Dans les années 1970, j’étudiais (si !) le journalisme à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et j’avais déjà commencé à travailler à Europe 1 comme correspondant-adjoint. Pour mes 21 ans (la majorité à l’époque), Maman m’avait offert une Coccinelle d’occasion. Une ruine qui consommait 15 litres au 100 km et qui n’avait pas de jauge. Je devais donc bien calculer le kilométrage et, heureusement, une petite pédale au pied permettait de dégager une réserve de 5 litres, soit un rabiot de 30 kilomètres pour trouver une pompe. J’avais quand même un jerrican aussi,… jamais trop prudent !
Un jour, en reportage, je me gare Place Royale à Bruxelles, sous la surveillance de Godfroid de Bouillon. En revenant, je vois un policier qui me verbalise. Parking interdit ! Ah, et c’est écrit où ? Là-bas ! Bon, j’étais distrait. Et j’en aurai pour combien ? Sans doute 150 francs. Quoi ? A l’époque, pour moi, 150 francs belges (3,75 euros), c’était trois repas au Sollbosh (centre de l’ULB) avec dessert ! Et mon réflexe a été de le dire au moustachu (à l’époque, tous les policiers étaient moustachus).
Et puis je me suis emballé. « Et pour vous aussi, ça doit être quelque chose 150 FB ! Où pensez-vous que je vais les trouver ? Déjà que je dois travailler pour mes études, comme aujourd’hui, et vous m’enlevez ce que j’aurais gagné ! » Et puis, l’inspiration : « Vous voyez la voiture à côté ? Vous lui avez aussi foutu un ticket au type à la Jaguar ! Eh bien, vous voulez que je vous dise, il s’en fout ! Lui, il est prêt à payer 150 FB tous les jours pour avoir son parking ! Et nous, les petits – les pauvres ! -, on doit respecter la loi car sinon on crève ! »
Il m’a regardé en souriant, en disant « Pas faux ! » et il a déchiré ma contreballe. Je l’aurais embrassé, tiens ! Mais bon, moi, les moustaches… « Que je ne vous revoie plus… » Merci monsieur l’Agent. On est humble dans ces cas-là…
Amendes proportionnelles ?
Pourquoi vous dis-je cela ? Parce que le 17 mai dernier, dans je ne sais plus quel journal, Guy Laffineur, magistrat honoraire, a écrit une « carte blanche » suggérant de rendre les amendes de roulage proportionnelles au revenu.
Et il donne l’exemple de deux véhicules flashés à 104 km/h dans une zone limitée à 70 km/h. D’où amende de 240 €. Pour Béatrice qui vit seule avec 1.200 € par mois et qui a du mal à survivre, c’est la guigne. Bertrand, avec son salaire de 6.000 €, va râler un bon coup, mais sans plus. Béatrice lèvera désormais le pied ; Bertrand a déjà oublié les limitations de vitesse. « La contravention n’est donc dissuasive que dans le cas de la contrevenante la moins fortunée ».
D’où l’idée de la proportionnalité. Bon, admettons que ce n’est pas très facile à mettre en place. Imaginons qu’on se base sur un extrait de rôle de l’administration fiscale qui date de 2019 et qu’entretemps un patron a été viré ? Et puis, tout est-il mentionné dans les déclarations fiscales ? En outre, il y a ceux qui estiment que l’égalité doit se traduire dans les amendes.
Ce que je ne savais pas et que Guy Laffineur m’a appris est que les pays scandinaves, la Suisse et le Royaume-Uni ont « depuis des années, adopté une méthode d’amendes proportionnelles aux revenus des contrevenants selon des modalités qui leur sont propres ».
Et d’ajouter : « Dans la procédure finlandaise, les amendes pour excès de vitesse sont même déplafonnées laissant au juge la possibilité de condamner les délinquants les plus aisés à plusieurs dizaines de milliers d’euros. »
Quand j’étais adolescent, j’étais fasciné par les civilisations aztèque et maya. J’ai dévoré le livre « Les Aztèques » de Jacques Soustelle, cet ethnologue devenu homme politique, gouverneur général de l’Algérie, opposé à De Gaulle et qui parlait nahuati (dérivée de la langue aztèque), ce qui lui permettait de correspondre avec sa femme quand il combattait pour l’Algérie française (il y aurait un film à faire sur sa vie !).
Soustelle m’avait appris que dans le système judiciaire aztèque, il y avait trois tribunaux différents : un pour les crimes commis par les gens ordinaires, un autre pour les guerriers et les nobles et un troisième pour les cas « spéciaux » : prêtres, ministres, etc.
Le principe était simple : si un ouvrier était pris en état d’ébriété dans la rue, il risquait des coups de bâton ; si c’était un grand prêtre, il risquait la mort. Imaginons cela aujourd’hui avec nos ministres et députés ! Il y aurait peut-être moins d’« affaires », dans le fond ?