais là aussi, pour quelles clientèles et quelle profitabilité ? Car bien souvent, on ne quantifie pas la demande potentielle. Il y aura certes toujours des ou quelques clients pour loger dans du luxe ; mais combien ? Généralement pas assez pour rentabiliser l’affaire quand on observe le marché.
D’autant que les prix de revient s’envolent pour pouvoir s’implanter dans de l’hyper-centre-ville. Quand en plus on prend une diva du design et de l’architecture pour signer l’établissement, la facture est alors livrée en Rolls-Royce avec gants blancs et plateau d’argent.
Sans compter qu’il sera courant, avec un prix de revient très élevé, que les loyers à verser au bailleur soient astronomiques et dépassent tout entendement économico-financier.
Du coup, l’hôtel qui manque de clients va baisser ses prix, contre toute attente initiale, et son dumping (tarifaire) viendra concurrencer méchamment les hôtels de la gamme directement en-dessous. Et cela produit une guerre des prix locale et puis de la mortalité d’entreprises hôtelières, tôt ou tard. Y compris pour l’établissement haut de gamme ou de luxe concerné. Son exploitant / propriétaire sera alors tenté ou contraint de réduire ses charges/coûts d’exploitation et de diminuer la qualité de service.
Spirale infernale à faire fuir le peu de clients qui seraient venus et à plomber l’e-réputation, qui a un pouvoir de vie et de mort sur un hôtel, surtout dans le haut de gamme / luxe.
Chiffre d’affaires insuffisant, charges d’exploitation et financières trop lourdes, on devine la suite. Les ingrédients sont réunis pour flancher.
COMMENT EN ARRIVE-T-ON LÀ ?
Dans la plupart des cas, aucune étude de marché/faisabilité n’est faite pour vérifier s’il existe bel et bien une demande concrète et réelle (qui sera effective) pour une hôtellerie haut de gamme. On se contente du « il n’y en a pas, on va le faire, ce sera beau et ça va marcher ». Puérile et irresponsable argumentation quand on a affaire à des investissements aussi élevés.
Ou encore, les études de faisabilité sont de complaisance. Comme si mentir sur l’avenir d’un projet coûteux pouvait rendre service à quelqu’un. Sans compter que tout le monde — les conseils municipaux en premier — pense que ce serait bien qu’il y ait un hôtel de luxe dans leur ville, qui finit par faire « peur sur la ville ».
Et puis, qui veut encore accueillir du tourisme de masse ? On espère au contraire un tourisme haut de gamme, avec des clients qui se tiennent bien, qui dépensent beaucoup et qui restent longtemps.
Les exemples — nombreux — d’hôtels en déshérence ne manquent pas, parce que leurs investisseurs et exploitants ont cru qu’arborer un panonceau 4 ou 5 étoiles suffirait à rencontrer le succès.
Comme toujours, la folie du haut de gamme va se calmer d’ici quelques années quand on se rendra compte que sa disproportion fut déraisonnable et quand on comptera les éclopés et les mourants. En attendant, combien de projets vont péricliter et mettre des gens sur le carreau ? Nul ne le sait. On préfère fantasmer et regarder ailleurs.
Mark Watkins