Sauver le droit d’asile

Mouvements continus de population, Aquarius et autres...

Périples méditerranéens, réactions nationales parfois fortes, confusion fréquente entre migrants et réfugiés… les questions migratoires crispent plus que jamais les débats et les visions de l’Europe. Elles ont été au centre des enjeux du Conseil Européen jeudi dernier…

Dans ce contexte, Terra Nova et l’Institut Montaigne appellent à une prise en charge européenne effective du droit d’asile. D’une voix commune, ils proposent un système global vers lequel tendre pour gérer les demandes d’asile à l’échelle de l’Union tout en avançant une série de mesures d’urgence, à même de résoudre la crise humanitaire que notre Vieux Continent connaît.

Au cœur des propositions de ce rapport, se trouve la création de centres européens d’accueil et de traitement (CEAT) sur le sol européen ; les demandes d’asile des secourus en mer y seront traitées en moins d’un mois.

« Le droit d’asile en Europe doit retrouver humanité, efficacité et solidarité. C’est en sauvant ce droit que nous donnerons à l’Europe un nouveau souffle politique. Ce qu’il s’agit de sauvegarder, ce sont à la fois les personnes qui demandent l’asile et périssent par milliers aux portes de l’Europe, les valeurs humanistes qui ont été à la base du projet européen et l’avenir de l’Union européenne elle-même. » – Thierry Pech, directeur général de Terra Nova, Jean-Paul Tran Thiet, Senior Fellow à l’Institut Montaigne et fondateur de JPTT & Partners et Jean-François Rial, membre de Terra Nova et de l’Institut Montaigne et président de Voyageurs du Monde, tous trois auteurs du rapport Sauver le droit d’asile .

1. Une gestion des flux migratoires dans l’impasse

Le droit d’asile européen est en danger pour différentes raisons :

– L’exposition des pays de l’Union européenne aux flux migratoires est fonction de leur situation géographique.

– Certains pays européens, pourtant signataires de la Convention de Genève, paraissent vouloir se soustraire à leur obligation d’examen des demandes d’asile et d’accueil des réfugiés.

– Les taux de reconnaissance des demandes d’asile sont excessivement disparates d’un État membre à l’autre : le taux de rejet des demandes peut atteindre 90 % en Hongrie, alors qu’il est à 30 % en Allemagne (2017) .

Le système de Dublin : un échec, tant pour l’asile que pour l’UE. Le système de Dublin, qui laisse au pays de première entrée dans l’Union européenne la charge d’examiner les demandes d’asile, dysfonctionne aujourd’hui largement. Il fait reposer une responsabilité trop lourde sur quelques pays et favorise les mouvements de migrants entre États membres, créant une montée des tensions entre certains gouvernements.

Des solutions proposées inefficaces et non conformes aux valeurs européennes. Qu’elles soient d’initiative communautaire ou nationale, nombre de solutions formulées se concentrent uniquement sur le contrôle des flux d’entrée, dans une approche de “sous-traitance” de la gestion qui renforce la vulnérabilité et la dépendance européennes vis-à-vis des pays tiers.

Les accords bilatéraux, la notion de “pays tiers sûrs”, tout comme la mise en place, proposée par l’Autriche, de plateformes de débarquement, traduisent cette attention portée à la maîtrise des flux et dénotent la vision d’une gestion court-termiste de ces derniers . Quant aux tentatives de partage équitable de la charge de l’asile entre les États européens, elles ont, chacune plus ou moins, échoué.

Pourtant, il y a urgence à agir car quel que soit le chemin emprunté (asile, immigration illégale…), la tendance est à la persistance de flux migratoires à destination de l’Europe.

Entre 2013 et 2017, l’Union européenne a enregistré plus de 4 millions de demandes d’asile, soit près de trois fois plus qu’entre 2008 et 2012. En parallèle à cela, les entrées illégales sur le territoire européen sont en hausse continue depuis 2009. Si l’idée d’une « ruée sur l’Europe » doit être combattue, notre Vieux Continent devra composer avec une persistance de ce mouvement de fond.

2. Nos propositions pour un droit d’asile européen solidaire et efficace et un horizon migratoire pérenne

Aller vers un système global et intégré du droit d’asile européen. Aujourd’hui, l’Union européenne est face à un dilemme toxique. Les pays de première ligne voient le règlement de Dublin comme une contrainte qui concentre massivement sur eux les flux migratoires.

Les pays de deuxième ligne s’y accrochent comme à la garantie, non seulement d’une responsabilisation des pays de première ligne sur la gestion de leurs frontières, mais aussi d’une sorte de frontière interne entre eux et les pays méditerranéens. Pour tendre vers un horizon pérenne de gestion des flux, nous en appelons à la mise en place d’un réseau d’autorités nationales indépendantes (et ainsi soustraites aux influences politiques) et à la création d’un Office du droit d’asile en Europe (ODAE).

Ce dernier sera chargé de coordonner ces agences nationales et d’harmoniser peu à peu leur pratique décisionnelle. C’est cet ODAE qui surveillera notamment le respect des principes édictés par la Convention de Genève et permettra à l’UE de retrouver un droit d’asile alliant humanité, efficacité et solidarité.

Développer une diplomatie européenne de la migration. L’Union européenne doit jouer un rôle accru dans les relations avec les pays d’origine et de transit (aujourd’hui essentiellement bilatérales), afin de garantir l’asile à ceux qui le méritent, de faciliter le renvoi des déboutés et d’être en mesure de relever les défis migratoires à venir.

