« Flygskam » : Faut-il avoir honte de voler ?

Notre confrère et ami, Patrick Anspach, a récemment « planché » au Skål Club de Bruxelles sur le sujet : « Faut-il avoir honte de voler ? », traduction de l’expression suédoise inventée voici quelques semaines. Il nous a aimablement autorisé à reproduire dans PagTour le texte de son intervention, et qu’il en soit remercié. Attention, accrochez-vous !

Je vais tout de suite vous répondre : honte de voler son prochain, oui ! Honte de voler dans un avion, non ! Je suppose que vous ne vous attendiez pas à autre chose !

La vague écologiste ne date pas d’hier. Mais ce qui est plus récent, ce sont toutes les conneries qu’on peut raconter en se référant à l’écologie. Malheureusement, l’effet recherché est inverse : cela décrédibilise ceux qui emploient des arguments fallacieux. En plus, il faut bien se rendre compte que, parmi les Verts, les contradictions sont nombreuses, y compris dans les milieux scientifiques. Pour les profanes que nous sommes, il est donc difficile de s’y retrouver.

Et puis, les avis sont divergents. Voyez les gilets jaunes. Leurs premières revendications en France concernaient les hausses de taxes sur les carburants qu’ils combattaient ; quant aux futurs analphabètes qui brossent les cours pour l’écologie de la planète, la première chose qu’ils veulent, c’est qu’on augmente les taxes sur les carburants pour favoriser ces engins de mort que sont les trottinettes par rapport à la voiture ou pénaliser l’avion par rapport au train, dont tout le monde sait qu’il roule à l’énergie solaire.

L’énergie fossile pour produire l’électricité, on oublie, à moins, évidemment, qu’on utilise l’énergie nucléaire. Mais allez dire ça aux membres du parti Ecolo et ils se plongent dans leurs smartphones vachement polluants, comme s’ils ne vous avaient pas entendus.

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Vous allez peut-être me trouver un peu remonté, mais il y a de quoi. Autant je crois que la planète est en danger et qu’il faut faire des économies d’énergie, limiter les déchets, trouver des carburants alternatifs, autant je trouve dommageable que ce soient des abrutis qui s’expriment au nom de l’écologie. Ça me fait mal de lui faire indirectement de la pub, mais il y a, par exemple, un conseiller communal à Woluwe-Saint-Pierre qui s’appelle Aymeric de Lamotte et qui a signé une tribune dans « La Libre » le 21 août dernier.

Cet avocat – il a donc fait des études… – y a écrit ceci : « …Je souhaiterais (…) que nous repartions à la conquête de ce que nous avons délaissé : ce qui est proche. Qui n’a pas d’abord voulu approcher la statue de la Liberté à New York ou s’enfoncer dans la brousse kényane pour un safari, alors qu’il ne peut mettre aucune image mentale sur la ville de Gand ou les paysages du Condroz ? » Et d’expliquer qu’après tout, en sortant de chez soi et en allant « à la rencontre de l’Autre », on peut s’enrichir spirituellement tout autant qu’aller à Bangkok.

Moi je dis au secteur du voyage : ce type, s’il entre dans votre agence, proposez-lui un City Trip à Ixelles (c’est à côté) et surtout interdisez-le de voyage qui nécessite un véhicule.

Les attaques contre l’aviation se multiplient. Ainsi, depuis le 1er octobre, les fonctionnaires de l’administration flamande ne peuvent plus prendre l’avion pour des déplacements de service de moins de 500 kilomètres ou de six heures par voie terrestre. Dans le même ordre d’idée, des voix se sont fait entendre pour estimer ridicule de prendre l’avion pour aller à Amsterdam. Mais qui prend l’avion pour Amsterdam ? Personne ! En revanche, il y en a qui prennent l’avion pour Schiphol. Et pourquoi ? Pour aller à Zandvoort ou Volendam ? Non ! Pour prendre un autre avion pour une destination intercontinentale.

Alors oui, on peut prendre le train pour Schiphol. Mais si vous l’avez déjà fait avec de grosses valises, je sais que vous ne le ferez plus.

Une autre idée est de taxer l’aérien ou d’appliquer une TVA sur le jet fuel pour le rétrocéder aux « transports propres » comme le chemin de fer qui n’est pas assez concurrentiel car trop cher. Une fois de plus, on veut taxer, au lieu de diminuer le prix du chemin de fer. Bien sûr, vous allez me dire que le rail est déjà honteusement subsidié et vous avez totalement raison ! Près d’un million d’euros par jour rien qu’en Belgique, par exemple.

