Les Otas, comment en est-on arrivé là?

10 réponses (au moins)

Les agences de voyages en ligne (OTAs) font constamment les gorges chaudes dans l’hôtellerie. Juste un peu moins qu’Airbnb, en ce moment. Et il y a de quoi. Leur emprise hôtelière s’est posée depuis ces dernières années comme le givre d’hiver sur les vignes. Elles se sont imposées aux hôteliers en passant par le bon tuyau, leur point faible : celui des ventes. En captant les clients à la source et en les aspirant à leur profit.

Quoi de plus efficace pour ensuite demander des commissions méga costauds et s’attacher les clientèles sous sa bannière grâce aux technologies et à une offre qui plaît ? Et quoi de plus facile quand l’hôtellerie est structurellement désorganisée et minimaliste commercialement. Une belle place était à prendre. Les OTAs l’ont prise.

Car selon nos études continuelles auprès des voyageurs, si 80 % des clients d’hôtels passent par Internet pour trouver et organiser leurs voyages et hébergements (93 % de la clientèle de loisirs), leurs réservations via des OTAs ne cessent d’augmenter tandis que les demandes en direct sur les sites d’hôtels chutent furieusement : voir graphique ci-dessous.

Alors comment en est-on arrivé là pour que les OTAs aient pris une telle place au soleil ? Voici 10 explications parmi bien d’autres, qui s’imposent :

1 – Une solution technologique dans une place inoccupée

Booking.com a été créé en 1996 — il y a déjà 22 ans — par un ingénieur néerlandais, qui avait repéré une niche libre dans la réservation en ligne pour les voyages d’affaires et surtout de loisirs. Il n’existait alors que les centrales de réservations, surtout téléphonées et sous GDS, des groupes hôteliers et des chaînes. Ainsi que quelque unes, mais modestes, pour les hôtels indépendants. La société est acquise en 2005 par Priceline.

De son côté, Expedia — l’autre sur qui il faut compter — a été également lancée en 1996 aux Etats-Unis ; elle était alors une filiale de Microsoft.

L’idée chez Booking était de s’adresser au grand public via et grâce à Internet (lancé en 1990) qui s’étendait à vitesse TGV et de proposer, en guise de marchandises, une masse élargie d’hôtels et non plus un catalogue réduit, uniquement chaîné. Booking, c’est à présent 1,7 million d’hébergements dans 120.000 destinations. Personne ne peut rivaliser avec ce carnet d’adresses dans les groupes hôteliers, sinon d’autres galaxies d’OTAs comme Expedia.   

2 – Absence de vision

L’arrivée massive et visible des OTAs dans le paysage français est assez récent : significativement il y a moins d’une dizaine d’années. Les grands groupes hôteliers ne croyaient pas à Internet, sinon — pour les Français — comme le remplaçant du fameux Minitel aux écrans N/B. Ailleurs, même chose : pas de crédibilité accordée à ces opérateurs.

Il suffit de voir comment Accor avait pris son temps pour investir dans le Net et organiser sa web-distribution avec beaucoup de retard, en traînant des pieds. On l’accusait alors d’en être encore à l’ère de l’ancienne économie. Quand les OTAs menaient dans le même temps leur modernisation et leur conquête mondiale à tambours battants.

Les agences de voyages en ligne, on les regardait de haut. Le modèle économique des agences de voyages en dur était au plus mal. Leur apparente version Internet n’était perçue que comme un moyen de mourir moins vite. Bref, personne n’avait soupçonné la puissance potentielle des OTAs et n’avait senti ce qu’elles deviendraient quelques années plus tard : des super aspirateurs de clients. Négligence, absence de vision et posture hautaine ont eu raison de la raison.      

3 – L’hôtellerie, un secteur atomisé

Alors qu’aux États-Unis les chaînes hôtelières dominent largement le marché, en Europe le secteur est atomisé avec une multitude d’opérateurs et une majorité d’indépendants. Entre 80 et 95 % selon les pays. Même si on a assisté depuis ces 15 dernières années à une concentration des chaînes entre les mains d’une poignée de groupes, avec un gros coup de main des fonds d’investissement, le restant du parc hôtelier demeure composé de petites entités. En France, 73 % ont moins de 50 chambres et 1/3 moins de 20, aux faibles moyens commerciaux.