Répondre à l’urgence de la crise humanitaire. L’Europe ne s’étant jamais « faite d’un coup », il s’agit d’abord de répondre à l’urgence, en tenant compte des réalités politiques immédiates, dont on sait qu’elles peuvent freiner toute décision. Ainsi, pour dépasser les blocages politiques, nous proposons la création de centres européens d’accueil et de traitement (CEAT) sur le sol européen

. Situés sur les côtes de pays de l’UE ayant une façade sur la mer Méditerranée, ces centres seront dédiés à la gestion des demandes d’asile des « secourus de la mer » et à un accueil digne de ces personnes. Les délais de traitement, réduits à un maximum de 30 jours, permettront aux demandeurs d’asile, grâce à la présence dans chaque centre des différentes autorités nationales des États membres, de solliciter une protection de l’État membre de leur choix.

Ces CEAT répondront à une logique de solidarité double, qui associera d’une part tous les pays méditerranéens concernés par les flux migratoires et d’autre part tous les pays européens pour l’installation définitive des réfugiés. La répartition des demandeurs d’asile se fera d’abord sur la base de la préférence exprimée par ces derniers, sauf en cas de déséquilibre manifeste où le régulateur européen statuera.

Le droit d’asile est une des valeurs fondatrices de l’élan européen. La crise récente a donné à voir les insuffisances des outils juridiques européens en matière d’asile et, par extension, en matière de gestion des flux migratoires.

Les pays les plus démunis car les plus directement exposés et vulnérables ont vu naître en leur sein le désir politique d’un repli sur soi prétendument salvateur.

En sauvant le droit d’asile, en lui garantissant une délimitation stricte avec les autres types de migrations et en s’assurant que ce sont bien des critères objectifs qui interviennent dans le fait d’accorder ou de refuser ce droit, l’Europe renouera avec la tradition multiséculaire qui est la sienne et dissipera peut-être les tentations d’un repli sur soi.

Réformer en profondeur les procédures du droit d’asile en Europe

PROPOSITION 1 – Au sein de chaque État membre, transformer en agence indépendante l’autorité nationale en charge des demandes d’asile (comme l’OFPRA en France) de manière à empêcher toute interférence politique.

PROPOSITION 2 – Supprimer la clause du pays de première entrée du règlement de Dublin et permettre à chaque demandeur d’asile de solliciter la protection de l’État membre de son choix, tout en interdisant les demandes multiples.

PROPOSITION 3 – Créer un Office du droit d’asile en Europe (ODAE) chargé de coordonner les agences nationales indépendantes et d’harmoniser progressivement leur pratique décisionnelle. Créer une solidarité effective entre les États membres

PROPOSITION 4 – Permettre à l’ODAE, assisté d’un comité des représentants des autorités nationales indépendantes, de réallouer des dossiers à instruire, en cas de surcharge manifeste dans un État membre.

PROPOSITION 5 – Lorsque le nombre de réfugiés accueillis par un pays excède significativement la part d’effort qui lui revient, charger l’ODAE, sur demande de l’autorité nationale concernée, de procéder à une répartition entre les autres États membres, à la lumière de critères tenant compte de leur population, du PIB par habitant et de leur taux de chômage. Confier à l’UE un rôle plus important dans la gestion des relations avec les pays d’origine et de transit

PROPOSITION 6 – Européaniser les procédures de renvoi des déboutés en mobilisant les moyens de Frontex, et confier à l’UE le soin de négocier, avec les États membres, les accords de réadmission avec les pays d’origine.

PROPOSITION 7 – S’agissant des pays de transit, conclure des accords de partenariat pour faciliter un accueil des migrants respectueux de la dignité humaine, mettre en place des actions de formation et d’orientation, et sécuriser le parcours des demandeurs d’asile vers l’Europe (procédure de réinstallation avec le HCR). Créer un socle commun européen de droits pour les réfugiés et les demandeurs d’asile

PROPOSITION 8 – Permettre au demandeur d’asile d’accéder à l’emploi au plus tard trois mois après le dépôt de sa demande.

PROPOSITION 9 – Faciliter l’insertion des réfugiés en coordonnant plus efficacement l’action des travailleurs sociaux, des bénévoles et des administrations (hébergement, cours de langues, conseils techniques et juridiques, etc.).

PROPOSITION 10 – Accorder aux réfugiés un droit de séjour et d’établissement dans tout État membre, sans transfert du bénéfice des régimes sociaux spécifiques attachés au territoire qui a accordé la protection. Mobiliser le budget de l’UE et surmonter les blocages politiques

PROPOSITION 11 – Faire supporter par le budget européen l’essentiel des coûts de la politique du droit d’asile en Europe, en particulier la mise en place de centres d’accueil et de traitement d’urgence des personnes secourues en mer (voir infra , propositions n° 14 et suivantes), ainsi que les retours des déboutés.

PROPOSITION 12 – Pénaliser financièrement les États membres qui refusent de participer aux mécanismes de réallocation des dossiers à examiner ou de répartition des réfugiés.

PROPOSITION 13 – Si nécessaire, agir par la voie de coopérations renforcées ou de conventions ad hoc entre les États membres les plus volontaires. Adopter des mesures d’urgence pour faire face à la crise humanitaire en Méditerranée

PROPOSITION 14 – Créer, dans les pays de l’Union ayant une façade méditerranéenne, des centres européens d’accueil et de traitement (CEAT) où les demandes d’asile des secourus en mer seront traitées en moins d’un mois.

PROPOSITION 15 – En attendant l’abrogation définitive de la clause du “pays de première entrée”, prévoir que les personnes accueillies dans les CEAT pourront solliciter l’asile dans l’État membre de leur choix, sous réserve d’éventuelles péréquations (voir supra, propositions 4 et 5).

PROPOSITION 16 – Ouvrir dans chaque CEAT des bureaux des différentes autorités nationales, afin d’instruire les demandes d’asile des personnes présentes et d’assurer le transfert des bénéficiaires de protection vers le pays de l’Union qui la leur aura accordée.

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