Et vous aurez tout à fait raison de dire que ce n’est pas parce que c’est seulement un service public : le Thalys qui file vers Paris ou Marne-la-Vallée ne transporte pas que des navetteurs. Enfin, je vous rejoins totalement quand vous dites que si on appliquait les mêmes règles de gestion du rail épaulées par des syndicats obtus en aviation, aucune compagnie ne serait rentable. Nous sommes d’accord !

Dans ce contexte, la France a lancé une écotaxe sur les vols aériens au départ de la France allant de 1,50 € à 18 € selon les vols et les classes (comme si un passager mince en classe Affaires était plus énergivore qu’un obèse en classe Eco) afin d’alimenter un fonds destiné à développer les infrastructures ferroviaires. J’ai toujours dit qu’avec quatre kilomètres de piste vous allez dans le monde entier ; avec quatre kilomètres de rail, vous n’allez nulle part.

Jean-Luc Crucke, ministre wallon des Aéroports (MR en plus !), est favorable à une telle taxe, en oubliant évidemment que les compagnies aériennes européennes sont déjà taxées en Europe selon le système ETS (Emission Trading Scheme). En 2018, Brussels Airlines a payé 10 M€ et les compagnies européennes en général, quelque 590 M€ (+59% vs 2017). (Cette année, ce sera beaucoup plus, parce que le prix du baril de fuel a augmenté.)

Entre 2013 et 2018, ce montant était de 1,3 Mds € et vous savez quoi ? On ne sait même pas ce que les États en ont fait ! En tout cas, ils n’ont pas investi dans des carburants alternatifs ou des moteurs moins gourmands, ça se saurait ! Et ils n’ont pas fait ce que le transport aérien demande depuis près de trente ans pour économiser de 15 à 20% de consommation de carburant : Unifier l’espace aérien européen !

Aujourd’hui, il y a des couloirs en zigzag, des systèmes de contrôle différents, des nationalismes à outrance, des syndicats de contrôleurs aériens hyperpuissants que craignent les autorités – en France surtout – et, résultat, l’espace aérien européen est un véritable puzzle qui coûte une fortune aux compagnies aériennes. Plutôt que de taxer, l’Union européenne ferait mieux de revoir la gestion de son espace aérien, mais tout le monde en est convaincu : les États ont le trouillomètre au maximum à cause des aiguilleurs du ciel. Et on préfère taxer les compagnies et donc leurs passagers, sans savoir dans quoi investir.

Pour revenir aux ETS et à la concurrence avec les compagnies non-européennes, bonsoir les dégâts ! Hors-Europe, ça a été le niet absolu. Et quand je dis « Niet », je pèse mes mots : les Russes ont clairement dit que s’ils étaient soumis à cette taxe en Europe, plus aucune compagnie européenne n’aurait le droit de survoler la Sibérie. Et Bruxelles a rabattu son caquet. Puis ce furent les Chinois, puis les Américains. Donc, les seuls qui payent sont les compagnies européennes : Merci les cols bleus dogmatiques de la Commission européenne , grâce à vous la concurrence est équilibrée ! Bon, vous l’aurez compris, Crucke, vous le mettez sur la liste noire et vous ne lui vendez plus de billets d’avion…

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Lutte des classes

Alors que je développais certains des arguments précédents dans un cénacle huppé – c’était avec des agents de voyages -, l’un d’eux m’a dit (et écrit par la suite, ce qui me permet de le citer) : « Le développement spectaculaire du transport aérien est dû partiellement à celui des low-costs. Combien de gens prennent l’avion sous n’importe quel prétexte… pour aller passer le week-end à gauche ou à droite… ? » Et il ajoutait : « Il n’est pas normal que 1.000 kilomètres en avion ne coûtent que 60 ou 80 €, compte tenu de la pollution que ce vol engendre. »

Ah non ? Et pourquoi pas ? Là, je dis : « Attention aux dérives ! » C’est vrai que lorsqu’un vol sur New York coûtait huit mois de salaire d’un ouvrier, il n’y avait que les riches qui y allaient. Et le service était excellent. Et on était en bonne compagnie : les alcooliques s’endormaient au lieu de se bagarrer. De toute façon, on ne les voyait pas à cause des fumées des cigares. C’était bien. Aujourd’hui, il y a même des enfants braillards qu’on emmène en République Dominicaine ou à Cuba, je vous demande un peu !