Même les syndicats hôteliers n’ont qu’une représentativité réduite. Il a donc été facile pour les « mastodontiques » OTAs, opérant comme une armée ordonnée et homogène, se servant des technologies de pointe, de s’installer comme un seul homme sur le marché de la distribution hôtelière, dans ce paysage indiscipliné et désorganisé.

4 – Les hôteliers, mauvais vendeurs

Outre son aspect épars, divisé et au fonctionnement souvent artisanal, l’hôtellerie qui avait non seulement pris un énorme retard de modernité en ne croyant pas aux vertus et à l’avenir d’Internet, se montrait et se montre encore comme médiocre vendeur. Chez les indépendants, se sont 4 hôteliers sur 5 qui ne développent pas de commercialisation active pour leur établissement.

Pire que cela, une majorité d’exploitants d’hôtels et leurs collaborateurs (près de 6 sur 10, selon notre dernière étude sur le sujet) ne comprennent rien ou si peu à la commercialisation sur le Net, aux acteurs qui y opèrent, aux mécanismes du web-marketing et aux comportements d’achat des clientèles sur Internet. Cela n’aide pas à accepter le rôle des revendeurs…

Dans les chaînes hôtelières volontaires, les moyens financiers manquent pour exister commercialement, comme en termes de notoriété (qui fait vendre). Quant aux réseaux intégrés — plus « riches » — leur action commerciale se fait en se concentrant surtout sur les grands comptes (les grandes entreprises), en laissant de côté les PME sur le tourisme d’affaires. Et le tourisme de loisirs n’est pas leur fort, globalement. Internet, ils y sont venus, encore une fois, sur le tard.

Pour autant, les chaînes vont un mieux depuis près de 3 ans. Depuis qu’elles ont compris qu’il était plus malin de faire ami-ami avec les OTAs que de chercher à les contourner et à les concurrencer.  

Les OTAs sont d’abord et avant tout des structures commerciales, à but lucratif (cela n’avait échappé à personne). Pour parvenir à leurs fins, ce sont des milliards de dollars investis par elles en publicité, en budgets de référencements et en opérations promotionnelles. Et l’effort pour vendre toujours plus est permanent, pas juste en « one shot » comme les chaînes le font pour leurs campagnes de publicité. Et cela dure depuis longtemps. Personne ne peut rivaliser, ne serait-ce qu’un peu. De quoi être dépassé !  

Les hôtels sont leur marchandise, qu’elles vendent aux voyageurs, lesquels sont encore une fois 9 sur 10 à se rendre sur leur terrain de jeux : Internet. Pas de dispersion comme le font les groupes hôteliers à tirer sur tout ce qui bouge. Les agences de voyages en ligne ciblent les clients sur le Net : entreprises et particuliers de tous âges qui voyagent. Elles suivent et profitent de l’évolution des technologies, peaufinent leurs algorithmes et scrutent les comportements d’achats à la loupe, quand elles ne les devancent pas. Et avec le développement de l’intelligence artificielle, ça va décoiffer !

Des ordinateurs fixes, en passant par les supports nomades (ordinateurs portables, smartphones, tablettes), on les retrouve partout, elles et leurs applis. Avec la généralisation de la 4G et demain de la 5G, cela ne peut qu’avantager leur business de plus belle.

5 – Marketing de l’offre versus marketing de la demande  

Quand les hôteliers en sont toujours à un marketing de l’offre en imaginant pouvoir encore imposer leurs prestations et leurs produits, et en espérant, cierge en main, que les clients vont les adopter, les OTAs fonctionnent clairement dans un marketing de la demande. Elles collent aux basques des clients, les pistent, les géolocalisent, en les mettent assurément au centre de leur travail. Tout se fait pour plaire avant tout aux voyageurs, connaître leurs besoins, voire les anticiper.   

Les agences de voyages en ligne, c’est complètement la créativité à tous les étages pour vendre toujours plus et s’adapter sans cesse aux attentes et envies des consommateurs. Chaque jour ou presque, ce sont de nouvelles offres, des promotions, des suggestions, des services innovants qu’elles mettent au point et lancent.

Il est vrai qu’il est plus long et plus lourd d’innover dans des hôtels qui nécessitent d’importants investissement que dans des systèmes commerciaux, par définition plus souples. 

