Escapade sur la route des apothicaireries en France

En attendant le retour des beaux jours, on peut déjà rêver que les escapades proches seront possibles cet été. Autant choisir des routes moins connues ou plus insolites. Il en est une en France qui vous promène d’une apothicairerie à l’autre. Elles se ressemblent tout en racontant pourtant des histoires personnelles sans oublier qu’elles sont toujours situées dans un environnement qui ne demande qu’à se laisser découvrir.

Je vous en raconte 3 que j’ai eu la chance de visiter mais le site www.apothicaireries.eu vous propose plusieurs destinations dont une en Belgique, à Lessines !

Un patrimoine à sauvegarder

Les apothicaires sont en fait les précurseurs des pharmaciens et la première mention d’une apothicairerie dans le Royaume de France date du 13ème siècle, quand sont nés et se sont même répandus les Hôtels-Dieu, ces hôpitaux tenus par des institutions ecclésiastiques.

La composition de la thériaque, ce célèbre contre-poison rapporté à Rome par Pompée, a beaucoup varié mais la centaine d’ingrédients de ce remède censé guérir tous les maux était contenue dans un pot majestueux.

Le mot d’origine grecque évoque un « magasin » et il est vrai qu’au Moyen-Age, les boutiques des apothicaires créditaient les commerçants qui les géraient d’une garantie qui éliminait les harangueurs et autres charlatans qui opéraient sur les marchés.

Par contre certaines de leurs marchandises étaient rares et chères et les apothicaires en abusaient sans doute pour faire du profit, de là l’expression bien connue des « comptes d’apothicaire », mesquins et excessifs.

La pratique de la pharmacie remonte toutefois à l’antiquité, elle était sous la tutelle du Dieu de la Médecine, Asclépios chez les Grecs, Esculape chez les Romains, héros guérisseur dont les temples sont toujours construits à proximité de sources d’eau car avant le rite de l’incubation dans les dortoirs, les malades étaient obligés d’accomplir un bain rituel purificatif.

L’animal favori d’Asclépios était le serpent toujours enroulé à son bâton de marche, aujourd’hui emblème universel des professions médicales. La préparation des médicaments relevait à l’époque de rites à la fois culturels et magiques et déjà les trois ordres naturels entraient dans leur composition : le minéral, le végétal et l’animal.

De nombreux traités ont peu à peu formalisé ces connaissances : Hippocrate, Galien, Avicenne, André Vésale, William Harvey et d’autres encore. Cette science, également connue et développée par les médecins arabes au Moyen Age a suivi un long parcours que l’on peut remonter avec intérêt dans les collections que renferment les apothicaireries.

La visite est animée par la présence de mannequins en tenue de sœur hospitalière qui donnent vie au travail de fabrication des pilules réalisées dans le magasin.

Chalon-sur-Saône, l’ancien hôpital Saint-Laurent

Le choix de l’île Saint-Laurent pour y fonder en 1529 un établissement hospitalier n’est pas anodin : son éloignement sur la rive d’en face assure une distance qui éloigne les dangers de la contamination et par ailleurs, sa proximité avec la rivière facilite le travail des lavandières chargées de laver les draps et autres linges des malades.

Ce sont les religieuses de Sainte-Marthe qui vont y œuvrer comme sœurs hospitalières et on peut découvrir aujourd’hui les lieux où elles vivaient et travaillaient. Le réfectoire de 1720 a conservé son aménagement d’origine avec ses boiseries de style rocaille.

Il faudra attendre 1786 pour qu’y soit construite une pharmacie. En effet au fil des siècles, la distinction entre « apothicaire » et « épicier » reste floue et certains vendent sans complexe de soi-disant « remèdes miracles ».

Pour endiguer le phénomène, Louis XVI institue en 1777 le « Collège de pharmacie » dont seuls ses membres peuvent fabriquer des médicaments et les vendre. Pour ce faire, ils doivent attester de nombreuses années d’études de pharmacie, une discipline qui devient alors une branche de la médecine.

Les religieuses de l’ancien hôpital Saint-Laurent avaient leurs chambres à l’étage au-dessus de la pharmacie.

A Chalon les pharmaciens sont installés en ville et ils interviennent à tour de rôle à l’hôpital. Ils suivent les prescriptions des médecins et supervisent le travail des religieuses chargées de la préparation des remèdes. A partir de 1901 une loi oblige les hôpitaux à recruter un pharmacien responsable de la pharmacie et les sœurs hospitalières sont alors remplacées dans ce rôle qu’elles assumaient depuis toujours.

On peut encore visiter les deux pièces qui constituaient la pharmacie originelle. La première, la salle de réception qui accueillait les personnes pauvres non hospitalisées à qui on distribuait des médicaments mais aussi tous ceux qui venaient s’approvisionner en « simples », des plantes servant à fabriquer ses propres remèdes dont les plus connus sont les tisanes.

Focus sur les tiroirs de végétaux dont certains étaient rares comme les racines de curcuma ou le lichen d’Islande.