Dire que les vols à bon marché doivent être proscrits, c’est dire qu’une partie de la population n’aura plus droit qu’au Lac de l’Eau d’Heure, dont la RTBF nous a parlé tout l’été, on se demande pourquoi, ou à « Montagne Blanche » (Blankenberge). Je pense donc que lorsqu’on veut utiliser des arguments qui vont à l’encontre de ceux qui dénigrent le transport aérien, il faut qu’ils soient imparables. Exemple : Pourquoi aller à Saint-Jacques de Compostelle à pied, alors qu’on peut y aller avec Vueling pour 35 € ?

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Poires et pommes

L’idéal est donc d’étayer les arguments avec des chiffres fiables. En vérité, ils sont très difficiles à trouver car tout le monde se fie sur des données déjà publiées, lesquelles proviennent de sources tout autant discutables. Admettons que l’empreinte carbone de l’aérien soit de 2% à 4%. Évidemment, l’erreur est de dire : « Oui, mais dans dix ans, le trafic aérien aura doublé et la proportion sera de 8%. » D’abord, c’est faux et ensuite, je dis que la vente des smartphones va doubler aussi et que cette empreinte-là sera de 16%. Au total, on aura 200% de facteurs polluants (grâce aux analphabètes qui brossent l’école le jeudi).

Et les textiles pour T-shirts d’adolescents fabriqués au Bangladesh par des gosses qui ne manifestent même pas pour le climat, il représentera 32%. Bon, je ne veux pas rire avec de véritables drames, mais quand même : la production de coton est responsable de 22,5% de l’utilisation des pesticides dans le monde. En 2018, la vidéo en ligne a engendré 306 millions de tonnes CO2 dans le monde. Et je pourrais parler de la pétrochimie, de la sidérurgie, de la construction. Mais non, on s’attaque à l’aérien, c’est plus facile.

Ce qui est sûr, comme je l’ai déjà dit, est que le chemin de fer n’est pas un mode de transport propre. Par passager-kilomètre, il est plus énergivore que l’avion. Si on veut protéger le climat, on commence par supprimer les réseaux sociaux et les banques de données gigantesques qui pompent littéralement l’énergie de la planète.

Mais dire qu’en doublant le trafic aérien en dix ans, on va doubler son empreinte carbone, c’est ou de la mauvaise foi ou de l’incompétence ou les deux. Les compagnies aériennes sont comme vous avec votre voiture particulière. Moins les avions consomment, mieux c’est car ça revient moins cher. Il n’y a pas à sortir de là. Toute innovation est bonne à prendre. Parlez-moi de biofuels, de moteurs plus économiques, de matériaux plus légers, je prends ! Ryanair et EasyJet ont les flottes les plus modernes du monde, c’est comme ça.

En aérien, la production de CO2 a été diminuée de 22% depuis 2011. On ne peut pas en dire autant du rail, avec la construction de nouvelles infrastructures – des gares aux architectures démentielles comme en Wallonie où ils sont riches – et des kilomètres de rails que l’on place chaque année, pour le grand plaisir des voleurs de câbles en cuivre.

Et puis, finalement, même si je prends volontiers le train pour Paris, je n’ai pas envie de perdre 7 heures pour aller à Berlin ou 11 heures pour Copenhague. Ni même 6 heures pour Zurich. Bon ! Ceux qui défendent le train, vous leur vendez et vous leur interdisez l’avion.

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Mesures de rétorsion

Je blague, mais à peine. Je crois que le monde du voyage – et l’aviation en particulier – se défend très mal ! Chaque fois qu’un politique prend une mesure qui pénalise le secteur, tout le monde proteste, mais ne fait rien. Je serais patron d’une compagnie aérienne, je vous jure bien que celui qui me dénigre sur les réseaux sociaux sera interdit de cabine. Le ministre qui me taxe pour une raison fallacieuse aussi (Crucke, salut !). Et bien entendu j’enjoindrais mes collègues à faire pareil. Et si un juge de la Cour de Justice de Luxembourg décrète que je dois payer pour les retards d’autres compagnies en correspondance, celui-là, il ne volera plus de sa vie dans le monde !