6 – Omniprésentes

Il n’est pas compliqué de constater qu’en faisant toute recherche d’hébergement touristique sur le Net, via les moteurs de recherche, mais pas seulement, les premières réponses aux requêtes sont systématiquement celles émanant des OTAs. Même en indiquant le nom précis d’un hôtel.

Quand on sait (études Coach Omnium) que 80 % des personnes qui recherchent un hébergement ne dépassent pas la première page de réponses de Google et que 20 % ne vont pas au-delà de 2e page, la boucle est bouclée quand il n’y en a globalement que pour les agences de voyages en ligne. D’ailleurs, 35 % des voyageurs déclarent qu’ils ne savent pas toujours à qui ils ont affaire : un intermédiaire ou le site officiel de l’hôtel trouvé.

Pour y arriver, outre les sommes colossales versées à Google et compagnie pour être visibles dans les premières lignes de réponses, les OTAs font les pirates en tenue de camouflage, en faisant du Brandjacking (détournement de marque). Elles ont également bien d’autres tours dans leur sac pour s’accaparer des clients, toujours davantage de clients. Et les faire revenir, encore et encore. L’opinion révoltée des hôteliers à leur égard, bien compréhensible, semble être le moindre de leurs soucis. Seuls comptent les consommateurs pouvant être attirés et en corollaire, bien sûr, le chiffre d’affaires réalisable grâce à eux.   

7 – Garanties et valeur ajoutée pour plaire aux voyageurs

Quand autrefois, il n’y a pas si longtemps, seules les chaînes intégrées apportaient des promesses commerciales (normes, qualité, contrôles…) aux clients qui voyagent, mais valables uniquement pour les hôtels sous leur enseigne, les OTAs sont parvenues à apporter des garanties elles aussi. Mais, sur l’ensemble des unités qu’elles revendent, composé d’indépendants et d’unités de chaînes. Et aussi à présent, d’autres formes d’hébergements touristiques.

Ces garanties rassurent : surtout la clientèle de loisirs moins accoutumée à voyager que la clientèle d’affaires. Elles peuvent se présenter sous la forme de protection (intervenir s’il y a un conflit ou un litige avec un hôtelier) — même si les OTAs se déclarent anormalement non responsables juridiquement de tout problème —, mais aussi sous de vrais ou de fausses promesses. « Le prix le moins cher » est l’illustration la plus basique de ces annonces alléchantes.

Et ça marche puisque 18 % des clients d’hôtels interrogés par Coach Omnium pensent — à tort ou à raison — que les tarifs sont plus avantageux sur les sites des OTAs qu’en direct auprès des hôtels. Quand on sait que ce critère est le premier de la liste pour les voyageurs et que 3/4 d’entre eux trouvent que les hôtels sont trop chers, on comprend vite l’enjeu. 

Enfin, le nec plus ultra est la création des avis et commentaires en ligne de voyageurs. Comment se faire mieux une idée d’un hébergement qu’en lisant ce que les autres clients en disent ? Loin des publicités et publi-reportages peu crédibles, achetés par les annonceurs. 

76 % des clients d’hôtels en tiennent compte, toujours ou parfois, au moment de rechercher un lieu où s’héberger. 46 % les perçoivent globalement comme dignes de confiance, 58 % les trouvent utiles. Et quand, comme sur Booking, il ne s’agit d’avis que de personnes qui ont réellement effectué un séjour, le filon reste valable.

Les chaînes pouvaient difficilement rivaliser et trouver une telle fiabilité. Comment noter ses propres hôtels et admettre que des critiques négatives puissent abondamment fleurir sur les adresses de son propre réseau ?

8 — Loi du plus fort et abus de position dominante

En pompant la clientèle hôtelière à la source, avec une efficacité de missile guidé air-sol et un opportunisme d’usurier, il est clair que les agences de voyages en ligne forment une digue filtrante bien embêtante pour les hôtels et les chaînes. Non contentes de déployer des moyens énormes de génie marketing, elles sont également championnes des coups bas, en bad boys. Mais c’est surtout au détriment des hôteliers, pas trop contre leurs clients. On ne mord pas la main qui vous nourrit.

D’où un score de satisfaction qui dépasse les 90 %, toutes OTAs confondues, selon nos dernières études faites auprès des clientèles hôtelières français et étrangères.

