Pour des raisons à la fois financières et d’image, le secteur aérien a réaffirmé au Qatar ses ambitions environnementales. En demandant avec insistance aux Etats de ne pas lui mettre des bâtons dans les roues.
Réunie en assemblée générale de dimanche à mardi à Doha (Qatar), l’Association du transport aérien international (Iata) a réaffirmé son ambition « zéro émission » (de carbone) à l’horizon 2050. Par quoi devrait être remplacée l’énergie fossile ? A 65% par des carburants alternatifs « durables » dits aussi SAF (pour « Sustainable Aviation Fuels »), à 13% par de l’hydrogène ou de l’électricité, mais surtout sur des vols courts car problèmes de stockage (réservoirs d’hydrogène très inflammables, batteries lourdes et à autonomie réduit, danger du stockage du lithium…) et 19% par d’autres techniques comme la capture de CO2 (comme le font les arbres).
D’une manière générale, le secteur aérien – cellulistes, motoristes, équipementiers, compagnies, navigation aérienne avec les approches « vertes » – a toujours été à la pointe du progrès écologiste. Ce n’est pas une posture politique, mais une simple approche réaliste. A l’instar du citoyen qui privilégiera une voiture qui consomme moins que la précédente, les transporteurs sont à l’affût de toute innovation qui peut réduire la consommation de carburant. D’où le succès de l’achat de nouveaux appareils, pour ceux qui peuvent se le permettre.
Mais il y a une autre raison. En dépit d’un impact sur les gaz à effets de serre de l’aviation évalué seulement entre 2% et 3,5% selon les sources, l’aviation, aux yeux de certains, demeure l’ennemi. Pas l’informatique (10%), pas le trafic routier, par les usines textiles asiatiques et nous en passons. L’aérien s’est toujours mal défendu dans cette polémique et elle semble avoir renoncé à contrattaquer, pour proposer de nouvelles solutions. Parmi elles, les SAF.
Plus cher, eh oui !
Le problème est que les SAF coûtent trois à cinq fois plus chers que le carburant traditionnel. Forcément, puisqu’il ne compte que pour 0,01% de la consommation mondiale de carburant, comme le précise un communique de la low-cost Vueling (groupe IAG) qui propose à ses passagers de payer la différence pour leur vol. Vueling se charge alors de commander la proportion de SAF en fonction de la clientèle. Bonne chance !
Il a été clairement expliqué à Doha que, si on veut généraliser le SAF à l’horizon 2050, il faudra produire pas moins de 449 milliards de litres sur une base annuelle. On en est à… 125 millions. On devrait déjà atteindre 5 milliards en 2025 et 30 milliards en 2030. Mais tout ceci ne serait pas possible sans un support gouvernemental, comme il est prodigué dans d’autres modes de transport (le train, par exemple).
L’Iata a demandé que la prochaine grande assemblée de l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale) porte ce point à l’ordre du jour car les Etats ont plutôt l’habitude de taxer. Alors qu’on s’apprête à mettre en œuvre un système de compensation mondial dénommé « Corsia », l’Europe continue à taxer ses compagnies à hauteur de 5 milliards d’USD par an (ETS : Emission Trading Sheme), ce qu’on ne rappelle pas assez souvent. Et comme le disait lundi à l’assemblée générale de l’Iata, son CEO Willie Walsh : « Ces taxes n’ont pas aidé à la création d’un ciel unique, n’ont pas produit une goutte de SAF ou toute réduction d’émissions de toute façon. De leur côté, les compagnies ont consacré 17 milliards à conclure des contrats SAF avec des fournisseurs. » Eternelle question : où vont les taxes ?
Et ce qui agace (euphémisme) encore davantage les compagnies, c’est le dernier vote du Parlement européen qui a décidé que, quelle que soit l’issue de l’implémentation de « Corsia », il y aura de toute façon des taxes ETS pour tous les vols de et vers l’Europe (et à l’intérieur, évidemment). En 2012, l’Europe s’était mise le monde à dos, avec de sérieuses mesures de rétorsion, mais on a oublié. Qui disait encore que « celui qui ne connaît pas l’Histoire est condamné à la répéter » ?
Patrick Anspach