J’ai l’air rigolo comme ça, mais j’en ai parlé à Michael O’Leary (Ryanair) que vous connaissez tous et vous savez ce qu’il m’a répondu ? « Non, Patrick, nous on n’est pas comme ça ! » Au-then-ti-que ! Lui, le pourfendeur des institutions, des réglementations ; il a refusé ma petite proposition. Alors, si même O’Leary veut se laisser faire…

Notez que j’en ai parlé aussi à Alexandre de Juniac, lors de la dernière assemblée générale de l’IATA (à Séoul) – c’est le patron – et lui m’a dit que l’IATA allait commencer à réagir très vite. On parlait là des écotaxes qui pointent un peu partout. Sauf que 290 compagnies ou même seulement une trentaine dans un board qui se réunit de temps en temps, avant que ça bouge, c’est plutôt lent. Mais enfin, De Juniac m’a quand même dit que la « riposte » serait plus diplomatique et étayée.

Mais à qui l’IATA adressera-t-elle ses messages ? Si c’est à leurs clients, ça ne sert à rien, ils sont déjà convaincus. Si c’est pour donner des données pertinentes aux intermédiaires, c’est déjà mieux. Mais, en fait, ce qu’il faut surtout, c’est convaincre les décideurs, généralement incompétents ou leurs attachés de cabinet, fraîchement diplômés avec leurs certitudes bien ancrées. A Séoul, De Juniac m’a confié qu’il avait été reçu par le parlement suédois et qu’il avait été sidéré, au travers des questions, de l’ignorance des députés quant au transport aérien et même aux voyages en général. Ce n’est pas Flygskam, c’est Demokratiskam !

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Il leur faudrait une bonne guerre, Madame !

Je ne pensais pas que je prendrais autant de temps à rédiger ma présentation, mais, franchement, je ne le regrette pas. Je sais que ça va susciter des polémiques – ou des réactions ce soir, j’espère -, mais ne m’insultez pas sur les réseaux sociaux, je ne suis sur aucun ! C’est ma contribution écologique, comme mon GSM qui a le même âge que ma voiture, c’est-à-dire plus de vingt ans. Tous ceux qui ne sont pas dans ce cas-là n’ont pas de leçons à me donner. Des avis, oui !

Le patron de SAS me disait que depuis la campagne Flygskam en Suède, sa compagnie avait perdu 5% de son trafic. Ce qui prouve que ces écolos sont quand même assez nuisibles – un jour, je vous parlerai des castors dans le jardin de ma femme – et, vous l’aurez compris, je ne les aime pas. L’écologie oui, l’écologisme, non ! (bon slogan, ça, tiens).

L’aviation, vous savez ce que j’en pense, je l’ai écrit déjà dans plusieurs publications. C’est une ouverture sur le monde, une possibilité pour chacun de comprendre ces hommes du bout du monde et de les aimer. Lorsque le tsunami a ravagé la Thaïlande et l’Indonésie, les Européens connaissaient la région et s’ils n’y avaient pas été, avaient des amis qui, etc… Jamais les dons vers ce pays n’ont été aussi nombreux. Nous étions solidaires.

Idem, aujourd’hui, lors d’un tremblement de terre, d’un ouragan au Bahamas ou d’émeutes dans des pays qu’on aime. Pourquoi ? Parce que l’avion nous les a fait connaître. A l’éruption du Krakatoa en 1883, les autorités néerlandaises ont mis des jours à apprendre la nouvelle et, somme toute, la population européenne s’en fichait éperdument. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Je crois aussi qu’à part l’importance économique des liaisons aériennes, liée à celle des relations humaines, si une famille a davantage de possibilités de prendre des vacances « loin », c’est un bienfait pour la paix dans le monde. Brel disait : « Si j’étais le Roi, je ferais passer les vacances des Wallons chez les Flamands et vice-versa. Après, tout s’arrangerait. » Je pense la même chose à l’échelle planétaire. Alors, honte de voyager ? Au contraire. Et plus que jamais.

Et vous ?

Ah oui !, je ne vous ai pas parlé de la petite Greta Thunberg ! Mais en fait, je n’avais rien à dire à son sujet. Moi, les robots télécommandés, ce n’est pas trop mon truc. Certains veulent en faire une Docteur Honoris Causa de l’Université de Mons. Comme elle arrête l’école à 16 ans, elle ne pourra pas être docteur d’autre chose, donc c’est une bonne idée. Mais si j’étais Docteur Honoris Causa de l’UMons, je renverrais mon diplôme aussi sec.

Patrick Anspach

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