Elles travaillent aussi souvent de façon « borderline », avec des techniques de vente très au point qui ne cessent de se perfectionner, jour après jour. Le brandjacking, la stratégie du stress marketing (« plus que deux chambres disponibles à ce prix »), les fausses promos, l’appropriation de photos des hôtels, etc. tout est bon pour elles, sans scrupule.   

Sans parler des taux de commissions qui ne cessent de gonfler, surtout pour être bien placé sur les sites, et de la rigidification des conditions contractuelles avec les hôteliers. Pourquoi se gêner, quand on est leader avec une telle place hégémonique, ou presque ?

Pour autant, tout le monde commence depuis 2013 à se rebeller et à leur chercher des noises : syndicats hôteliers, groupes hôteliers, associations de consommateurs, médias… et même les gouvernements et l’Europe, avec des plaintes en justice à la pelle. Les buts recherchés ? Au moins, rééquilibrer les relations entre centrales de réservations et hôteliers, à défaut de parvenir à faire rentrer les OTAs dans leur trou.

Mais le temps que les affaires judiciaires courent, les affaires (le business) continuent pour les agences en ligne.

Quant à l’optimisation fiscale qu’on leur reproche, le fisc a ces sites dans le collimateur. Basés à l’étranger, ils se débrouillent, souvent, pour ne pas payer d’impôt en France. Ou si peu.

9 — Discrédit des chaînes et volatilisation des affiliés

Les chaînes hôtelières intégrées ont pour première vocation d’être des machines à vendre au prix le plus favorable pour elles et à trouver des clients. Les chaînes volontaires ont pu avoir cette ambition, mais avec peu de moyens.

Depuis l’avènement des Booking et de leurs compères, le moteur des grandes marques hôtelières s’est mis à branler et à perdre des pièces. Les OTAs leur volent la vedette par leur omniprésence sur le Net et par leurs performances commerciales inédites. Comment exister sereinement encore face à un adversaire volatile quand on reste un rampant ?

Du coup, de nombreux hôteliers se demandent si le temps des chaînes en franchise ou des affiliations à des groupements volontaires n’est pas passé de mode et n’a pas perdu de son intérêt.

Pourquoi payer des redevances à une chaîne quand on ne sait pas ce que cela rapporte vraiment commercialement et quand avec les OTAs, on peut mesurer au jour le jour les volumes de chambres louées par elles ? Pourquoi rester en cotisations fixes quand on peut passer uniquement à des commissions proportionnelles aux ventes réalisées ? Pourquoi ne pas reprendre sa liberté et travailler seul, grâce aux moyens promotionnels d’Internet et exonéré de toute contrainte imposée par la chaîne (contrôles, normes, ingérence…) ?

Si les chaînes étaient préférées en 2005 par 66 % des clientèles d’affaires et par 40 % des clientèles de loisirs, elles ne le sont plus aujourd’hui que par respectivement 56 % et 28 %.

Lire notre article sur le sujet : Les OTAs pervertissent le modèle commercial des chaînes hôtelières.      

10 — Pas d’augmentation des flux, mais une répartition de la demande

Bon nombre d’hôteliers, dont une majorité qui ne commercialisent pas activement leur hôtel, ont trouvé dans les OTAs une solution commerciale. Les indépendants peuvent y voir une aubaine sur ce registre même si cela leur semble (trop) chèrement payé.

Le risque est la totale dépendance, où nous voyons des établissements avoir 60 %, 70 % et jusqu’à 90 % de leurs chambres louées via les agences en ligne. On peut y voir un abandon coupable de sa responsabilité commerciale. Mais c’est le plus souvent un choix par défaut. Il n’en demeure pas moins que la domination des chaînes est moins flagrante et que la clientèle a pu se diriger plus facilement vers les indépendants, grâce aux OTAs.    

Enfin, si les OTAs absorbent de plus en plus de réservations hôtelières, elles ne créent pas un trafic de clientèle supplémentaire, contrairement à Airbnb et ses confrères. Les taux d’occupation de l’hôtellerie française sont globalement inchangés depuis ces 12 dernières années, tandis que les agences en ligne l’ont jamais été aussi présentes et démonstratives.

C’est par conséquent une répartition des voyageurs vers une plus grande diversité d’hôtels que l’on peut observer du fait des OTAs, pas un surplus de demande hôtelière à l’échelle du parc hôtelier.

Avec Coach Omnium

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