Ces végétaux sont conservés à l’état brut dans 88 tiroirs et classés par catégorie : racine, bois, écorce, gomme, feuille, semences et fleurs. Cette pièce toute en boiseries surmontées de vitrines contenant 242 pots en faïence avec des inscriptions dorées affiche une image presque luxueuse de l’hôpital.

La seconde salle appelée le magasin est à la fois la réserve de la pharmacie et le lieu de fabrication des médicaments. On y trouve 317 tiroirs en chêne contenant les éléments appartenant aux trois mondes. On y trouve aussi des objets servant à confectionner les pilules : une balance à plateau, des poids, des mortiers et leur pilon, des douilles, etc…

Tournus, l’Hôtel-Dieu et son apothicairerie

Les anciens bâtiments hospitaliers construits entre 1675 et 1792 transportent les visiteurs dans la grandeur sacrée de cette architecture particulière confiée à une communauté de religieuses. Trois salles convergent en leur extrémité sur la chapelle du Saint-Sacrement : celle dite des femmes, celle des hommes et celle des militaires ou des soldats.

La salle dite des hommes dans l’Hôtel-Dieu de Tournus à peine chauffée par un poêle central

Les deux premières salles ont été restaurées fidèlement avec leur enfilade de lits clos en chêne alignés bout à bout le long des murs parallèles avec à la tête de chacun une table de chevet portant un pichet, un gobelet, une écuelle et des assiettes.

Au pied du lit sur un tabouret qui servait aussi de marchepied tant les lits sont hauts, repose une bouilloire, mince palliatif à l’impossibilité de chauffer ces énormes salles de 9 mètres sous plafond.

Les mortiers en bronze sont impressionnants quand on imagine leur manipulation.

Dans la salle des femmes, des vitrines présentent les ustensiles utilisés jadis pour soigner les malades : lancette à saignée, couloir à sirop, pot à sangsues, cuillère à couvercle, clystère, etc.

Dans un angle s’ouvre une salle qui a conservé l’ensemble de son décor d’origine : l’apothicairerie. Les murs sont tous garnis d’un meuble en noyer avec dans la partie inférieure, des tiroirs et la partie supérieure, des rayonnages à arcades qui abritent plus de 150 vases de faïence de Nevers et quelque 130 flacons de verre soufflé.

Les trois salles convergent vers la chapelle du Saint-Sacrement qui rappelle que nous sommes dans une institution religieuse.

En annexe à l’officine, le cabinet de l’apothicaire réunit un bureau du 17ème et sa chaise tandis qu’une petite pièce abrite un vaisselier où sont dressés quelque 200 étains représentatifs de la vaisselle courante de l’hôpital. Une porte ouvre enfin sur un adorable jardin carré où encore aujourd’hui sont cultivés les simples.

Bourg-en-Bresse, une bibliothèque des savoirs

La construction de l’Hôtel-Dieu de Bourg-en-Bresse sera achevée en 1790 et il servit d’hôpital jusqu’en 1979 quand les services de médecine et de chirurgie furent déménagés sur un site plus moderne.

Aujourd’hui cette imposante bâtisse organisée autour d’un cloître abrite une maison de soins où les patients y sont souvent accueillis pour une longue période.

Le laboratoire de l’apothicairerie de Bourg-en-Bresse permet de s’immiscer dans la chimie des siècles passés : alambics de cuivre, mortiers, fourneau en fonte.

Une apothicairerie y a également été ouverte dans l’aile sud du bâtiment et elle présente une enfilade de trois pièces remarquablement conservées : l’officine, l’arrière-boutique et le laboratoire. C’étaient des religieuses augustines qui y ont officié avant d’être remplacées en 1824 par des Sœurs de Saint-Joseph qui y ont travaillé jusqu’à la fermeture en 1963.

L’officine avec son parquet en chêne et ses boiseries qui abritent près d’un millier de contenants a conservé une atmosphère feutrée propre à ces lieux qui recevaient les malades et les plus pauvres pour bénéficier des soins des sœurs hospitalières.

L’arrière-boutique dévoile outre les boites alignées sur les rayonnages, des pots canons en faïence et des flacons en verre.

L’arrière-boutique rassemble les matières premières appartenant aux trois mondes dans un bel ensemble de contenants élégamment ornés et dont le contenu était annoncé en lettres calligraphiées. On y trouve aussi une vitrine avec d’intéressants et rares ouvrages originaux dont « L’Histoire Naturelle » de Leclerc de Buffon, témoin du savoir de l’époque.

Enfin le laboratoire encore en parfait état de fonctionnement ouvre une porte sur l’élaboration des remèdes : un fourneau en laiton avec son col de cygne, des alambics en cuivre, des bouilloires, un pressoir à vis, de la vaisselle en étain, etc.

L’officine de l’apothicairerie de Bourg-en-Bresse avec ses boiseries sculptées sur mesure pour ranger les récipients permet de découvrir toute la pharmacopée de l’époque.

Aujourd’hui certaines pharmacies ont gardé leur décor d’antan mais si le pharmacien du 21ème siècle reste l’héritier de l’apothicaire, son activité quotidienne en semble bien éloignée ! Par contre fort heureusement l’accès aux soins dans nos pays s’est généralisé.

Texte : Christiane Goor Photos : Charles Mahaux

 

 

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